Le président du conseil départemental du Jura Clément Pernot (LR) s’est-il converti à l’écologie ? A parcourir Juramag, le bulletin grand public du département, on pourrait l’imaginer. Ancien maire de Champagnole, président de la communauté de communes Champagnole-Nozeroy-Jura, Clément Pernot est présenté comme ayant une vision pour l'avenir du lac de Chalain qui est bien malade depuis longtemps selon plusieurs études. « Si l’on veut reconnecter le lac avec son environnement, il faut le remettre au plus près de sa situation naturelle », explique le président du département dans le numéro de décembre 2020 de Juramag. Il s’appuie implicitement sur un diagnostic écologique publié en juillet 2019 par une équipe scientifique issue des universités de Franche-Comté (labo Chrono-Environnement) et de Savoie, de l’Agence française pour la biodiversité et de l’INRA. Ce diagnostic complète une étude réalisée il y a dix ans par la fédération de pêche qui constatait déjà un « dysfonctionnement lié à une eutrophisation accélérée ».
Synthèse de toutes les données scientifiques disponibles sur le lac, ce diagnostic entendait « proposer, si besoin, des compléments d’études, la mise en place d’un suivi à long terme et des mesures de gestion pertinentes » tout en soulignant que « l’intérêt écologique et touristique du lac de Chalain étant sérieusement menacé, la mise en place d’un programme d’action pertinent visant à améliorer la qualité écologique du lac est justifiée. »
Ainsi, pour répondre à l’accentuation de la désoxygénation en profondeur du lac de 1933 à 2016, les scientifiques préconisent d’améliorer l’assainissement sur le bassin versant tout en limitant au maximum les épandages de lisier et de purin sur ce bassin d’un millier d’hectares où sont implantés 19 fermes dont 16 produisent du lait à comté. Afin de « pouvoir proposer des préconisations audibles pour les modifications des pratiques agriculturales », le diagnostic suggère aussi d’installer des dispositifs de mesures continues de l’azote et du phosphore.
« Préserver le capital nature et l’attractivité » de Chalain en « menant une réflexion stratégique, économique et financière quant aux possibilités de développement touristique du site... »
Or, ce n’est pas exactement ce qu’a décidé le département après avoir pris connaissance du diagnostic scientifique. Il a certes réalisé des travaux d’amélioration de l’assainissement des effluents du plateau, mais ceux-ci n’ont pas empêché deux pollutions cet été. Il a surtout commandé au cabinet Protourisme une étude de repositionnement stratégique « en vue de préserver le capital nature et l’attractivité » de Chalain, consistant à « mener une réflexion stratégique, économique et financière quant aux possibilités de développement touristique du site de Chalain ». Et si cette étude « s'interroge sur le modèle de développement des années 60/70, [c’est pour] l'adapter aux nouvelles attentes de la clientèle et aux contraintes de gestion du site. »
Bref, on est loin des préconisations des scientifiques visant à mettre au jour les données de la pollution pour pouvoir agir sur leurs sources. Le département n’a cependant pas tout jeté. Il semble suivre une préconisation des scientifiques consistant à ne plus faire varier le niveau du lac. Celui-ci avait baissé brutalement de 6 m en 1937 lors de la mise en service d’une prise d’eau pour la production électrique et une canalisation vers l’Ain situé à 2 km à l’ouest. S’en étaient suivis des effondrements de berges entrainant la destruction d’habitats floristiques et faunistiques. Le niveau baissa jusqu’à 10 m par moments. Il fallut attendre 1991 pour qu’un accord entre EDF et la régie départementale de Chalain limite la variation à 2 m, entre 486,2 m et 488 m.
Restaurer la zone humide de la rive ouest
Il s’agit maintenant de restreindre encore cette variation en fixant le niveau à 487,50 m et en ne descendant jamais sous la cote 487 m. Cela devrait ainsi entraîner la restauration de la zone humide de la rive occidentale du lac – et donc protéger les vestiges d’habitats néolithiques mis au jour lors des baisses de niveau – en supprimant les drains traversant les parcelles situées entre le lac et la route, et en y abandonnant les labours, afin de faire remonter la nappe phréatique. (voir aussi l'étude faune-flore de 2017 du Conservatoire botanique national de Franche-Comté)
Cela aurait pour conséquence de noyer quatre plages : celle du Domaine, propriété du département ; celle de la Pergola, adjacente au camping appartenant au groupe Capfun, ; la plage de Doucier que la commune a décidé de passer de régie en délégation de service public ; ainsi que la petite plage naturiste gérée par l’association Chalain-Nature. Il est question d’aménagements permettant de préserver les trois premières plages, mais rien n’est dit pour la dernière.
Il y a enfin un grand mystère quant à la transformation projetée du Domaine de Chalain. Celle-ci paraît actée à la lecture d’une délibération du 5 février 2021 du département : « le tourisme de masse est inadapté aux enjeux de demain en matière de préservation des ressources naturelles ». Juramag l’a écrit à sa manière : fini le « tourisme débridé et ignorant ses impacts sur l'environnement ». Il demande surtout à ses lecteurs d' « imaginer un domaine reconstruit dans une architecture moderne, minérale et discrètement intégrée au paysage » avec « des cheminements laissant la place à l'environnement naturel et un habitat sur pilotis » afin de « libérer le sol et habiter le ciel ».
L'habitat sur pilotis pas compatible avec la loi Montagne... sauf dérogation
Un problème juridique se pose cependant. La loi montagne qui s’applique à Chalain, pourrait bien être un obstacle à la construction d’un « habitat sur pilotis », autrement dit sur le rivage à moins de 300 m duquel toute construction est interdite. Sauf dérogation rendue possible dans le cadre d’une unité touristique nouvelle. Car de quoi s’agit-il quand est affirmée la « volonté politique d'ajuster l'offre à 500 emplacements » au domaine de Chalain qui aujourd’hui en propose 720 ?
Cette question, comme quelques autres, n’a aujourd’hui pas de réponse publique. C’est ce que déplorent notamment trois associations regroupées dans le collectif Projet Chalain qui vient de mettre en ligne un site internet qui tente de faire le tour d’une problématique qui ne s’arrête pas à la seule articulation entre écologie et économie touristique. Composé de Jura-Nature-Environnement, Chalain-Nature et des Amis de la rivière d’Ain, le collectif a déjà sollicité le département mais n’a reçu qu’une fin de non recevoir, du genre : « ce n’est pas acté, ce n’est donc pas la peine qu’on vous en parle. »
Cette réponse ne satisfait évidemment pas les militants associatifs : « Quand c’est acté, c’est trop tard »., explique Agnès Bonnaventure, de Chalain-Nature. Pour autant, ils n’entendent pas faire de procès d’intention et se veulent des « sentinelles constructives ». Ils disent partager les objectifs de la collectivité territoriale, par exemple le zéro rejet polluant. Mais aussitôt après avoir dit cela, ils constatent qu’après les travaux d’assainissement entre Marigny et le Domaine pour traiter les effluents de Saffloz et Fontenu sur le plateau, l’été a connu deux rejets accidentels.
Aucune donnée précise sur la fréquentation globale du site
Ils se demandent aussi quelle peut être la cohérence entre la volonté affichée de restaurer la zone humide préservant notamment les vestiges néolithiques et le projet de la faire traverser par un sentier pédagogique. Ils s’interrogent aussi sur l’absence de chiffrage de la fréquentation du lac et de ses rivages. Le département n’évoque dans ses documents publiés que les 200.000 nuitées annuelles du Domaine de Chalain, mais c’est loin d’épuiser le sujet quand on sait que le camping de la Pergola, avec 350 emplacements, draine sans doute autour de 100.000 nuitées. C’est également sans compter les 100.000 visites annuelles de la piscine du Domaine, les 20.000 véhicules qui s’y garent, les 25.000 qui stationnent sur le parking de la plage de Chalain...
Ayant épluché les textes, consulté des élus locaux et des riverains, les membres du collectifs ont pas mal d’autres questions. Exemples : va-t-on privatiser des berges ? Peut-on restaurer une zone humide et y faire un sentier touristique ? Est-il envisageable de ne pas intégrer au projet la restitution des plages aux usagers ? Est-il question d’un parking rive sud ? D’un restaurant sur pilotis ?
« On est au début d’un combat »
La formulation ambiguë de Juramag permet ces interrogations. Que signifie vraiment le nom choisi par le département pour son projet de reconfiguration « Retour vers l'avenir » ? Savoir qu’il se situe « dans un horizon philosophique, historique et environnemental » qui permettra aux « acteurs de ce nouveau site touristique en devenir » de « faire la course en tête » est-il de nature à rassurer ou à rester perplexe ? Cela signifie-t-il que Clément Pernot projette un équipement haut de gamme, moins populaire qu'aujourd'hui ?
Face au silence, le collectif se demande « si l'écologie n'est qu'un prétexte » et appelle le département au dialogue : « on serait ravi de ne pas avoir de mauvaise surprise ». Il souhaite aussi que les associations et les citoyens soient impliqués : « On a l’opinion publique locale avec nous », souligne Vincent Dams, chargé de mission à JNE et membre des Amis de la rivière d’Ain, en rappelant que ce sont des habitants et des riverains qui aujourd’hui prennent soin du lac en nettoyant les rives chaque année : « les associations ont retiré 100 pneus et il en reste encore 200... On est au début d’un combat. »