Une trentaine de militants et sympathisants de gauche sont réunis ce mardi 28 août en soirée au Scénacle, dans ce qui fut une église, ce dont témoigne notamment un écho caractéristique. S'ils sont là, c'est à l'initiative de quelques adhérents bisontins du PS qui ont en travers de la gorge l'arrêté municipal anti-mendicité pris le 3 juillet par Jean-Louis Fousseret qui était encore des leurs il y a moins de deux ans. Des écologistes et des communistes sont venus, des élus, des militants d'Ensemble ! des militants associatifs, un libertaire engagé dans le Resto-trottoir...
On sent au phrasé de Gilles Lorimier, qui introduit la réunion, que la plaie est aussi vive que l'instant est grave. D'emblée, il évoque la « décision inique de Jean-Louis... Fousseret ». Il marque un temps entre le prénom et le nom. Ajouter un nom à celui qu'il a longtemps appelé par son seul prénom montre la distance qui s'est, en peu de temps, soudainement révélée. Le militant se sent trahi justement là où se situait sa confiance, dans les valeurs partagées de la passion politique. » Nos valeurs sont interrogées par un ancien camarade », dira-t-il plus loin.
« Lier délinquance et mendicité est une hérésie »
Il déplore la « discrétion » ayant entouré la signature d'un arrêté qui « stigmatise », qui a été adopté selon lui sans que les élus présents à la réunion de municipalité du 2 juillet n'aient le texte sous les yeux afin de prendre une « décision éclairée ». Gilles Lorimier en convient, il y a « des problèmes d'alcool et des violences », mais il considère que « lier délinquance et mendicité est une hérésie ».
Il évoque un « combat politique » entre « manières différentes de concevoir la vie ensemble », parle d' « image dégradée de la ville ». Il dit « soutenir » Toufik de Planoise et la Ligue des droits de l'homme qui ont formé des recours administratifs, affirme qu'il manifestera samedi 1er septembre pour le retrait du texte. Il trouve que « déjà pas mal d'avoir rassemblé 200 personnes le 18 août. La criminalisation de la mendicité n'est pas un marqueur de gauche ».
Le tour de table qui suit confirme le choc. Deux lycéennes disent être venues parce que c'est, dit l'une, « la première fois que je me sens concernée par un arrêté ». Jacques Vuillemin, qui fut premier adjoint de Robert Schwint (maire PS de 1977 à 2001), dénonce une « rupture brutale avec la tradition humaniste de la ville », invoque la « question des droits fondamentaux » et la « dignité humaine ».
« Ce n'est pas dans l'habitude des élus PS de consulter les militants... »
Elise Lorimier parle d' « éthique », estime que « la tension sécurité-liberté » dérive « vers la sécurité ». Médéric, nouveau bisontin, trouve que l'arrêté « ne va pas dans le bon sens », expression reprise par plusieurs personnes. Jacques Vuillemin s'interroge sur le fonctionnement interne du PS : « pourquoi y a-t-il un tel délai entre la prise de l'arrêté le 9 juillet et sa révélation le 16 août par la presse ? Il y a eu une volonté de dissimuler. Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'information dans le PS ? Les militants ont le droit de savoir ! » Gilles Lorimier renchérit : « les militants n'ont pas été prévenus, cela n'est pas la première fois, je me pose des questions... »
Adjointe au maire et adhérente du PS, Anne-Sophie Andriantavy est troublée : « il y a un problème de communication dans le PS, ce n'est pas dans l'habitude des élus PS de consulter les militants... » Elle revient sur la fameuse réunion du 2 juillet à laquelle elle a participé : « le contexte était particulier, on venait de vivre des conseils municipaux compliqués, avec des désaccords. J'ai été en désaccord avec mon propre groupe. Nous étions épuisés. Je n'ai pas lu la pièce jointe où il y avait l'arrêté d'autant que le débat n'a pas porté sur la mendicité mais sur les difficultés... J'avais entendu parler par l'adjointe à la tranquillité [NDLR : Danièle Poissenot, LREM] d'un projet d'arrêté et lui avait dit qu'on avait déjà les outils juridiques. Les services m'ont répondu qu'on pourrait intervenir plus franchement... Je ne me suis pas manifestée lors du débat, je me disais que ça allait sortir dans la presse... »
Thibaut Bize, adjoint et président du groupe municipal PCF, explique que la réunion du 2 juillet avait déjà eu « quelques débats chauds sur le contrat de ville, le cœur de ville, Néolia... Sur l'arrêté, nous avions deux pages, et bien plus bas la pièce jointe que je n'avais pas vue... On a appris que cela concernait la mendicité par L'Est républicain du 16 août... Certains élus qui soutenaient l'arrêté sont aujourd'hui moins à l'aise dans leurs baskets. On ne peut qu'être d'accord sur le retrait, c'est un combat politique plus que judiciaire... »
« De nombreux Bisontins ont été blessés par cet arrêté... »
Troublée, l'adjointe Anne Vignot, présidente du groupe municipal EELV, redit ce qu'elle avait expliqué à Factuel (lire ici). Elle ne « s'explique pas comment on en est arrivé là, pourquoi il n'y a pas eu de publicité sur l'arrêté ». Elle « assume qu'on n'a pas fait le travail jusqu'au bout » et propose, outre le retrait, que la Ville fasse « un diagnostic sur la mendicité, sur les violences faites aux femmes... ».
Pour Jean-Paul Bruckert, militant d'Ensemble !, le premier objectif est « le retrait de cet arrêté scélérat, mais on n'y arrivera qu'en construisant l'unité la plus large ». Jean-Sébastien Leuba, élu municipal PS privé de délégation lors du dernier conseil, voit dans l'arrêté présentant « la mendicité comme une entrave au commerce », l'influence des « lobbies économiques » : « il y a des problèmes de tranquillité publique hors de la question du commerce. Pourquoi n'y aurait-il pas un arrêté sur les dealers agressifs de Planoise où j'habite ? »
Elise Lorimier pose la question de « la légitimité d'une décision d'un maire élu sur des idées et qui en a changé... » Antony Poulin, élu EELV, songe à « l'image de la ville : de nombreux Bisontins ont été blessés par cet arrêté... » Il songe aussi à la curieuse situation de la majorité municipale : « On reste pour être les garants du programme de 2014, mais est-ce tenable ? » Pour Thibaut Bize, « c'est une question qu'on se pose tous les jours. Notre limite, c'est le programme. La question est plus profonde que la mendicité, c'est celle d'une société qui met de côté des gens... » Il est également inquiet d'une tendance consistant à « opposer les pauvres aux plus pauvres encore » et s'interroge sur les « classes populaires pas forcément contre l'arrêté à qui il faut aller parler : un accident de parcours est si vite arrivé... »
Les participants à la réunion ont ensuite rédigé un bref texte exigeant le retrait de l'arrêté honnis et appelant à la manifestation de samedi 1er septembre (16 h, place Pasteur). Il vient s'ajouter à une première pétition, lancée il y a une quinzaine de jours par le collectif Je suis assis, qui a recueilli à ce jour près de 3600 signatures.