La famille paysanne change aussi

Un colloque de sciences humaines montre des évolutions : « Pourquoi, au moment où cette profession devient une minorité, n'accepterait-elle pas en son sein une autre minorité ? », dit un chercheur à propos de la question homosexuelle.

« Quand on menace les gens, ils ont tendance à protéger une de leurs deux identités, l'identité personnelle, ou l'identité professionnelle et sociale », explique le psychosociologue Camille Amoura, qui a enquêté sur le stress, le contrôle et le désespoir chez les agriculteurs. Une profession où, justement, « la corrélation est forte entre identité personnelle et identité professionnelle ». Toucher l'une interfère sur l'autre. Surtout quand le modèle familial traditionnel prédomine.

Or, à l'instar de l'ensemble de la société, ce modèle évolue aussi dans le monde agricole. Il est « toujours majoritairement familial, mais de moins en moins », constate Dominique Jacques-Jouvenot, prof de sociologie rurale à Besançon. Cela se traduit par « davantage de femmes travaillant à l'extérieur, des exploitants seuls surchargés de travail, une augmentation des divorces, la question de l'homosexualité qui se pose même si c'est dans une relative invisibilité sociale ».

La dépression de l'arrêt précoce

La solitude explique certains abandons précoces du métier qui ne sont « pas tous liés à un échec, mais engendrent tous une dépression », dit Lucie Jouvet. Enseignante-chercheuse à Besançon, elle a étudié plusieurs cas où « la femme travaille à l'extérieur, il n'y a pas de successeur, les parents deviennent trop âgés pour aider et l'agriculteur est surchargé de travail sur une exploitation un tiers plus grosse que la moyenne ».

Le colloque organisé par le laboratoire de sociologie et d'anthropologie de l'université de Besançon sur les transformations chez les éleveurs laitiers dans trois pays, a été le premier à aborder l'homosexualité dans le monde paysan. En France, le sujet est largement tabou.

Les paysans plus homophobes

« Dans les réseaux gays, il y a des communautés d'appartenance professionnelle (médecins, policiers...), des associations visibles dans le paysage syndical, mais pas chez les paysans français alors que cela existe en Allemagne ou en Autriche », explique François Purseigle, maître de conférence à l'université de Toulouse. Sociologue, il est connu pour ses travaux sur l'engagement syndical et les représentations politiques des agriculteurs.

Cette invisibilité entretient une « forte autocensure » qui renvoie à une homophobie plus importante dans le monde agricole. « 53 % des agriculteurs considèrent l'homosexualité acceptable, contre 70 % de la population », explique le chercheur qui a étudié un échantillon de 1 000 agriculteurs. L'homophobie est en outre plus prégnante chez les plus âgés.

Il insiste aussi sur la souffrance des intéressés : « La grosse pression en réunion, du genre : t'es mignon, tu nous fais un petit quand ? » Ou devant le banquier lorsqu'il faut emprunter pour investir dans une installation ou un agrandissement, quand il faut « répondre à des questions intimes sur le mariage ou le projet de transmission de la ferme ». Pour François Purseigle, « des jeunes qui se découvrent gay s'interdisent l'accès à la profession alors qu'ils en ont envie depuis tout petit. Certains se marient, ce qui assure une transmission, et vivent leur sexualité ailleurs, en ville, sur les salons... »

« Les paysans homosexuels ne veulent pas être réduits au gay de service, or les codes du métier les renvoient à cela alors qu'ils ne sont pas en rupture avec la culture paysanne. Même si la question homosexuelle bute sur le cadre de référence de la religion catholique. »

Moderne dans les années 1950-1960, le monde paysan était alors « en avance sur la question de la place des femmes et la contraception, pour un élan collectif, pas seulement pour l'arrivée des tracteurs », dit François Purseigle en posant cette grave question : « Pourquoi, au moment où cette profession devient une minorité, n'accepterait-elle pas en son sein une autre minorité ? »

 

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