Une amie anglaise du mathématicien Cédric Villani ne comprend pas que la France puisse hésiter entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron... Ainsi posée, l'alternative paraît évidente. Mais la question que beaucoup se posent en leur for intérieur n'est pas celle-là. Ceux-là ont ont d'emblée décidé de ne pas, de ne jamais voter à l'extrême-droite. Celle qu'ils tournent et retournent en tous sens dans leur cervelle est : comment voter Macron ?
Et je dirais même plus : comment malgré Le Pen voter Macron ? Et rien ne sert de morigéner ceux qui s'interrogent, de les traiter d'inconscients ou d'irresponsables. Là n'est pas la question de leur point de vue. Elle devrait plutôt interpeller ceux qui ne comprennent pas qu'ils se la posent.
Parce que dès lors qu'on commence ce travail de compréhension, des tas d'autres questions se posent, stratifiées en couches épaisses et nombreuses. D'abord, on constate que ce sont pas les derniers des abrutis qui se la posent, mais plutôt des gens éduqués et instruits, examinant les leçons de l'histoire dans leurs petites têtes, et même dans leurs conversations.
Si on les écoute un peu plus longtemps, on réalise qu'il est demandé à beaucoup de renoncer à quelques unes des promesses essentielles qui leur ont été faites par la société, comme la lointaine perspective – parce qu'ils sont jeunes – d'une retraite décente à un âge acceptable. Et plus près du présent d'un job correctement payé, dans leurs cordes ; de structures collectives et solidaires ; d'un environnement bichonné ; d'un air et d'une eau purs ; d'une bouffe savoureuse et saine ; de vêtements qu'ils n'aient pas honte de porter parce que fabriqués par des enfants ou des esclaves à des milliers de kilomètres...
Quel rapport avec le vote Macron ? Ben ce dernier, malgré son jeune âge, n'est pas vu comme celui qui peut remettre un peu d'éthique dans ce monde de brutes modelé par le monde des affaires et des businessmen. Certes, il n'a pas l'allure du donneur de coups de matraques, de la marâtre privant de cantine les gosses de pauvres et/ou d'immigrés. Mais sous son aspect policé et civilisé, il est aussi vu comme celui qui risque d'accentuer la confusion entre public et privé, comme un porteur d'eau des milliardaires qui, comme les multimillionnaires, aiment rester entre eux.
Bref, il a beau tenir le discours de la sécurité dans la flexibilité, de la modernité, de l'ouverture et de la tolérance, il est aussi considéré comme le prolongateur des dirigeants qui se succèdent depuis des années, voire leur créature. Et à ce titre comme le possible enfanteur d'une victoire de l'extrême-droite en 2022...
Pour que tout change, il faut que rien ne change. Tel aurait put être la subliminale devise macronienne.
Reste qu'une chose a changé avec cette parodie de débat télévisé de mercredi soir. Il n'y a jamais eu d'hésitation entre Le Pen et Macron, il y avait en revanche une réelle hésitation à voter Macron. Celle-ci s'est certainement, largement, atténuée devant l'éclatante démonstration de la rediabolisation éclair de Marine Le Pen par elle-même. Il faut en attribuer la paternité à Emmanuel Macron qui a accepté que se tienne ce débat nullissime mais salvateur.
Salvateur parce que le travail méthodique d'années de banalisation de l'extrême-droite s'est effondré en une soirée. Ce sale boulot effectué par certains grands médias, par des gouvernants ayant repris des pans entiers du programme du FN... Le masque est tombé : l'extrême-droite ne sert qu'à faire peur. Cette année, bien aidée par un PS moribond et François Hollande qui a préféré dénoncer Jean-Luc Mélenchon plutôt que Marine Le Pen, l'extrême-droite aura empêché un débat de second tour sur de véritables enjeux.
Même Christophe Barbier, l'éditorialiste de L'Express le regrette... Et il n'est pas le seul.