Les militants sont excédés. Le déménagement du territoire de la région luronne se poursuit. Les pouvoirs centraux avaient fait leurs premières tentatives il y a plus de vingt ans, la résistance locale a permis de tenir un temps, parfois de retarder les échéances. Il lui est arrivé d'échouer, mais jamais elle n'a baissé les bras. L'annonce par le député Jean-Michel Villaumé (PS) qu'il prenait acte de décision du ministère de la Justice de fermer la maison d'arrêt a mis le feu aux poudres. « S'il se pointe samedi, il aura du mal, il se fera huer », prédit Michel Antony, le président du comité de vigilance pour le maintien des services publics de proximité.
Samedi, le comité se confondra avec le collectif de défense de la maison d'arrêt qui appelle à la « mobilisation générale ». Bigre. Pour garder une prison ! Militant libertaire, Michel Antony sait bien qu'il est plus facile de se battre pour une école ou un service de santé que pour une prison. Il n'empêche, le projet de fermeture peut être analysé comme la poursuite des « disparitions ou réduction » de services publics, dans la santé, les transports, l'éducation, le social...
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« Comment prétendre que la république est égalitaire quand on fait de telles listes », s'insurge Michel Antony en expliquant le « ras le bol de la population » et le « risque FN » : « on entend en permanence dire y'en a marre ». Stéphane Frechard, adjoint PS au maire de la ville, est en charge de la communication, de la démocratie participative et de la vie associative, mais aussi d'une attribution spécifique : la défense des services publics ! Vous avez bien lu, il y a un adjoint à la défense des services publics. « Je n'ai pas honte d'être socialiste », assure-t-il, « quand on est de gauche, on va à l'encontre de ces décisions absurdes, même de la part d'un pseudo gouvernement socialiste. L'oligarchie de l'ENA n'est plus possible ! »
La perte jamais compensée du départ du régiment de dragons
La population de la ville baisse depuis trente ans. « On n'arrive pas à rattraper la perte du 1er régiment de dragons en 1996 », explique Patrick Tourmadre, prof à la retraite et ancien adjoint. « quand on était à 10.000 habitants, on avait la dotation qui allait avec ». La perte du régiment, des appelés - qui ne figurent pas dans la population recensée - et des militaires de carrière représente environ 1.200 personnes en moins, estime Stéphane Frechard tout en soulignant l'arrivée d'un escadron de gendarmes mobiles qui n'a pas compensé la totalité de la perte. « On a perdu de nombreux commerces de centre-ville », dit-il. « De nombreuses maisons sont vides », ajoute Bernard Dartevelle qui évoque la diminution des services ferroviaires, auparavant utilisés par les militaires, qui mettaient sur des trains des chars partant en manoeuvres pour Mourmelon, également utilisés par la population.
Les velléités de déménagement des services de santé ont commencé dans les années 1970 avec un projet de fermeture de la maternité : « on a réussi à la maintenir quinze ans », dit Michel Antony. Ensuite, lors de la fusion des hôpitaux de Lure et Luxeuil, en 2000, la fermeture pure et simple a été évitée avec une répartition des services. Mais peu après, la création du centre hospitalier intercommunal Vesoul-Lure-Luxeuil « a déshabillé Luxeuil et Lure de la cardiologie, de la chirurgie, de l'ORL, des urgences de nuit, des soins intensifs... Un protocole de maintien des urgences a été signé et trahi aussitôt... Au total, c'est 125 emplois hospitaliers en moins ».
Commissariat de police, tribunal de grande instance, tournées des facteurs...
La fermeture du commissariat et sa petite quarantaine de policiers a été compensée aux deux tiers par l'arrivée de nouveaux gendarmes ayant « moins de missions sur la ville et davantage sur un territoire allant au-delà de Luxeuil ». Le lycée Georges-Colomb a perdu 25 postes en une dizaine d'années. Trois tournées de facteurs ont disparu de la ville et le courrier arrive dans les boîtes aux lettres une bonne heure plus tard. Fermé, l'Assedic a été partiellement remplacé par Pole-Emploi. Le tribunal de grande instance a été victime de la réforme de la carte judiciaire de Rachida Dati. Des guichets ont fermé à la gare qui ne voit plus passer de Paris-Bâle mais quatre aller-retour quotidiens Belfort-Paris jusqu'en 2016 tirés par « des vieillies locomotives chères à entretenir ». Après ? Mystère.
Entre temps, le TGV Rhin-Rhône est arrivé et se prend à Méroux, à 30 km : « avant, un aller-retour Lure-Paris coûtait 80 euros, maintenant c'est 160 euros en TGV pour un gain de temps d'un quart d'heure », dit Patrick Tournadre. « On a été très impactés par la disparition du carrefour ferroviaire de Chalindrey », remarque Michel Antony.
Quant aux services sociaux, l'invasion numérique et télématique parallèle aux fermeture de guichets et de permanence s'est faite « en oubliant que beaucoup de gens n'ont pas d'ordinateur ou ne savent pas bien s'en servir ». « On nous dit que Lure est construite sur un marécage, mais alors, ce n'est pas seulement la prison qu'il faudrait fermer ! Et les pompiers juste à côté ? Et la sous-préfecture ? », dit Patrick Tournadre qui ironise : « on est bien parti pour rayer la ville de la carte ». On dit justement la sous-préfecture sur la liste des prochaines fermetures. Un test sera fait samedi : les organisateurs de la manifestation ont demandé une entrevue au préfet à Lure : « s'il ne vient pas, ce sera une erreur politique de sa part, ça signifierait vraiment que la sous-préfecture est menacée », dit Michel Antony.