La région Bourgogne-Franche-Comté veut attirer les touristes chinois

L'objectif numéro un du vice-président au tourisme Patrick Ayache, ici avec le directeur régional de la Caisse des dépôts, colle parfaitement avec le soutien affiché aux projets de center-parcs en même temps que l'affirmation des réserves sur l'environnement et le montage financier. A Dole, les assises régionales du tourisme ont montré cependant que les priorités du secteur sont plus prosaïques.

Patrick Ayache, vice-président au tourisme, et Antoine Bréhard, directeur régional de la Caisse des Dépôts. (photos Daniel Bordur)

On s'est demandé s'il fallait rire ou pleurer aux assises régionales du tourisme quand des comédiens ont présenté aux 465 participants l'hallucinant scénario d'un couple de Parisiens venant en vacances en 2030 en Bourgogne-Franche-Comté avec les enfants et... le robot Pepper. Accès à la voiture sans chauffeur réservée peu avant, jeux pour distraire les petits pendant le trajet, discussion avec l'hologramme du conseiller en séjour, prescription de médicaments contre un bobo soudain, irruption de paysages en fenêtres pop-up... Le robot est un assistant omniprésent. Il ne manque même pas d'activer le simulateur de randonnée pédestre pour s'épargner la surprise de la découverte, la rencontre avec un guide de pêche ou un accompagnateur en montagne. Consternant.  

Directeur général d'Atout France, Christian Mantei préfère ironiser. « Ce couple a-t-il un chien ? Si Pepper donne des ordres au berger allemand, ça pourrait se retourner contre eux... Quand on veut faire de la prospective, on cherche les prolongements technologiques, mais on sait avec l'expérience que ce ne s'est jamais ça qui se produit... L'exercice des scenarii est intéressant, mais l'intégration de données géopolitiques, sociales, sociétales vient perturber l'analyse... » Il dit cela en conclusion d'une journée d'échanges qui ont soigneusement évité, justement, de se pencher sur les facteurs d'incertitude rendant totalement incertain, sinon improbable, le futur imaginé comme la suite logique du passé récent et de la technophilie béate de notre présent.

465 participants...

Personne ne parle ainsi des évolutions climatiques ou de l'inéluctable transition énergétique. Ce sont pourtant des « éléments clés », nous indique après les assises Brice Duthion, maître de conférence au CNAM où il est responsable du tourisme. Un exemple : « s'il n'y a pas d'avion électrique d'ici 20 à 30 ans, le transport aérien sera trop cher... » Lors de la table ronde consacrée à la prospective, il explique que les premiers facteurs de certitude sont « trois tendances structurelles qui s'imposent au marché du tourisme. Un, le marché est essentiellement français et la population vieillit, ce que les professionnels semblent ignorer et suppose des innovations. Deux, face au numérique qui a totalement déstructuré l'économie, il y a une nécessité de retour à la nature. Trois, la logique de la destination Bourgogne-Franche-Comté est le passage ».

« Toutes les régions voulant capter les touristes »

Ces remarques ont de quoi doucher les plans tirés jusque là sur la comète. La présidente de région, Marie-Guite Dufay, avait expliqué en ouvrant les assises que « toutes les régions voulant capter les touristes, nous devons magnifier nos atouts et notre attractivité ». Elle a ajouté que « le partage et la solidarité doivent faire la spécificité du tourisme en Bourgogne-Franche-Comté », soulignant le « travail de fourmis irremplaçable » effectué par le maillage « de fermes en gîtes ».

Elle a évidemment évoqué le « sujet sensible » des projets de center parcs de Poligny et du Rousset : « ils sont de nature à booster notre tourisme, mais nous attendons le positionnement de l'investisseur, nous ne savons plus où il en est ». Ce qui peut se comprendre vu les oppositions sur le terrain et les difficultés objectives du dossier qui conduisent Mme Dufay à la prudence : « nous ne les ferons pas à n'importe quel prix, il faut respecter les équilibres écologiques et partager les risques entre investisseurs publics et privés ».

Elle laisse le soin à Patrick Ayache, le vice-président au tourisme en qui elle a « toute confiance », de poser comme premier des « quatre grands défis du tourisme de demain » celui consistant à faire de la région « la première, hors Ile-de-France, pour l'accueil des Chinois en France et en Europe ». Christian Matei est « ravi » de cette perspective. Quand on sait que Pierre et Vacances pourrait passer à terme sous contrôle du conglomérat HNA, numéro quatre du transport aérien chinois, présent dans l'hébergement touristique sur tous les continents, on mesure l'enjeu tout en s'interrogeant.

341.500 Chinois dans la région en 2016

La taille du marché fait évidemment saliver : « 400 millions de Chinois partent en vacances et 106 millions sont partis à l'étranger en 2016, en croissance de 16% par an », explique M Ayache en précisant que « 1,6 million de Chinois ont fréquenté notre pays dont 341.500 dans notre région ». Surfant sur la croissance des touristes internationaux (+3,9% en 2016) portée par les BRICBrésil, Russie, Inde, Chine, s'inscrivant dans la perspective de la France de passer de 84 millions de touristes étrangers en 2016 à 100 millions en 2020, il imagine aller « avec un peu d'ambition » au-delà des 250.000 touristes mécaniquement supplémentaires en Bourgogne-Franche-Comté, en augmentant de « 10% en cinq ans la part de marché ». Moyennant quoi, les 42.000 emplois du secteur passeraient à 46.000.

Il y a quand même des limites. « Les Chinois n'ont pas le temps de visiter ou de manger », note Didier Martin, adjoint au maire de Dijon. Christian Matei, le directeur général d'Atout France, souligne que « le tourisme est une économie de offre, et cette offre crée la croissance de la demande. Mais au niveau mondial, la croissance de l'offre est supérieure à la croissance de la demande... Ces dix dernières années, la France a réduit son offre hôtelière tandis que la fréquentation touristique augmentait de 10 à 12% et les emplois diminuaient de 2%... » Patrick Franchini, président du syndicat des hôteliers jurassiens, en fait la déclinaison locale : « en Franche-Comté, le taux d'occupation des hôtels est de 53%... J'entends qu'il faudrait construire des hôtels, je dis qu'il faut surtout conforter l'existant ».

Les associations représentées
au comité stratégique

Comme il n'y a pas que les hypothétiques villages de vacances en forêt pour dessiner le futur touristique, les assises se penchent sur du plus tangible. Après que le vice-président a présenté les défis et les « six objectifs stratégiques » déclinés en « trente chantiers de court terme 2017-2022 », une question de la salle lui fait préciser que les associations seront représentées au comité stratégique qui doit réunir tous les acteurs une fois pas an.

D'autres interventions illustrent les grandeurs et les misères du tourisme où nombre d'acteurs semblent jouer perso. Mondialement connue pour le tourisme œnologique, Beaune est montrée du doigt par le maire d'Autun, Rémy Rebeyrotte (DVG) : « Les visiteurs circulent sur le territoire, mais Beaune rayonne sur 10 km² et ne sert à rien, elle pourrait rayonner davantage avec une maison du tourisme. Il faut valoriser nos portes d'entrée... » Un Jurassien se demande pourquoi lors des Journées du patrimoine, les restaurants d'Arbois et l'office de tourisme sont fermés. Michel Adam, qui tient cinq chambres d'hôtes à Rougemont où il travaille le cuir et fait visiter gratuitement son atelier, déplore tout haut les refus des offices de tourisme de Belfort et Besançon : « on ne prend que les flyers du Territoire-de-Belfort, dit l'un, il faut adhérer pour 100 euros dit l'autre... » Emmanuelle Flaccus, responsable marketing du musée Peugeot, lui propose immédiatement d'en prendre...

Perspectives à Salins, Prémanon, Mayence...

A contrario, le maire de Salins-les-Bains, Gilles Beder (DVD) ouvre des perspectives : « notre nouvel établissement thermal est au service du territoire, notre défi est de transformer les excursionnistes visitant le musée du sel en touristes, mais pour ça on a besoin d'hébergements. Et pour nos curistes, on manque d'un cinéma. On a transformé notre office de tourisme en EPICétablissement public industriel et commercial et on vend aussi Arbois, Poligny, Dole... » Directeur territorial de VNF Centre-Bourgogne où il a rebondi après avoir été DGSdirecteur général des services du Jura, Bertrand Specq parle tourisme « fluvestre », autrement dit du mariage de la voie d'eau et des véloroutes : « on fait un cinquième des retombées économiques de France, tout près des bateaux mouches parisiens ». 

Le maire des Rousses, Bernard Mamet, compte sur le « tourisme quatre saisons » et « espèrent que les Chinois arriveront par Genève-Cointrin... » pour notamment visiter le nouvel Espace des Mondes polaires de Prémanon. Melita Soost, de la Maison de la Bourgogne de Mayence, devenue Maison de la Bourgogne-Franche-Comté par la grâce de la réforme territoriale évoque les « 1800 demandes supplémentaires » enregistrées l'an dernier : « Les Allemands, qui sont avec 275.000 visiteurs de la région, seconds derrière les Neerlandais (750.000), souhaitent un bon accueil... Nous leur expliquons la fusion, ils sont perplexes quand nous disons Franche-Comté, mais les villes, Belfort, Besançon, Ronchamp, leur parlent... » Reste, qu'il n'est pas simple de s' « adapter aux visiteurs » germaniques quand « neuf CV sur dix ont espagnol comme seconde langue », souligne la gestionnaire du château d'Arlay.

La Caisse des Dépôts est « demandeur
de projets importants dans la région »

Deux financiers ont été invités à la table ronde intitulée adaptation des offres existantes et création de nouvelles offres ». Serge Mesguich, directeur du pôle loisirs et tourisme de la Banque publique d'investissement : « nous avons vocation à intervenir dans de nouvelles entreprises et pour adapter l'existant », souligne-t-il sans trop s'étendre. Il nous précisera plus tard regarder les capacités d'un exploitant à payer un loyer...

Antoine Bréhard, directeur régional de la Caisse des dépôts, va un peu plus loin tout en donnant l'impression de marcher sur des œufs : « Le plus important, c'est le soutien d'investisseurs dans des projets privés soutenus par les collectivités. Mais c'est important que les professionnels aient des savoir-faire, sachent exploiter un équipement... Nous sommes demandeurs de projets importants dans la région ».

On pense évidemment aux projets de center-parcs et à la pause on l'interroge. Il ne dément ni confirme, insiste sur les qualités d'exploitant... Explique qu'il sera à côté des collectivités pour étudier le dossier si Pierre et Vacances le confirme... Comme pour faire contrepoint, Christian Mantei insiste pour sa part sur les TPE et PME qui composent « le tissu économique du tourisme »...

Les outils numériques font irruption lors de la troisième table ronde. Yann Le Fichant parle des six « tribus » touristiques qui vont des assistés aux éthiques, mais c'est pour souligner son scepticisme vis à vis d'une « classification des gens par des algorithmes : le bon angle, c'est l'usage ».  Le Bisontin Ciprian Mélian, directeur général de Livdéo, travaille à « l'accessibilité numérique sans les contraintes du volume » des données. Autrement dit sans avoir besoin de charger des applications. D'ailleurs, dit Yann Le Fichant, « le problème du modèle numérique, c'est que l'utilisateur n'achète pas ». Pascal Minguet, le spécialiste numérique de la région opine : « ce qui compte, ce n'est pas l'application, mais l'information ».

« Le citoyen va percer derrière le consommateur... »

Grands projets ou ubérisation, le tourisme est également concerné. Directeur du musée de Bibracte, Vincent Guichard est le seul à poser directement la question du « seuil d'acceptabilité du tourisme par les populations ». Pierre Simon, président de Doubs Tourisme, suggère d'aider les artisans à ouvrir leurs atelier aux touristes. Pour le jurassien Gilles Tonnaire, du réseau Bienvenue à la ferme (430 fermes, 4000 lits, 50 millions de chiffre d'affaires), le défi est posé par « Airbnb et les labels : on va vite être débordés, c'est un chantier à mettre en place rapidement ». 

Patrick Ayache conclut le colloque : « pour dégager des priorités, il ne faut ni clivage territorial, ni clivage politique... La plupart d'entre vous m'ont fait part de leur accord global sur le schéma régional de développement du tourisme. Il nous reste à consulter les conseils départementaux, le CESER, puis nous doter des moyens financiers nécessaires... »

En fait, le risque de clivage est bien présent, symbolisé par les projets de center parcs, porteurs de dissensions environnementales et anthropologiques... Christian Mantei semble en connaître les tenants : « j'ai longtemps cru à la mondialisation, on ne peut pas s'empêcher de faire un Boboland planétaire. Mais le globish montre que l'anglais langue commerciale a des limites culturelles. Des symboles de la mondialisation sont attaqués, comme les GAFA dont les univers chinois, africains, russes se fichent pas mal. On fait des prolongements technologiques, mais je pense que le citoyen va percer derrière le consommateur... »

 

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