Il est 14 heures 25 ce vendredi 25 janvier dans le département 25. C'est l'instant symbolique où est lu sous par une aide soignante « L'Appel du 25 » sous les acclamations et les applaudissements d'environ 200 personnes rassemblées au pied du CHU Jean-Minjoz. Un court texte expliquant que « soigner, ce n'est pas se sacrifier » et se concluant par un appel des professionnels de santé, les « blouses blanches » à rejoindre les manifestations des Gilets jaunes.
Un tas de palettes alimente régulièrement un feu autour duquel se réchauffent des Blouses blanches et des Gilets jaunes. Ces derniers sont venus en nombre après la réunion de mardi 22 janvier à Busy où l'infirmier Marc Paulin a annoncé l'événement. A 13 heures, il prend la parole au micro et loue le mouvement : « Se lever à 5 heures du matin par moins 7, il faut être fou ! C'est vous les Gilets jaunes qui avez eu cette folie totale pour manifester et renverser la table ! J'ai pris une grande claque en allant sur les ronds-points ».
Puis il parle des personnels hospitaliers parmi lesquels beaucoup de « fonctionnaires ayant du mal à finir le mois... et qui sont gilets jaunes ». Il évoque aussi cette clinique privée qui a récemment ouvert à Louhans (Saône-et-Loire) pour « soigner le burn-out des personnels de santé : leur étude de marché a dû être concluante et la perspective de bénéfices sur le burn-out assurée ! » (voir ici)
« Inadmissible qu'on refuse des logements en rez-de-chaussée
ou des aides ménagères à des handicapés... »
Suit une longue série de témoignages, émus, en colère, personnels, professionnels, familiaux. Une femme, « blouse blanche et gilet jaune » évoque le geste « irréparable » de son fils. Anne-Sophie Pelletier, la porte-parole de la lutte des Opalines de Foucherans parle « convergence des luttes » et martèle « notre santé n'est pas une marchandise ». Elle ne dit rien de son engagement au sein de la France insoumise pour qui elle est candidate aux élections européennes. Derrière elle, Gabriel Amard, également candidat LFI, reste silencieux.
Un homme s'empare du micro : « on a besoin de vous, le monde hospitalier ! » Noëlle Ledeur, syndicaliste et militante des droits des étrangers, lance un « Tous ensemble ! Tous ensemble ! » repris par plusieurs dizaines de voix. Séverine Vezies, autre militante LFI, lance « A ceux qui veulent casser le service public, on répond quoi ? » La réponse est criée par une partie de l'assistance « Résistance ! » alors que des coups de klaxon saluent le rassemblement.
Dans son fauteuil roulant, une femme explique représenter les handicapés « nombreux à ne pas pouvoir venir dans les manifs. Ils sont les oubliés du grand déba... lage de Macron ». Elle réclame au moins le SMIC pour l'allocation adulte handicapé et trouve « inadmissible qu'on refuse des logement en rez-de-chaussée ou des aides ménagères à des handicapés... »
« Femme de ménage de mère en fille...
Les gens ont du mal à réaliser ce que ça fait au corps des gens... »
Une jeune femme raconte : « ma maman est femme de ménage à l'hosto, on est femme de ménage de mère en fille... Les gens ont du mal à réaliser ce que ça fait au corps des gens. Ma maman a fait un infarctus, on l'a obligé à retravailler alors qu'elle ne peut pas porter un kilo à bout de bras... » Un homme exhorte à « rester unis », propose de « suivre l'exemple de Vercingétorix qui a uni les tribus gauloises face aux Romains... »
Une infirmière dénonce la « désertification médicale » qui menace sur le secteur de Gy. On sent l'indignation dans sa voix quand elle dit sa « honte de la façon dont les CRS et les gendarmes nous ont traités. On n'est pas des délinquants ! J'en ai marre qu'on parle de la baisse du chiffre d'affaires des commerçants : on n'a pas fait les magasins car on n'a plus de sous ! » Elle finit par sa déception de constater l'absence des agriculteurs dans les manifestations, elle qui est « fille et petite fille de paysans... »
Brigitte dit sa contrariété de devoir se lever à 5 heures du matin pour être opérée à 7 heures : « C'est l'Agence régionale de santé qui l'a décidé ! On n'a plus le droit d'arriver la veille ! » Un Gilet jaune venu du rond-point de Parcey, près de Dole, renchérit : « on n'est plus des malades mais des clients... Merci à tous ceux qui nous soignent ! »
Marc Paulin empoigne le micro : « Quand on choisir d'être infirmière ou infirmier, il faut savoir que notre espérance de vie est inférieure de 6 ans à la moyenne française... Quand on part en retraite, on est un sur cinq à avoir un taux d'invalidité car on est usé par le travail... Je gagne 1900 euros net après 22 ans de diplôme, je ne me plains pas. Mais la France est un des pays de l'OCDE qui paie le moins ses infirmiers : 26e sur 29... Et puis il y a les aides-soignantes, les ASH qui sont fonctionnaires de catégorie C et touchent des paies de misère... »
« Marre de voir les SDF se geler dans les rues ! »
Cyril Martin, co-animateur de la réunion des Gilets jaunes de Busy en rajoute : « Là haut, on veut tout vendre pour se faire du fric sur notre dos... Combien faut-il en entrer en Ehpad où on laisse nos vieux dans la pisse car il n'y a pas assez de personnel ? Je suis content que les Gilets jaunes se rallient aux Blouses blanches ! »
Voilà un prof de lycée professionnel, syndiqué à la CGT, qui parle d'une motion pour rejoindre le mouvement. Voilà un retraité de Haute-Saône qui dit en avoir « marre de voir les SDF se geler dans les rues ! Ils sont 50% de plus depuis 10 ans... Et il n'y a aucun garde-fou pour les 18-25 ans... Et mon père de 90 ans, ancien artisan qui touche même pas 800 euros de retraite ! »
Voilà Cédric, avec son bonnet de clown, de « bouffon de Macron » qui ajoute que chaque samedi matin au rond-point de Chalezeule des gilets jaunes font une collecte de vêtements pour les SDF... Une aide soignante, expliquant être « les yeux et les oreilles des infirmières » avec qui elle doit être en binôme explique ne pas pouvoir car « elles sont overbookées... » Patrick, ambulancier du SMUR de Vesoul, chapeau rouge sur la tête, explique être syndiqué mais « quand je suis gilet jaune, je ne parle pas de syndicat, seulement sur mon lieu de travail ! »
Quelqu'un dit : « il y a ici des gens qui gagnent bien leur vie et ne supportent pas de vivre dans un pays où il y a de la misère ». Un homme évoque sa compagne « auxiliaire de vie au CCAS de Besançon, payée au SMIC avec une amplitude de travail de 10 à 11 heures... Elle travaille avec sa voiture et touche 30 euros d'indemnité de carburant par mois... » Une femme vient parler de l'industrie pharmaceutique qui « dégage des milliards d'euros sur le dos des malades et de la Sécu. Il y a de l'argent : 90% des bénéfices vont aux actionnaires, pas à la recherche... »
Le chef du service de neurochirurgie : « une dégradation considérable
des conditions de travail et d'accueil... »
Voilà Laurent Thines, chef du service de neurochirurgie. Il sort d'un bloc opératoire et a tenu à venir dire son soutien : « C'est bien que se rassemblent divers groupes. J'espère que ça initiera un mouvement national... Ce combat est juste. La parole du président n'est pas respectueuse des Français qui travaillent dur et se lèvent tôt. Ce mouvement de colère vient du sentiment d'injustices écologique, sociale, légale... Rien n'est fait contre les pollutions des grandes industries alors que des gens attrapent des cancers ou des leucémies à cause de la pollution. Il y a eu un décès aux urgences de Lons. Ce sont les stigmates d'une dégradation considérable des conditions de travail et d'accueil. Il faut davantage de partage des richesses, l'accès au services publics. Il y a 7000 travailleurs au CHU. Quand on touche aux service hospitalier, ça génère du chômage. Le plan hospitalier [du gouvernement] prévoit 20.000 infirmières de moins... On a réduit les lits, il y a eu une phase d'optimisation, on a fait des efforts. On ne peut plus aller au-delà. Il y a un malaise. Les politiques doivent prendre en compte ces demandes d'équité. Cinquante médecins se suicident chaque années, des dizaines d'infirmières aussi, quarante policiers. Dans tous les services publics... Je suis fier d'être associé à ce mouvement... »
Je m'approche et le salue, il poursuit hors micro : « C'est une lame de fond qui vient de la souffrance accumulée depuis vingt à rente ans de politiques qui ont conduit à la destruction des services publics. Ils sont la seule possibilité pour les citoyens d'accéder à ce qui est vital : la santé, la justice, l'eau, l'électricité, le gaz, les transports... Ce n'est pas anodin. C'est la stratégie néolibérale que le président Macron aggrave... »
Il est 15 heures. Le rassemblement se disperse. Les hospitaliers retournent au CHU. Une vingtaine de Gilets jaunes rejoignent le dépôt Easydis pour en bloquer l'entée aux camions. Deux voitures de police sont bientôt là. D'autres fonctionnaires, casqués, viendront déloger les bloqueurs un peu plus tard...