Gilets jaunes, la mobilisation n’a pas faibli durant les fêtes

Alors que s'annonce l'acte 9 du mouvement et que le gouvernement envisage d'accentuer l'arsenal répressif, les deux manifestations bisontines des 29 décembre et 5 janvier ont rassemblé environ un millier de participants. Depuis les début du mouvement, 54 personnes ont été interpellées à Besançon et plusieurs condamnations ont été prononcées.

gjt3

Depuis près de deux mois, le mouvement perdure, s’enracine, et se décline. Ni la durée dans des conditions difficiles, ni les affrontements, ni la période des fêtes propice au relâchement, ni les annonces du Pouvoir, et ni la répression, n’amorcent une fin du conflit. Il faut dire qu’aucun « responsable » n’apparait disposé à faire le nécessaire : parler concrètement des revendications, tout ce qu’il est possible d’autrement entreprendre été tenté. Au jeu dangereux de « qui lâchera le premier, » le pot de fer peut-il l’emporter cette fois ?

Deux samedis de mobilisation

Les 29 décembre et 5 janvier, la mobilisation des « gilets jaunes » s’est poursuivie à Besançon. La première date, acte VII, est restée revendicative mais calme avec un gros parcours dans le centre-ville et un passage par le tunnel de la Citadelle. Les plus meneurs étaient apparemment décidés à calmer le jeu, et ont signifié la fin de l’événement au niveau de la Mairie.

Quelques irréductibles se sont toutefois engagés jusque vers la Préfecture, reprenant les traditionnels affrontements. Ceux-ci ce sont poursuivis pont Canot, à la City, et jusque place Leclerc, où une publicité a été cassée et quelques poubelles incendiées, avant une dispersion à Battant et un lot de huit interpellations. La situation redevient dès lors bien plus détendue que le 22 décembre, summum hors-norme.

Le vendredi suivant, une réunion de concertation s’est tenue pour évoquer les pistes pour la suite. Et le 5 janvier, une nouvelle parade sera organisée.

Parti comme d’habitude de la place de la Révolution, le cortège a rejoint le parc des Glacis près de la Gare. Après un moment de commémoration « en hommage aux victimes du mouvement » accompagné de bougies, des policiers de la Brigade Anti-Criminalité (B.A.C.) restés à proximité sont chassés sans ménagement et contraints de fuir. Le mot d’ordre est cependant clair : pas de débordement !, et rue de Belfort un jeune avec un pavé est sommé de se reprendre.
Après un détour aux Chaprais devant la permanence du député Eric Alauzet (LREM), les manifestants sont repassés par le tunnel de la Citadelle pour aboutir devant le Commissariat central. Ils ont été dès lors tenus en joue, à hauteur de visage mais à distance, par des uniformes armés de flash-ball. Plusieurs tiennent toutefois à poursuivre leur « recueillement » pour soutenir les prisonniers du mouvement, alors que le gros de la foule poursuit en confrontation à Chamars-Préfecture.

La plupart du temps, les deux manifestations ont été globalement paisibles mais fermes. On y retrouvait les mêmes profils, notamment des ruraux et des militants. Et surtout des leitmotiv identiques appellant à la démission du Président, au partage des richesses, à la fin des violences policières, ou encore au référendum d’initiative citoyenne (R.I.C.). Une réalité très significative que ne peut, même si elle est toute aussi prégnante et même partagée, effacer l’aspect plus insurrectionnel de conclusion.

Une guerre des chiffres

Les premiers chiffres annoncés par la Préfecture et relayés par voie de presse annonçaient une participation en net recul le 29 décembre, de 300 manifestants à 14h au lieu de rendez-vous jusqu’à 500 au fil du cortège. Les actes précédents avaient compté entre 700 et 1 400 « gilets jaunes » selon les sources. Au cœur de la mobilisation, où beaucoup scrutaient les réseaux sociaux à travers leur téléphone, la nouvelle n’a pas tardé à se répandre comme une traînée de poudre, provoquant colère et rejet, en particulier contre « les médias. » Les autorités concèderont par la suite une évaluation de « près de 900 personnes au niveau du tunnel de la Citadelle », soit davantage que notre analyse à ce moment là du parcours.

Par rapport à d’autres villes plus importantes, la capitale comtoise aurait selon ces estimations, flirté avec les affluences de Nantes, Rouen ou Marseille (environ 1.000 personnes), faisant même mieux que Paris (800 à la même heure). Le gouvernement n'évoquait vers midi que quelque 12.000 manifestants... sur toute la France. Cette donnée incomplète ne devait logiquement pas permettre de tirer des conclusions ; c’est pourtant elle qui a alors fait les gros titres, alimentant les analyses de nombreux quotidiens et plateaux télévisés.

Se trouvait ainsi largement évoqué un « essoufflement », une « baisse significative », des « suites timides », la « faible affluence », et le « recul continu ». En s’amusant à reprendre ces éléments de communication, sans tenir compte des réserves émises, et incluant d'autres sites de la région – 200 participants à Belfort – la Franche-Comté aurait pesé à elle seule pour au moins 10% de la mobilisation nationale alors qu’elle représente moins de 2 % de la population ! S'il est toujours difficile de quantifier les foules, notamment avec les fluctuations selon les heures et le parcours, il est certain qu' une véritable guerre de communication est menée.

Elle ne manquera pas de raviver la critique et la défiance le samedi suivant, où davantage de manifestants étaient présents. « Nous sommes quatre en ce moment, surtout ne vous trompez pas ! », n’hésitent pas à lancer certains Gilets jaunes aux caméras de France 3 Franche-Comté. Mais cette fois, participants et observateurs s’accordent sur une mobilisation « au moins aussi importante que la précédente si ce n’est plus », soit entre 900 et 1.200 personnes.

Une répression inédite

Sur le plan tactique, la stratégie des Autorités est celle d'une coercition à son paroxysme. Le maintient inconditionnel de l’ordre est en effet martelé comme une priorité par les principaux intervenants que sont le Préfet du Doubs, Joël Mathurin, le Procureur de la République, Étienne Manteaux, et le Directeur départemental de la Sécurité publique, Benoît Desferet. L’objectif principal est de mettre fin aux heurts, qui persistent chaque semaine, traduisant l'impuissance des pouvoirs publics à se sortir de la crise.

Pour cela tous les moyens semblent acceptables, y compris le franchissement de certaines limites morales et légales. Ainsi, les barrages filtrants où les policiers fouillent chaque personne souhaitant rejoindre le lieu de ralliement de la manifestation. De très nombreux témoignages font état d'abus, de confiscations arbitraires, qui, outre les lunettes et masques de protection, investissent désormais le champs médical, puisque les dosettes de sérum physiologique et trousses de premiers secours sont ainsi réquisitionnés.

Tant dans le secteur de la préfecture, que lors des moments de dispersions, l'usage des gaz lacrymogènes est drastique. Ceux-ci font des dégâts dans les rangs des manifestants, parfois démunis. On observe des malaises, des vomissements, des personnes sont incommodées et certaines sont hospitalisées.

54 interpellations depuis le 17 novembre

Les gendarmes mobiles, aux effectifs renforcés, interviennent également en-dehors de leur point de base. Ainsi, samedi 5 janvier, alors qu’une centaine de gilets jaunes se trouvaient encore pont Canot vers 18h30, des dizaines de gendarmes mobiles se sont lancés à l’assaut, les talonnant sans répit le long du parc Chamars puis de la Gare d’eau, assiégeant et embrumant littéralement ce dernier. Une véritable « chasse à l’homme » pour certains témoins parlant « d’acharnement sur des gens inoffensifs et qui partent. »

La réponse pénale, logiquement, suit. Au niveau national on recensait en un mois plus de 4.500 gardes-à-vue et 219 incarcérations. Sur Besançon, le parquet avait promis « la fermeté » qui s'est vérifiée avec 54 interpellations du 17 novembre au 5 janvier. Les suites les plus lourdes, requises pour un non-respect de contrôle judiciaire, des coups portés sur un policier, et la possession de produits inflammables, aboutiront à une détention provisoire et deux jugements de prison ferme de deux et quatre mois à purger immédiatement.

Les autres condamnations les plus importantes sont, au terme d'une procédure de composition pénale, une peine de six mois de prison pour le jet d’une bonbonne d’acide, une condamnation à huit mois de sursis pour dégradations et tirs de billes en acier avec une fronde. Toutes sont assorties de longues mises à l’épreuve et d’obligations comme travailler et se soigner. Pour le reste, il s’agit surtout de contraventions, rappels à la loi, et stages de citoyenneté, sanctionnant principalement des faits jugés mineurs dont la fameuse « participation délictueuse à un attroupement ».

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !