Je pensais que le vote en faveur d’Emmanuel Macron pour s’opposer au Front national (FN) allait de soi pour la plupart des citoyens, particulièrement pour ceux de gauche, mais je me suis trompée. Pourtant, il revêt pour moi une forme d’évidence. Déjà en 2002, j’ai voté Jacques Chirac. Je n’en tire ni gloire, ni remords et je n’ai pas aimé ce qu’il en a fait. Je considère juste que c’était ce que j’avais à faire à ce moment-là.
Bien sûr, nombre de ceux qui appellent à voter Macron – parfois avec une arrogance parfaitement déplacée et particulièrement contreproductive – incarnent les politiques que nous avons combattues et dont nous jugeons qu’elles font le lit de la désespérance et de l’abstention ou du vote FN.
Bien sûr, il y a de quoi être exaspéré de voter pour maintenir un système à bout de souffle, que l’on conteste et qui se maintient largement grâce à l’épouvantail de l’extrême-droite. Combien de fois a-t-on exhorté les citoyens à venir voter contre le FN pour éviter le pire sans que cela ne change quoi que ce soit au lendemain de ce vote, sans que les politiques soient remises en cause ?
Bien sûr, on peut craindre qu’Emmanuel Macron croie que son élection (en espérant que ce soit bien ce qui se passera) lui vaille blanc-seing, même si l’on est fermement décidé à lui rappeler qu’il n’en est rien.
Bien sûr enfin, certaines et certains de nos concitoyens ont la vie déjà tellement dure, qu’ils subissent la souffrance au travail ou la souffrance d’une absence de travail, la précarité, le racisme, les humiliations, l’impossibilité d’emmener leurs enfants en vacances, parfois tout à la fois, qu’ils et elles ne voient pas forcément ce qu’ils auraient encore à perdre.
Mais nous ne pourrons mener les batailles qui nous sont chères et à venir, notamment contre les politiques promues par Emmanuel Macron et ceux qui l’entourent, sans un minimum de garanties sur le maintien des libertés publiques et de l’Etat de droit. Et c’est ce bien ce que l’on perdrait aussitôt si Marine Le Pen accédait au pouvoir.
J’ajoute que quelles que soient les critiques que l’on peut faire à Emmanuel Macron sur son bilan et son projet politique – et je n’ai pas été la dernière en ce domaine – je ne crois pas l’avoir jamais vu verser dans un quelconque discours identitaire, ni participer à ces invraisemblables débats dont le burkini n’est qu’un exemple. Il a également fait le choix de féliciter Angela Merkel sur son attitude et celle de l’Allemagne concernant l’accueil des réfugiés. Personnellement, je considère que cela ne compte pas pour rien.
A l’inverse, le discours et les propositions du FN à l’égard des étrangers et des immigrés sont, depuis longtemps et sans ambiguïté, clairement xénophobes et discriminatoires. Beaucoup semblent persuadés que MLP ne peut l’emporter. C’est l’enjeu essentiel, mais – au-delà du fait que je ne vois pas bien comment être sûr de cela aujourd’hui – il y a également un enjeu à faire en sorte que son score soit le moins élevé possible. Qu’on passe d’un FN à 18 % en 2002 à un FN à plus du double en 2017 – ce qui est très vraisemblable – constituerait un coup supplémentaire terrible à toutes celles et ceux qui ont déjà subi le débat indigne sur la déchéance de nationalité. Le discours et les propositions racistes du FN y gagneraient une forme de légitimité. C’est pourquoi, réduire autant que faire se peut le score de Marine Le Pen, en votant Macron constitue pour moi un geste de solidarité à l’égard des immigrés et des étrangers. La question du racisme, des discriminations et de la défense des minorités n’est pas une question secondaire et n’est pas moins constitutive de la gauche que la question sociale.
Parmi celles et ceux qui ont fait le choix de l’abstention et du vote blanc, il y a parfois l’idée que nous serons suffisamment nombreux le 7 mai pour faire barrage au FN. Peut-être… Je nous invite à ne pas prendre ce risque.
Je crois qu’il y a aussi beaucoup de découragement dans la tentation du vote blanc ou de l’abstention. Et il est vrai qu’il y a de quoi être découragé. Pourquoi dans un pays aussi riche que la France n’avons-nous pas été capables de faire que les plus fragiles soient traités avec davantage de bienveillance et de respect, de rééquilibrer un peu le partage des richesses et du travail, de mettre fin aux discriminations, pas capables de faire que l’école soit assez forte pour contrecarrer la reproduction sociale, pas capable d’accueillir ceux qui par le monde subissent la violence ?
Pourtant, je ne peux m’empêcher d’espérer. A mes amis qui ne veulent pas aller voter dimanche pour Emmanuel Macron, je dis que je comprends leurs réticences. Je leur dis aussi que moi j’irai. Et qu’après avoir écarté le FN du pouvoir, nous pourrons de nouveau construire ensemble, renouveler les pratiques et les programmes à l’origine de ce désastre.
Barbara Romagnan