Après la fusion administrative de la Bourgogne et de la Franche-Comté intervenue en 2016, le conseil régional a voté son premier budget consolidé le 14 décembre 2018. Ce budget primitif 2019 intègre à la fois un important travail d'harmonisation des politiques publiques et les transferts de compétences en année pleine. Pour Marie-Guite Dufay, présidente de la Région, il s'agit de plus investir que cela n'était le cas dans les deux conseils régionaux précédents additionnés.
La session plénière a durée deux jours. Le 13 décembre, les conseillers régionaux ont respecté une minute de silence en hommage aux victimes de l'attentat de Strasbourg ayant eu lieu le 11 décembre et le 14 décembre, après la mort du tireur, la présidente a eu une nouvelle parole pour la ville alsacienne et pour saluer le courage des forces de l'ordre.
« Le premier investisseur public local »
Le budget met en chiffres la stratégie de mandat définie par la majorité : une région « solidaire et fraternelle » qui « se bat pour l'emploi et pour le pouvoir d'achat », qui « s'engage sur l'accélération et l'adaptation de la transition écologique ». La stratégie financière de la Région revendique « un montant d'épargne brute solide, un accroissement sensible de l'investissement et un endettement maîtrisé » faisant d'elle « le premier investisseur public local ».
Face à ces stratégies, la Région déplore « un contexte national incertain avec la réforme de l'apprentissage », « un encadrement par l’État des dépenses de fonctionnement » plafonnées à une augmentation annuelle de 1,2 %, « une relative atonie des ressources » « des contraintes qui pèsent sur la masse salariale » ainsi que ce qui relève de la conjoncture économique globale (inflation, hausse de taux d'intérêt...).
Pour garantir ses capacités d'action, la collectivité a l'objectif de maintenir son taux d'épargne brute supérieur à 17 % en maîtrisant ses dépenses de fonctionnement (contenues à + 0,7 % par rapport à 2018). Elle a aussi des objectifs de pilotage budgétaire renforcé en fonction des réalisations et de maintien du niveau d'intervention sur les politiques régionales.
Le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER) s'est réuni le 10 décembre pour étudier ce budget. Dans son avis, il a constaté une « hausse notoire des investissements et un budget maîtrisé », ce qu'il appelait de ses vœux. Côté fonctionnement, il incite la Région à réaliser un audit externe « qui aurait pour objectif d’identifier des marges de manœuvre et des gisements éventuels d’économies ». Cet avis a été voté à l'unanimité des suffrages exprimés, les huit représentants de la CGT se sont abstenus après avoir déclaré que « ce budget primitif s’inscrit pleinement dans les politiques d’austérité voulues, décidées, assumées par le gouvernement avec une baisse des dotations, et ceci pour la cinquième année consécutive, les évolutions étant inférieures à l’inflation ».
Proximité et perspective...
Dans sa présentation, Marie-Guite Dufay a donné sa tonalité : un budget « pour voir loin », un budget « pour voir près ». De la proximité auprès des habitants, de la perspective pour construire le futur. Pour la présidente, il s'agit d'une double responsabilité : « aller de l'avant et être dans l'écoute à proximité ». Pour répondre à cette responsabilité, la Région revendique « d'investir fortement en 2019 pour l'avenir de ses habitants ».
Dans cette proximité avec les habitants, la Région fait un geste en direction des abonnés au TER. Un effet de la « double responsabilité ». Premier aspect : la responsabilité d'assumer. Il n'y avait pas eu d'augmentation des abonnements depuis quatre ans, l'harmonisation des tarifs devenait nécessaire sur l'ensemble de la grande région, des services nouveaux ont à être financés (comme le remboursement en cas de retard ou de suppression de train...). Marie-Guite Dufay a rappelé qu'il y a dix ans l'usager payait 32 % du coût d'un trajet en TER contre seulement 25 % en 2018. Du point de vue du conseil régional, il y avait donc potentiellement des marges de manœuvre pour augmenter la participation des usagers.
Un paquet « pouvoir d'achat » d'environ cinq millions d'euros
Second aspect : la responsabilité d'entendre les réactions aux hausses de tarifs. D'où le geste de la Région. Les abonnés mensuels – et les abonnés annuels connaissant des hausses de moins de 5 % – se verront offrir le mois de mars par la SNCF ; les abonnés annuels connaissant des hausses de plus de 5 % se verront offrir les mois de mars et de septembre. De plus, la hausse de 2 % prévue en janvier 2020 est annulée ; cela représentera un million d'euros de recettes en moins pour la collectivité.
En avant-première, la présidente a aussi annoncé qu'un paquet « pouvoir d'achat » d'environ cinq millions d'euros, financé par une diminution des dépenses, devrait être proposé à la session de mars 2019. Marie-Guite Dufay a esquissé quelques pistes concernant les solutions que l'on pourrait retrouver dans ce paquet : covoiturage organisé et conventionné en milieu rural, « ticket mobilité » sur le modèle des Ticket Restaurant®, saisie de la Conférence Territoriale de l'Action Publique pour travailler sur la mobilité en milieu rural et périurbain.
Le consentement à l'impôt en question
Les propositions d'amendement et les explications de vote ont révélé des visions politiques très éloignées entre les trois groupes. L'opposition LR-UDI-DVD est revenue sur la question de la fiscalité. Le président de la commission des Finances, Alain Joyandet (LR,) a exhorté la présidente à baisser les taxes sur les cartes grises. Il a aussi critiqué « l'usine à gaz » que représenterait la hausse du SMIC évoquée récemment par le président de la République en disant craindre que la Région ne s'engage dans un schéma similaire. En réponse, Marie-Guite Dufay a reconnu « une ligne de fracture » sur la question de la fiscalité : « je crois fondamentalement au facteur redistributif dans l'action publique pour des populations bien ciblées ». Une position qui a fait bondir Pascal Grappin (UDI) dénonçant une politique « confiscatoire par le niveau des prélèvements des revenus ».
Pour François Sauvadet (UDI), c'est le « niveau d'impôts qui est devenu insupportable ». Il a dit voir « une erreur d'analyse majeure » dans la politique redistributive de la Région et trouver « scandaleux d'afficher un million d'euros de plus pour de la communication ». Par ailleurs, le président du groupe Union de la Droite et du Centre s'est inquiété de l'efficacité du service public et espère que la généralisation de la gratuité des transports scolaires à compter du 1er septembre 2019 n'entraînera pas une baisse de la qualité du service.
Chudzik (extrême-droite) : « Pas contradictoire de vouloir moins de taxes et plus de services publics » !
Lors de son explication de vote, Julien Odoul (RN) a mis en garde l'exécutif contre la colère des « gilets jaunes », même s'il s'est félicité que l'exécutif « lâche du lest » avec des mesures pour le pouvoir d'achat : « ce mouvement va s’intensifier » avec un effet « cataclysmique » du prélèvement à la source en janvier 2019. L'élu icaunais a dénoncé un « budget de spoliation » et a prédit un dégagisme « avec des fourches ». Durant les deux jours de sessions, les élus du Rassemblement National ont déposé plusieurs amendements. Ils ont tous été repoussés par la majorité tandis que le groupe de l'Union de la Droite et du Centre ne prenait pas part au vote, comme à chaque fois qu'il s'agit de voter une proposition du RN (ex-FN).
Faisant référence, lui aussi, au mouvement des « gilets jaunes », vu comme une « insoumission généralisée », l'ex-Les Patriotes Antoine Chudzik est intervenu dans les échanges pour dénoncer une « hypocrisie constante » menant à augmenter les taxes pendant que « depuis trente ans, les services publics disparaissent ». Pour lui, « ce n'est pas contradictoire de vouloir moins de taxes et plus de services publics ». L'assistant parlementaire de la députée européenne Sophie Montel a lancé aux élus locaux : « est-ce que vous faites votre introspection ? ».
De plus en plus de richesses de moins en moins bien réparties
Jérôme Durain, président du groupe majoritaire Notre région d'avance (PS-PRG-DVG), a répondu à l'opposition en voyant « importer » dans le débat sur le budget, « les dogmes, les convictions, la philosophie politique (...) qui valent plutôt pour le débat national, voire au-delà ». Pour l'élu de Saône-et-Loire, la France produit de plus en plus de richesses de moins en moins bien réparties donc la question n'est pas « celle de la fiscalité mais celle du salaire » : « la richesse ne va pas à ceux qui la produisent ». Avant de rappeler les engagements du conseil régional, le socialiste a dit voir dans les propos de Julien Odoul « une forme d'appel à la haine, (...) une violence latente qui est insupportable ».
Le vote formel a concerné, d'une part, la section d’investissements de 820,8 millions d'euros en crédits de paiement et 692,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et, d'autre part, la section de fonctionnement à hauteur de 1,429 milliards d'euros en crédits de paiement et 885,4 millions d'euros en autorisations d'engagement. Sur 99 votants (Sophie Montel, ex-FN, étant absente), les groupes UDC et RN, ainsi que ex-Patriotes, ont voté contre (soit 44 voix), 4 non-inscrits (ex-FN) se sont abstenus tandis que les 51 élus de la majorité votaient pour.
Les transports, premier budget d'investissement
En crédits de paiement, le budget 2019 s'élève à 1,6 milliards d'euros (hors gestion active de la dette). Les dépenses de fonctionnement augmentent de 0,7 %. La dette augmente légèrement, le ratio prévisionnel de désendettement, de 3,3 ans, restant inférieur à la moyenne des Régions. Les dépenses d'investissement seront de 692,6 millions d'euros en autorisations de programme (+ 47 %) et de 490 millions d'euros en crédits de paiement (+ 20,9 %). Les investissements seront principalement orientés vers les lycées (rénovation des bâtiments), les trains (rénovation du matériel ferroviaire roulant, amélioration de la qualité du réseau ferré, amélioration de l'accessibilité des gares) ainsi que les contrats de territoire et les contrats métropolitains.
Les transports seront le premier poste d'investissement de la Région avec 692,6 millions d'euros (autorisations de programme et autorisations d'engagement), soit une hausse de 9,63 %. Un budget qui permettra notamment d'acquérir de 16 à 18 nouvelles rames Régiolis. Rames pour lesquelles le CESER a alerté la Région sur des coûts d'entretien et de maintenance, plus élevés sur les précédents Corail alors que leur capacité en voyageurs serait inférieure de 30 %. Le CESER a aussi déconseillé à la Région de souscrire des emprunts sur 40 ans pour financer l'achat de ces rames.
Commander son billet de train et le recevoir par la Poste
Toujours côté train, la présidente s'est félicitée de l'aboutissement du chantier Belfort-Delle et a dit souhaiter interpeller SNCF Réseaux pour éviter une « double peine » au Jura : retard de modernisation sur la ligne de Revermont et fin des arrêts TGV. Elle a demandé à ce que les travaux du TGV Rhin-Rhône soient poursuivis. La Région va bientôt acquérir 5.620 m² de bureaux, livrés en 2021, sur le site situé à proximité de la gare de Besançon-Viotte pour favoriser l'usage du TER par ses agents et réduire les durées de transport entre Dijon et Besançon.
Pour sa part, Michel Neugnot (Premier vice-président, en charge des finances, des ressources humaines, de la modernisation de l’administration, des transports, des déplacements et de l’intermodalité) a annoncé une première en France : commander son billet de TER et le recevoir chez soi distribué par La Poste, gratuitement à partir du 1er janvier 2019 en appelant le 03 80 11 29 29 (coût d'un appel local).
Il a aussi présenté le concept de « mobility as a service » (MAAS) : un seul clic pour l'ensemble de la billetterie de différents modes de déplacement d'un point à un autre. La Bourgogne-Franche-Comté pourrait être la première région de France à avoir cette ambition pour son système d'information multimodale Mobigo.
Une prime exceptionnelle pour les agents territoriaux les plus modestes
Si la Région entre dans la dernière phase de la mise en œuvre opérationnelle du contrat social avec des mesures en faveur des agents, la présidente a néanmoins annoncé en début de session plénière une prime pour la plupart des 3.000 agents. Marie-Guite Dufay a ainsi réagi à la demande d'Emmanuel Macron faite auprès des entreprises afin qu'elles versent une prime exceptionnelle de soutien au pouvoir d'achat. La présidente souhaite qu'in fine l’État exonère cette prime de cotisation sociale. Cette prime régionale est destinée aux agents les plus modestes (en particulier les agents des lycées), les cadres supérieurs n'en bénéficieront pas. Elle sera de 200 euros pour les agents dont l'indice est inférieur à 400, 150 euros pour les indices de 400 à 600 et 100 euros pour les indices supérieurs à 600. Selon nos informations, l'enveloppe globale devrait représenter un effort d'un peu moins d'un million d'euros pour la collectivité.
En dehors de cette prime surprise, la Région offre 20 euros aux agents ayant souscrit un contrat de prévoyance labellisé, 20 à 30 euros sur les contrats santé. De plus, l'enveloppe déjà dédiée à la politique de prévoyance et de santé des agents sera abondée de 510.000 euros supplémentaires.
Reconnaissant la charge particulière de travail liée à la fusion des deux conseils régionaux, la présidente a remercié « les agents [qui] ont traversé la tempête de la fusion » avant de préciser que les coûts administratifs respectifs des conseils régionaux de Bourgogne et de Franche-Comté tendaient vers 18% tandis que celui du conseil régional fusionné est de 14% grâce à des économies d'échelle. Des mesures de soutien aux agents seront mises en place : recrutement de 36 contractuels (sur des périodes allant de un à six mois) pour aider les directions à résorber les dossiers en souffrance, analyse et simplification des procédures et dispositifs régionaux, rationalisation et externalisation de certains missions, étude de risques psychosociaux ou création de postes. Le conseil travaille aussi au regroupement des agents régionaux au sein d'antennes territoriales dans les chefs-lieux de département.
« Pas d'écologie sans solidarité »
Si les grandes lignes politiques présidant à l'établissement de ce budget 2019 ont révélé des « fractures », des « fossés » entre la majorité et les oppositions, certains aspects particuliers du budget ont copieusement alimenté les débats. Non des moindres, le principe d'écoconditionnalité que la présidente de la Région a dû défendre devant des élues UDC craignant que cela n'empêche des collectivités de financer des travaux.
Pour Marie-Guite Dufay, « il nous faut trouver des ressources pour rentrer dans une société moins carbonée et donc plus respectueuse de notre climat et de l'environnement. Mais on ne peut s'adresser de la même façon à ceux dont les revenus ne les amènent pas à compter en fin de mois et ceux qui ne parviennent déjà pas à faire face à leurs fins de mois. Pas d'écologie sans solidarité ». La Région entend montrer l'exemple : « il faut aller vers là où c'est le plus efficace (...). Lutter contre le réchauffement climatique, ça exige des moyens. C'est un investissement pour l'avenir, ça coûte moins cher après en fonctionnement ».
Matériaux biosourcés et réseaux de chaleur...
La vice-présidente en charge de la transition écologique et de l'environnement, Frédérique Colas, a précisé que ces critères d'écoconditionnalité concernent principalement le secteur du bâtiment pour des performances énergétiques qui ont vocation à atteindre le label « bâtiment basse consommation » (BBC). Seuls les travaux prévoyant l'obtention in fine de ce label seront cofinancés par la Région. La collectivité sera aussi attentive à l'emploi de matériaux biosourcés. Il pourra y avoir une certaine souplesse pour des infrastructures complexes comme les équipements sportifs.
Les lycées seront incités à se raccorder à des réseaux de chaleur ou à mettre en place une chaufferie bois. Les hébergements touristiques seront accompagnés sur la gestion de l'eau et des flux d'énergie. Concernant ce thème, le CESER « souhaite cependant que la Région apporte une attention toute particulière à la question de la rénovation énergétique des logements des particuliers, prenant en compte les difficultés de certaines populations, le caractère rural de la région et les caractéristiques de l’habitat en Bourgogne-Franche-Comté ».
La Région montrera donc l'exemple en rénovant ses lycées mais pas seulement. Au niveau des véhicules utilisés par les agents, la Région cherchera à réduire la part du diesel et à acheter des véhicules électriques et hybrides pour aller vers 20 % de véhicules « propres ». Les achats publics seront aussi scrutés afin de surveiller l'approvisionnement en eau ou encore le recours aux matériaux plastiques.
Soutien à l'éolien, au solaire et à l'agrobiologie
L'ambition de Frédérique Colas est que la Bourgogne-Franche-Comté soit en mesure d'« être une région à énergie positive, être une région zéro déchet ». Cela passe par l'instauration de ces critères d'écoconditionnalité dans l'ensemble des politiques et dispositifs publics, par le soutien à la filière éolienne et par le développement d'une filière solaire.
Toujours sur le plan de l'écologie, Gilles Demersseman (conseiller délégué à l'agriculture), en présentant le rapport sur l'agriculture, a annoncé 500.000 euros pour soutenir le maintien des exploitations labellisées Agriculture Biologique, cela afin de prendre le relais de l’État qui ne finance plus que le fait de s'installer ou de se convertir à la bio. Pour l'élu, « les circuits locaux sont aussi des circuits rémunérateurs » : 50% de l'approvisionnement de la restauration scolaire sera faite avec des produits locaux dont 20 % en bio. Au sujet des circuits courts, Marie-Guite Dufay a précisé que « la transformation est le sujet de fond, la création de valeur », « nos actions de filière y contribuent ». Par ailleurs, concernant les 11 millions de repas servis chaque année dans les lycées, la Région va travailler à une labellisation commune avec le rectorat Écolycée/E3D afin de lutter contre le gaspillage alimentaire.