Exceptionnellement rassemblées hors de leurs temples, les loges du Grand Orient de France organisaient une tout aussi exceptionnelle réunion publique pour dire leur inquiétude et réaffirmer leur « conviction laïque et républicaine ». Laïcité au XXIème siècle, communautarisation, débat mené par l’Eglise et dans les établissements scolaires à propos du mariage homosexuel : Henri Pena-Ruiz, philosophe, membre de la fondation Res Publica et du Parti de gauche, ancien membre de la commission Stasi, a été appelé en renfort par les Francs-Maçons bisontins. L’assemblée était dense, d’une moyenne d’âge plutôt élevée, acquise aux idéaux laïques.
Contournements de la loi de 1905
Selon Henri Pena-Ruiz « honoré par l’invitation des loges », la particularité de notre époque est que personne ne conteste plus explicitement le principe de laïcité, mais que les tentatives de contournement se multiplient et cela avec une duplicité fréquente des responsables politiques. C’est notamment la loi Debré du 31 décembre 1959 qui permet le financement public d’écoles religieuses « en leur reconnaissant un caractère propre pour ne pas dire religieux ». C’est aussi le financement d’associations religieuses présentées comme culturelles. M. Pena-Ruiz donne l’exemple récent du maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui a financé à hauteur de 2,5 millions d’euros des crêches de la communauté juive Loubavitch et a fondé une Maison des cultures d’Islam, peu distincte du lieu de cultes. Le clientélisme met à mal la règle selon laquelle « la République ne subventionne aucun culte » (article 2 de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat). Le concordat résiduel en Alsace-Moselle pose problème également et le gouvernement actuel ne semble pas disposé à le remettre en cause. Au contraire, François Hollande s'était montré prêt à l'inscrire dans la Constitution, en contrepartie de l'inscription de l'article 1 de la loi de 1905...
A un participant à la réunion qui demandait : « ne vaut-il pas mieux que l’Etat finance des mosquées pour éviter une aide et une influence d’Etats favorables à des thèses extrèmistes ? », Henri Pena-Ruiz refuse tout autant de déroger à la loi. Pour le philosophe, « l’idée de payer des lieux de culte pour contrôler les croyants est une idée d’Ancien régime, la loi de la République sanctionne les discours appelant à la haine ou à la violence, le droit commun doit être suffisant. Il ne s’agit pas d’imposer une doctrine. »
Quelle laïcité au début du XXIème siècle ?
Car pour M. Pena-Ruiz ce n’est pas la religion le problème mais la collusion politico-religieuse. « L’histoire de l’association des pouvoirs temporels et spirituels est une vallée de larmes depuis l’avènement des trois principaux monothéismes. » Il évoque Victor Hugo, le chrétien revendiqué, qui à la tribune de la Chambre des députés le 20 janvier 1850, pour s’opposer à la loi Falloux, tonne contre « le parti clérical » qu’il ne confond pas avec la religion : « tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation, l’héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! ».
Henri Pena-Ruiz reconnait qu’il existe plusieurs définitions de la laïcité mais récuse celles qui ajoutent un adjectif et cherchent en réalité à l’affaiblir. « Comme pour l’égalité et la liberté, des idéaux à part entière, il n’est pas besoin de parler de liberté ou de droits humains ouverts ou autres ». La référence au discours de Latran de Nicolas Sarkozy en 2007 est dans tous les esprits et provoque la désapprobation manifeste de la salle. La laïcité à défendre, « c’est la liberté de conscience et l’égalité de traitement de celui qui croit au ciel et de celui qui n’y croit pas ». Mais comme le dit lui-même Henri Pena-Ruiz « nous vivons dans un monde lassé… le contexte de réaffirmation des fanatismes politico-religieux est aussi celui d’une souffrance sociale croissante ». En exergue d’un de ses ouvrages « Histoire de la laïcité – Genèse d’un idéal », on peut lire la formule de Jean-Jacques Rousseau : « Il y a mille manières de rassembler les hommes, il n’y en a qu’une de les unir ». La laïcité demeure donc un combat, un combat au nom de la plus vive tolérance, un combat qui, de fait, impose des limites au prosélytisme religieux, un combat enfin dont la valeur coïncide avec la manière dont il est mené.