Hôpital de Saint-Claude : le Haut-Jura ne lâche rien

Une nouvelle manifestation de soutien à la maternité, à la chirurgie et aux urgences de la petite ville de montagne a réuni 1200 personnes samedi 24 mars. L'exécutif du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a décidé de ne pas voter le Schéma régional de santé de l'ARS soumis à consultation des collectivités jusqu'au 6 mai.

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La manifestation de samedi 24 mars dans les rues de Saint-Claude n'est ni la première ni la dernière initiative destinée à montrer la détermination de la population du Haut-Jura pour garder la maternité, la chirurgie et les urgences de l'hôpital Louis-Jaillon. Réunissant 1200 personnes (1500 à 2000 selon les organisateurs), ce n'est pas la plus nombreuse, mais qu'importe. De défilés en réunions publiques, de tribunes en pamphlets, de pétitions en délibérations de conseils municipaux ou concerts de soutien, une très large majorité des 60.000 Haut-Jurassiens s'est un jour ou l'autre prononcée contre la perspective dessinée par l'Agence régionale de santé.

Ce samedi ensoleillé, ils sont venus de tout un secteur où vivent 60.000 personnes, parfois jusqu'à 1200 mètres d'altitude. Ils sont descendus de la haute chaîne comme les maires de Lajoux ou des Rousses, venus de Petite montagne, de la ville ou des alentours, ils sont sportifs, personnels de santé, artisans, retraités, ados, familles... Il y a quelques banderoles syndicales (CFDT, CGT), quelques signes politiques (PCF, France insoumise), surtout des messages dépassant les clivages traditionnels.

Comme dans les manifestations précédentes, Jean-Louis Millet et Francis Lahaut sont côte à côte. Le maire souverainiste de droite et son prédécesseur communiste montrent à la face des montagnards une unité indispensable. « L'adversité nous amène à être potes », dira Millet à la fin des prises de parole qui se succèdent sur le parvis de l'hôpital. Sourires. L'alliance est sans doute de circonstances et l'heure n'est pas à la division. Et si celle-ci pointe, c'est au sein de la droite locale : le maire souffle que sa binôme au conseil départemental, Christine Sophoclis, et la députée Marie-Christine Dalloz (LR), sont passées du côté de l'ARS...

« Ne croyez pas que tout est foutu, bien au contraire »

Mais on n'entend pas d'attaque pour les locaux dans des discours. Les flèches sont pour l'ARS, pas même pour Jacques Pélissard, le maire de Lons-le-Saunier, à qui il fut reproché de tirer la couverture à lui. Jean-Louis Millet égratignera aussi Annie Genevard, députée LR du Doubs et maire de Morteau, en tant que secrétaire générale de l'ANEM, l'association nationale des élus de la montagne : « je lui ai écrit le 22 juin à propos de la non application de la loi montagne, elle ne m'a pas répond, je l'ai relancée... » Il critique aussi la position des élus au sein du comité territorial de santé, réuni le 26 février à Lons-le-Saunier : « nous étions dix, je suis le seul à avoir voté contre le projet médical partagé... »

A part ça, c'est donc l'union sacrée et les approches diversifiées qui se complètent, présentant des actions qui s'additionnent et donnent de la force, alimentent la détermination collective. En outre, ce n'est pas le moment d'entretenir les divergences alors que la fermeture de la maternité est annoncée pour les premiers jours d'avril. « Ne croyez pas que tout est foutu, bien au contraire », tonne André Jeanet, le président du comité de défense et de soutien de l'hôpital. Il demande « l'arrêt immédiat des fermetures de lits », dénonce « l'offre de l'ARS » comme « le tombeau des Hauts-Jurassiens », annonce des actions juridiques et promet quasiment du sang et des larmes : « Vous croyez qu'en 39-45, ça s'est arrêté en un an ? Continuons ! »

« Nous ne sommes pas seuls ! »

Francis Lahaut prononce un discours argumenté et enflammé, ponctué de « nous ne sommes pas seuls ! » Il élargit le combat des Hauts-Jurassiens qu'il place dans un contexte global de mobilisations qui touchent le pays tout entier. Des « 1200 praticiens hospitaliers demandant un moratoire sur les fermetures au cri d'alarme des urgentistes qui veulent des lits d'hospitalisation en aval, c'est l'hôpital qui est malade ! » Il vilipende les « technocrates » dirigeants les quatorze ARS du pays, « clones » les uns des autres.

Il cite le président de l'AMUFassociation des médecins urgentistes de France Patrick Pellous « halluciné » après sa rencontre avec l'ARS d'Ile-de-France : « on parle vécu, salles d'attente bondées, erreurs d'orientation... En face, les jeunes technos répondent : on va évaluer, faire des statistiques, réfléchir et vous revoir dans huit ou dix mois... Alors qu'on est passé de 8 millions de visites aux urgences dans les années 1990 à 21 millions aujourd'hui... »

« On ferme et on maintient ! »

Francis Lahaut ironise à propos d'un entretien accordé au Progrès par le préfet du Jura il y a quelques jours : « Il comprend le sentiment d'abandon du Haut-Jura ! Bravo, belle analyse. Quelle solution ? "Des mesures fortes pour atténuer la tendance" ! 40.200 euros de dotation d'équipement des territoires ruraux pour Saint-Claude sur un budget d'investissement supérieur à 6 millions ! En réponse aux fermetures à l'hôpital, de la ligne SNCF vers Oyonnax, le préfet répond par le maintien des services publics ! On ferme et on maintient ! »     

Lui aussi inscrit le combat dans la durée : « il ne s'arrête pas aujourd'hui, ce n'est pas un baroud ». Il évoque surtout les convergences. Il présume qu'elles donnent du courage et répète : « nous ne sommes pas seuls » en parlant de la rencontre du 21 mars à Arc-les-Gray où se sont réunis une vingtaine de comités de défenses de services hospitaliers menacés en Bourgogne-Franche-Comté. « On va organiser mi-mai une manifestation géante à Dijon devant l'ARS, avec citoyens, élus, personnels, pompiers... » La foule applaudit. Peu avant, dans les rues, on criait, chantait, dansait au son de la grosse caisse...

Il continue : « On demande aux élus de se prononcer contre le Projet régional de santé, au conseil régional de voter contre... » Un instant plus tard, Frédéric Poncet, conseiller régional (PS) du coin, dit à la tribune que le message a été entendu : « la présidente Marie-Guite Dufay et l'exécutif ont décidé de ne pas voter le schéma régional de santé de l'ARS... Un Etat qui n'écoute pas les besoins de la population, je n'ai pas dit ses revendications, bafoue la démocratie ». Ça promet pour la séance du 10 avril où l'ARS sera reçue par le conseil régional...

Francis Lahaut évoque enfin les menaces judiciaires qui appuient la lutte : « les imbéciles qui ont décidé de fermer notre maternité auront des comptes à rendre ». Il invoque l'exemple d'Oloron Sainte-Marie où, depuis la fermeture de la maternité au profit d'un centre de néonatalogie en décembre, trois accouchements en urgence ont dû être réalisés sur place au lieu de Pau, à plus de trois quarts d'heure de route. Et bien davantage si l'on vient des hautes vallées des Pyrénées Atlantiques. L'argument a servi devant la justice administrative pour la réouverture, pour l'heure en vain.

« Combien faudra-t-il de morts pour qu'on se rende compte
qu'en montagne il faut opérer les gens sur place ? »

Reste que la problématique mérite d'être examinée, tant sur le plan du bien-être que du point de vue statistique, ce que fait le médecin retraité Jean-Paul Guy. « Sur 350 naissances par an, il y à 5 à 6% de césariennes, mais comment en faire dans une ambulance dans les trois minutes en cas d'urgence ? On risque d'avoir entre 5 et 20 enfants morts ou handicapés par suites de lésions cérébrales irréversibles », dit-il soulevé de colère et d'émotion. « Une dizaine de personnes sont sauvées chaque année à Saint-Claude par la chirurgie. L'urgence, c'est celle de nos vies, de nos enfants, des touristes ! Combien faudra-t-il de morts pour qu'on se rende compte qu'en montagne il faut opérer les gens sur place ? C'est sur ces vies que vous serez jugé M. PribillePierre Pribille est directeur-général de l'ARS Bourgogne-Franche-Comté ! »

Ancienne déléguée CGT de l'hôpital, infirmière retraitée, Annette Bouillon pointe, au nom des personnels, la contradiction entre les préconisations de la Haute Autorité de Santé selon qui « un accouchement doit se faire dans un établissement » et le projet de l'ARS : « alors pourquoi fermer une maternité ! Nous refusons ce mépris au 21e siècle dans un pays riche ! »

Jean-Louis Millet s'alarme des risques sanitaires : « il y aura de la casse humaine, même dans les ambulances, s'il y en a... Ils sont sourds ! Quand je lis M. Pribille dans Le Progrès dire que les gens font des détours pour éviter l'hôpital de Saint-Claude, on sait qu'il y a eu des problèmes, des praticiens dont on se serait bien passé, mais il y a surtout des gens brillants. Mettre tout le monde dans le même sac est une honte ! »

« Contester » en droit les fermetures, et « faire rouvrir les services qui fermeraient »

Il dénonce la « maltraitance » à l'égard du personnel « condamné à l'incertitude quand il ne savent que depuis quelques jours qu'ils feront de la chirurgie ambulatoire deux fois 10 heures le lundi et le mardi. J'ai demandé au comité territorial de santé qu'on transforme ça en cinq fois 8 heures. On m'a répondu : "on verra"... » Le maire de Saint-Claude annonce enfin avoir contacté l'avocat des défenseurs de l'hôpital d'Oloron-Sainte-Marie pour « contester » en droit les fermetures, et « faire rouvrir les services qui fermeraient »

Au premier rang de la foule, une employée de l'hôpital hurle « tous ensemble, tous ensemble » ! Jean-Louis Millet hésite une seconde, ce n'est pas vraiment sa culture politique et sociale... Il dit pourtant : « c'est le mot qui convient. Il ne faut pas de désespérance, pas de résignation. C'est un combat usant, mais il faut se reposer quelques jours avant de repartir à la guerre ! »

C'est sur la rythmique du Chant des Partisans que Sandrine Paulat égrène, en s'excusant d'avance de son cynisme, l'abécédaire des « futures victimes mortes au champ du déshonneur de l'ARS... » De « Madame A comme AVC » à « X, Y Z comme vous et moi » en passant par « L comme lycéen dont la batterie du portable a explosé » et « W comme virages verglacés »... L'humour est grinçant, mais la foule rit tandis que les cris « Résistance » se mêlent à la Marseillaise.  

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