« Je ne serai pas sage – Michel 78 ans »

Après le médiatique coup de matraque de la semaine précédente, l’acte XXI des Gilets jaunes s’est déroulé à Besançon sans escorte policière ni incident majeur, ce samedi 6 avril. Environ 750 participants ont défilé dans le centre-ville, avant d’envahir pacifiquement les centres commerciaux Pasteur et Lafayette. Un cortège de tête autonome s’est illustré alors que le mot d’ordre initial appelait à un habillement en noir et à la dénonciation illustrée de la répression.

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Samedi 30 mars, l’acte XX avait dégénéré dans un chaos total. Alors que le cortège évoluait dans une humeur festive et détendue, le Préfet Joël Mathurin s'était appuyé sur la présence prétendue d’une poignée de militants désignés comme radicaux et soupçonnés de potentiellement finir par adopter une attitude jugée rebelle. Un simple communiqué confidentiellement diffusé sur internet via Twitter avait invité en conséquence les quelques mille participants à « se disloquer et à quitter immédiatement l’attroupement ».

Aucun heurt n’avait pourtant été signalé avant que la police ne recoure à la force, usant de lacrymogènes et de matraques, d’abord à Saint-Jean puis au niveau de la Préfecture et du pont Canot. Sur ce dernier site la vidéo du coup de matraque d’un CRS sur un gilet jaune pacifique fut particulièrement relayée, contredisant les affirmations du  représentant de l’État. Les syndicats de salariés sont montés au créneau et des appels à la démission ont circulé, notamment sur les réseaux sociaux.

Si bien que les autorités ont été contraintes à lâcher du lest, au point que quasiment aucun cadre sécuritaire n’a été mis en place pour l'acte XXI. Une situation déjà vécue à Besançon le 19 janvier, après de multiples accusations visant le comportement la Brigade Anti-Criminalité (BAC) notamment le samedi précédent et déjà des « imbroglios » de communication. Pourtant le thème de ce samedi 6 avril annonçait « un habillement en noir » et une « diffusion autour de la répression subie ». Alors qu’à Révolution ils ne sont que 300 avant 15 h, le cours de la journée fluctuera à la hausse.

Anti, anti, anti-capitalistes !

Ainsi à 16 h 30 ils sont nombreux à arborer des tenues sombres et des masques de protection. Des dizaines de pancartes sont exhibées : « intimidée mais déterminée », « stop à la répression », « gazé par ce qu’on veut vivre », « quatre gardav’, une perquiz’, matraqué, étranglé, asphyxié », « le R.I.C. pas des coups de trique ! », « vous nous matraquez vous aurez votre retour de bâton », « je ne serai pas sage – Michel 78 ans », ou encore « je pense donc je nuis », « je ne veux plus survivre », « protester ne suffit plus il faut l’action », « le problème c’est le banquier », « tous meneurs... »

Plusieurs banderoles sont également explicites, que ce soit celle de tête - « ils nous traitent comme des chiens, coupons la laisse mordons la main » - ou d’autres en amont : « forces de l’ordre complices de l’assassinat de la Démocratie », « tous ensemble contre le Capitalisme », « lorsque l’injustice devient la Loi, la Révolution est un devoir »… Des graffitis fleurissent dans le tunnel sous la citadelle « la Police tue, la Justice acquitte », « Manu ne descends pas on vient te chercher », « gilets jaunes, colère noire », et plus sobrement aux distributeurs de banque du centre estampillés « voleurs. »

Les messages à même les gilets demeurent plus classiques, appelant à la démission du Président ou composant « trahi par l’Élysée, pays paralysé », « grand-père réveille-toi ils sont devenus fous ! », alors que d’autres laissent apparaître autocollants syndicaux et partisans. Les slogans, entre fumigènes multicolores et pétards, concluent le florilège : « anti, anti, anti-capitalistes ! », « à bas, l’État, les flics et les patrons », « même si Macron ne veut pas on est là », « les jeunes dans la misère, les vieux dans la misère, de cette société là, on en veut pas », « une solution, Révolution. »

Durcissement des mots, sérénité des actes

Le déroulement de la journée sera à l’image de la ferveur ambiante, démonstrative mais contrôlée. Toutefois un premier revers s’opère sur le plan numérique, puisque seulement 700 à 800 participants seront comptés – 600 d’après la Préfecture – soit une baisse significative depuis le début du mouvement. Pour beaucoup c’était le but recherché par les autorités avec le « coup » du samedi d’avant, ainsi plusieurs prises de paroles appuyaient donc la nécessité de ne pas « céder à la terreur distillée » et de voir à nouveau « les familles battre le pavé sans crainte. »

Après un départ à 15 h, le cortège passe à Saint-Jean par la Porte noire. Aucun dispositif policier ne s’interpose ou ne se montre, sans que les scènes de pillages et de brutalités souvent promises par les officiels et certains médias ne se réalisent. Pourtant, dès le passage sous le tunnel de la citadelle un peu plus tard, un « bloc de tête » bien visible se met en place. Ils ne sont qu’une dizaine avec les soutiens directs, engoncés avec les gilets jaunes historiques. Si ce type de groupe autonome n’est plus inédit, tous sont pour la première fois majoritairement des activistes locaux.

17 h à la Gare d’eau. Un premier face-à-face s’opère entre les manifestants et les policiers disposés là pour « sécuriser » le commissariat central. Les interpellations fusent : « comment pouvez vous accepter cela ? », « quel salaire pour ce sale boulot ? », « vous mutilez vos semblables », assènent-ils à des uniformes impassibles. Les gendarmes mobiles, fixés rue Charles Nodier, n’auront pour leur part aucun contact avec la foule. Celle-ci poursuit dans le centre historique, avec pour objectif les grandes galeries commerciales de la zone.

Des vestes à plusieurs milliers d’euros...

Une grande partie des manifestants envahit les passages Pasteur vers 17 h 30, certains hésitants préférent se mettre en retrait. Les services de sécurité, submergés, ne peuvent que laisser faire. Certaines enseignes baissent leurs rideaux, même en l’absence de casse, menaces, ou tentative. La traversée d’une quinzaine de minutes se veut symbolique. En scandant jusqu’à l’essoufflement « anti, anti, anti-capitalistes ! », les gilets jaunes chantent et dansent dans un hall d’habitude dédié à la consommation. Après la java, direction la sortie dans le calame, pour rejoindre la rue des Granges.

Cette fois, ce sont les galeries Lafayette et leurs 38 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel qui sont visés. Arrivée surprise mais détendue, dans l'ardeur chaude de l’action précédente. Certains participants, partisans des ronds-points sur la question des « fins du mois », s’émerveillent devant l’opulence des vitrines. « Je n’étais pas venue ici depuis des années, tout est beau mais les prix sont exorbitants… Clairement, ce ne sont pas des produits pour ouvriers ou précaires », s’emporte une mère de famille qui persévère néanmoins dans une attitude « légaliste. »

Aucun mouvement de foule ou de destruction n'est ainsi déploré, mais certains montrent pourtant leur volonté de se faire un petit plaisir et « prendre une revanche ». Ainsi des parfums haut-de-gamme sont « réquisitionnés » et aspergés sur les personnes qui passent, gilets jaunes, clients, et même journalistes, puis le plus souvent reposés tels quels. Quelques éléments seront néanmoins finalement « collectivisés », la sonnerie des portiques étant pas mal sollicitée. Le circuit se passe tranquillement, et tous repartent Grande rue et la place du Huit septembre.

Un clap de fin savouré

Direction est prise pour l’esplanade des Droits de l’Homme, aux abords de la mairie, où s’amorce une dispersion placide à 18 h. Plusieurs orateurs se succèdent, dont la figure Frédéric Vuillaume. Il exhorte à ne « plus baisser la tête », et surtout fait le bilan de cette 21e mobilisation depuis le 17 novembre 2018 : « à chaque fois qu’il y’a la police, il y’a des incidents ; aujourd’hui aucun uniforme, zéro échauffourée. Monsieur Mathurin porte une responsabilité majeure dans ce cadre oppressif et les affrontements qui en découlent, il faut maintenant qu’il parte ! »

Tous se félicitent de cet enchaînement, et espèrent un regain de vigueur pour l’acte XXII le 13 avril. Une petite centaine décide de poursuivre jusqu’à place Saint-Jacques, alors qu’environ vingt-cinq membres de la police se sont équipés et postés allée Yvonne de Gaulle sur les voies du tram’. Juste pour observation, la dissolution totale du cortège et le rétablissement des transports en communs étant achevés dés 18 h 30. On apprendra par la suite deux interpellations préventives, d’après le parquet pour « détention d’une boule de pétanque et d’un pétard. »

Après la convergence avec les revendications de l’éducation nationale le 30 mars, l’édition à venir s’annonce d’ores-et-déjà en lien avec celles des retraités. Surtout c’est un rassemblement inter-régional qui commence à être proclamé, notamment en direction de Dijon et du nord Franche-Comté. 

 

 

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