Le campement d’Arène pallie les failles des dispositifs officiels

Demandeurs d'asile dublinés, réadmis Schengen, mineurs isolés étrangers ou jeunes considérés comme majeurs par l'Aide sociale à l'enfance... A Besançon, le collectif SolMiRé continue d'accompagner des migrants en errance tandis qu'un collectif de travailleurs sociaux s'inquiète de la violence institutionnelle pesant sur les jeunes.

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Posée sur des palettes en bois, quinze tentes sont alignées contre le mur du fond du long préau implanté en marge du parking d'Arène. Une vingtaine de personnes y vivent de façon plutôt sommaire. Un homme fait revenir sur une vieille gazinière des oignons émincés dans un faitout. On se salue, se sourit, mais par gestes il fait comprendre qu'il ne veut pas être pris en photo. En revanche, il veut bien qu'on fasse un cliché de sa préparation. 

Son voisin, Zoran, fait salon pendant que sa femme prépare un thé. Avec quelques bribes d'allemand, d'anglais et de français, l'aide d'Adama, un jeune Africain qui s'essaie à la traduction, Zoran explique qu'il est Serbe et loue la France : « ici, c'est bien, c'est libre, on laisse les gens se promener... » Du geste, il nous invite à le prendre en photo, se saisit de la guitare que lui tend Adama et prend la pause.

Plus loin, Cosetta et ses trois enfants font passer le temps, assis sur une couche de tapis posés devant deux tentes. Sourires, salutations... Ils sont des Balkans et parlent allemand. A côté d'une tente, une poussette et des effets personnels sont compressés dans des sacs de supermarché, des chaussures... Pas bien loin, d'autres tentes, apparemment vides, mais à côté desquelles des vivres sont rangées dans un buffet et des rangements bricolés avec des morceaux de palette.

« 1000 euros en septembre, en tentes, matelas, duvets, nourriture... »

Le dénuement est total. Il n'y a pas de point d'eau, pas de sanitaires, pas de salle de bain... Le service hygiène-santé de la ville est déjà venu pour dératiser et, bien qu'il n'y ait pas de conteneur, les poubelles sont ramassées. Sommes nous en présence d'un « campement illicite » que le nouveau préfet ne veut pas laisser s'installer ? La question reste en suspend et il faut se tourner vers la circulaire ministérielle du 25 janvier dernier pour comprendre que ce texte mélange « campements illicites », « bidonvilles » et « habitats insalubres ».

Et surtout qu'avant toute « résorption », il faut notamment « travailler à l'accompagnement des personnes vers la sortie » dudit campement. La circulaire demande également aux préfets, directeurs d'agences régionales de santé et recteurs de « veiller strictement, avec le concours des collectivités territoriales, à ce que le campement ne s'agrandisse ni ne se pérennise, par la sécurisation des conditions de vie (mesures d'hygiène et de sécurité, accès à l'eau, ramassage des ordures ménagères et déchets)... » ou encore de permettre la scolarisation des enfants qui doivent faire l'objet d'une « attention particulière (...) quelle que soit leur nationalité »...

Lors de la conférence de presse donnée, mercredi sur place, par le collectif SolMiRé, ses militants expliquaient que les pouvoirs publics sont en fait bien contents de voir que leurs missions sont en partie assurées par la société civile, en particulier l'accompagnement. « Nous avons assumé la prise en charge, c'est un dispositif lourd qui nous a coûté 1000 euros en septembre, en tentes, matelas, duvets, nourriture », explique Noëlle Ledeur.

Les surplus alimentaires du festival de Bitume et de Plumes

Les organisateurs de Bitume et de Plumes ont également donné les surplus alimentaires et les élément en bois du festival qui s'est tenu le week-end précédent. Des palettes ont ainsi été installées verticalement pour donner un brin d'intimité au lieu que l'on arpente avec la drôle d'impression d'être là un peu par effraction... Ce sera cependant un peu juste pour protéger du froid, quand il viendra. Et on ne parle pas de la pluie qui ruissèlera le long des murs. Ni de la bise... On regrettera l'expulsion du Bol d'R qui permettait à ceux ne pouvant se rendre à l'accueil de jour officiel de se poser un instant au chaud, de laver leur linge, prendre une douche...   

Outre les migrants en provenance des Balkans, rejoints mercredi soir par une famille bosnienne avec quatre enfants, le campement d'Arène abrite trois jeunes hommes que l'Aide sociale à l'enfance n'a pas reconnus comme mineurs à l'issue d'un entretien d'évaluation. Conséquence immédiate : « ils ont été expulsés du foyer de la Cassotte le jour même où ils ont reçu le résultat de l'évaluation. Ils souhaitent faire un recours car ils ont des documents contestés par l'ASEAide sociale à l'enfance, dispositif géré par les départements », explique Amélie Vanistotte, ingénieure écologue et militante à SolMiRé.

Sont-ils, comme nous l'expliquait une avocate plaidant souvent au tribunal administratif, dans la situation de s'être fait confisquer leurs papiers par des passeurs leur en fournissant de faux, où ils sont majeurs, afin de franchir les frontières ? Avant de se retrouver en France sans papier démontrant qu'ils sont mineurs pour relever de l'ASE ? Une éventuelle procédure répondra peut-être à cette question.

Seconde conséquence de la non reconnaissance de minorité : « ils ne peuvent pas être demandeurs d'asile car cela supposerait qu'ils soient majeurs. Ils n'ont donc pas droit non plus à un hébergement d'urgence, et peuvent seulement déjeuner à la BJA Champrond... ».

« Dans mon pays, les islamistes tuent des gens... »

Quatre autres jeunes gens sont en attente de cet entretien d'évaluation. « Avant que leur cas soit tranché, ils sont sensés être accueillis cinq jours par le Conseil départemental sur un financement d'Etat. Mais on leur a dit à l'ASE que le dispositif était saturé, sans même leur fournir une attestation disant qu'ils s'étaient présentés. Il n'ont donc accès ni à une douche, ni à des repas, ni à un hébergement », s'insurgent Noëlle Ledeur et Thierry Lebaubin qui sont allés voir Frédéric Parra, le directeur-adjoint de la direction enfance-famille du Conseil départemental.

« Il nous a dit que ce n'était pas un refus, mais qu'il était dans l'impossibilité d'accueillir ces jeunes. Quand nous avons parlé du refus d'attestation, il a dit qu'il allait réfléchir à une solution palliative, mais il a aussi parlé d'une problématique de passeurs », rapporte Thierry Lebaupin. Factuel a cherché à le joindre, mais sans succès.

En revanche, Odile Faivre-Petijean (MoDem), vice présidente du département en charge de l'enfance et de la famille, contactée sans difficulté, confirme : « beaucoup de jeunes arrivent, davantage que dans les départements voisins. Et beaucoup plus sont arrivés cet automne, c'est pour ça que le problème est prégnant, mais on va trouver des solutions » [lire l'entretien complet plus bas].

Noëlle Ledeur met l'accent sur la similitude des discours du département et de la ville face à des jeunes « seuls et en grande détresse, qui ont souvent vécu des choses abominables, dans le bateau, avec les passeurs... »

Parmi ces jeunes gens, nous avons échangé quelques instants avec deux francophones. L'un, venu de Cote d'Ivoire en raison des violences inter-ethniques, dit avoir été enfermé un mois au Maroc. L'autre, Burkinabé, est depuis plusieurs mois en France : « Dans mon pays, les islamistes tuent des gens... j'ai été dans une prison en Lybie, tous les jours des gens y meurent, des violences physiques, des malades parce qu'ils ne mangent pas... »

Le collectif VIJIE dénonce des dysfonctionnements

La situation faite aux jeunes étrangers n'est pas seulement difficile pour ceux qui la vivent. Elle devient de plus en plus insupportable pour les travailleurs sociaux qui les accompagnent. « Les travailleurs sociaux sont à bout », dit une bénévole de Solmiré. Plusieurs d'entre eux ont créé au printemps dernier le collectif VIJIE qui signifie « veille information jeunes isolés étrangers ». Ils ont lancé un appel dont l'objectif premier est « la lutte contre les politiques discriminatoires et ségrégatives visant les jeunes étrangers isolés dans le Doubs » afin de « peser sur les politiques publiques pour obtenir de meilleures conditions d'accueil et d'accompagnement ».

On lira ici, dans la partie blogs de Factuel, le texte le cet appel qui vise également à inverser la première considération qu'on a pour ces jeunes souvent désignés par les trois lettres MNA, pour mineurs non accompagnés : « on les voit souvent d'abord comme des étrangers avant de voir des enfants », dit un membre du collectif qui, comme tous ses collègues, souhaite conserver l'anonymat : « l'ensemble des services, directions, syndicats ont été informés de la création du collectif, et l'on constate des pressions hiérarchiques pour que les équipes n'y participent pas... »

Illustrant la dénonciation des « dysfonctionnements et irrégularités impactant la prise en charge », ce travailleur social nous précise encore qu'on est « en train de créer des foyers low cost pour les mineurs étrangers » alors que jusque là existait une certaine mixité entre jeunes français relevant de l'aide sociale à l'enfance et mineurs étrangers. Outre les « questions éthiques » ainsi posées, cela pèse sur les possibilités de séjour qui s'amenuisent, d'autant qu'on a tendance à « proposer des formations CAP aux MNA, même quand ils auraient des possibilités d'aller plus loin... »  

Jeunes, dublinés, réadmis Schengen...

Jeunes étrangers et migrants dublinés en attente d'un réexamen de leur demande d'asile, parfois revenus d'Italie, d'Espagne ou d'ailleurs où ils avaient été renvoyés et où leur sort n'a pas été réglé, ne sont pas les seuls à dormir au campement d'Arène. Il y a aussi des « réadmis Schengen », relevant d'accord bilatéraux entre états. Exemple : un Bosniaque veut venir dans l'Union européenne passe le plus souvent, géographie oblige, par la Croatie qui est dans l'UE mais n'a pas signé les accords de Schengen, mais à qui il est demandé de « filtrer les migrants pour les autres, avec un passeport biométrique, une assurance santé, de quoi vivre trois mois », explique Thierry Lebaupin.

S'il passe directement par l'Italie, il relèvera alors des accords de Dublin et pourra demander l'asile. S'il passe par la Croatie, il entre dans une catégorie de migrants ne pouvant pas être considérée demandeur d'asile : « Il y a une famille de cinq personnes dans cette situation. La préfecture lui a signifié qu'elle ne peut pas demander l'asile, mais seulement lui proposer l'aide au retour... L'an dernier, on avait beaucoup de demandeurs d'asile dublinés pour lesquels on faisait pression pour la préfecture afin qu'il y ait une prise en charge. On y arrivait. Mais là, les Schengen n'ont aucun droit », déplore Noëlle Ledeur.

 

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