Les dangers du parti unique

Un spectre hante le second tour des élections législatives, celui d'une Chambre introuvable. Le risque d'une majorité « plus macroniste que Macron » paraît cependant moins grand que celui d'une chambre d'enregistrement.

Un spectre hante le second tour des élections législatives, celui d'une Chambre introuvable, expression attribuée à Louis XVIII. Elle fut suivie de la Seconde Terreur blanche après que les très riches, qui seuls avaient le droit de voter, eurent désigné 350 députés ultra-royalistes sur 398 en août 1815, juste après l'abdication de Napoléon 1er. Ces députés « plus royalistes que le roi » décidèrent des outrances (épuration de l'administration, exécutions, mesures liberticides) qui conduisirent le monarque à dissoudre l'assemblée huit mois plus tard...

La Chambre introuvable issue des élections législatives de 1993 qui virent l'écrasante victoire d'une droite arrogante et divisée, finit elle aussi par la dissolution chiraquienne de 1997 débouchant sur le gouvernement dit de gauche plurielle qui s'interrompit par le désastre du 21 avril 2002 avec la complicité des télés montant les faits divers en épingle.

De là à promettre la Roche tarpéienne à l'assemblée qui triomphera dimanche, il y a un pas difficile à franchir aujourd'hui. Le risque d'une majorité « plus macroniste que Macron » paraît moins grand que celui d'une chambre d'enregistrement. Les futurs députés macronistes se sont en effet engagés par écrit à soutenir le « projet » du président. Une curiosité quand on sait que le mandat impératif est proscrit et que les députés sont sensés représenter le peuple en toute indépendance. 

C'est aussi le double risque de l'amateurisme et de la cacophonie qui plane sur la future majorité parlementaire. Comme en témoigne ce document de travail de conseillers du candidat Macronissu de l'opération de déstabilisation électorale dite, Macron Leaks, il présente un réel intérêt public, , ce risque a d'ailleurs été identifié par le staff d'En Marche !, bien avant la présidentielle, avec une hypothèse haute à 250 députés. Alors avec plus de 400...

Il y aura en effet pas mal de débutants et des néophytes, d'anciens socialistes et quelques uns toujours au PS, des libéraux et  des écolos, des conservateurs modernes et des centristes, des dépolitisés et des jamais encartés, des sincèrement frais et des jeunes loups aux dents longues, des notables et des lobbyistes, d'anciens responsables de ceci ou de cela. Il sera sans doute difficile de tous les faire avancer au pas de l'oie sur tous les sujets, dès lors que les projets seront enfin précis, deviendront clairs dans l'esprit des citoyens.

Le bon côté, c'est qu'il devrait y avoir du débat. Le mauvais, c'est qu'il sera confiné à la majorité. Car c'est bel et bien un parti unique, sinon ultra dominant à l'Assemblée, qui est en cours de construction. Il est rendu possible par l'alliance objective de la 5e république, d'un savoir faire managérial indéniable et d'un vrai talent marketing. Il vend la fiction de sa capacité à représenter « en même temps » tous les courants de pensée. Le tout au nom de l'idéologie du pragmatisme qui est, pour le dire vite, la soumission au pouvoir des financiers sur l'époque.

Il oublie qu'en démocratie, des gens différents agissent toujours ensemble. Ne serait-ce par le débat, même les râleurs et les rêveurs sont entendus, au nom du respect des minorités autant que d'une conception humaniste de la vie en société. Mais pourquoi donc faudrait-il qu'ils fassent allégeance à un maître des horloges ? Comme si nos institutions, produit de la crise de la décolonisation il y a soixante ans, étaient le summum de la modernité alors qu'elles sont épuisées et épuisantes...

Quand on nous dit que nous n'avons rien compris parce qu'il nous arrive d'utiliser des catégories intellectuelles comme la droite et la gauche, c'est que cette manière de penser menace la cohérence du macronisme. On nous dit aussi sur un ton d'évidence paternaliste qu'il est temps que les uns et les autres travaillent ensemble. Comme si ça n'existait pas ! C'est ce que font de nombreux conseils municipaux, et pas seulement de villages, mais il arrive que le maire verrouille tout.

C'est ce que font les Suisses à tous les niveaux institutionnels, des conseils communaux au gouvernement fédéral en passant par les cantons, avec les initiatives populaires en sus. Mais ils n'ont pas un parti unique rattroupant des gens pensant différemment : ils ont des partis distincts, représentant des intérêts économiques, sociaux et culturels différents voire antagonistes ; puis travaillent ensemble après avoir négocié le partage des responsabilités après des élections à la proportionnelle... Bien sûr, il arrive que les banques verrouillent tout.

Dimanche, le plus grand risque sera celui d'une assemblée muselée d'avance par un exécutif qui a anticipé la prise en main du législatif sensé le contrôler et sait déjà où il peut donner du mou au licol. Mais il n'aura de marge qu'institutionnelle, au sein de sa majorité parlementaire. Ce sera une autre paire de manches dans la société où son élection n'a dissout aucun des ingrédients de la colère. Montrant une bonne part de fatalisme, qui est l'un des aspect de la dépression collective du pays, l'abstention record du premier tour l'a rappelé.

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