Gestion de l’eau à Dole : une décision puis un débat

Conséquence de la victoire de Jean-Marie Sermier (UMP) sur Jean-Claude Wambst (PS) en mars dernier : la perspective de passer d'une gestion concédée à la Lyonnaise à une régie publique s'envole. Le nouvel élu a choisi une société d'économie mixte à opération unique, puis organisé un débat... Dans le même temps, une coordination jurassienne veut construire un observatoire.

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Dole inaugurera le 1er janvier 2016 un type nouveau de partenariat public-privé pour gérer l'eau et l'assainissement, la Semop ou société d'économie mixte à opération unique. Le conseil municipal en a pris la décision de principe le 10 novembre (compte-rendu ici) et devrait l'adopter formellement le 15 décembre.

A peine élu maire, en mars dernier, le député Jean-Marie Sermier (UMP) laisse entendre sa préférence pour une société d'économie mixte. Le lendemain de l'adoption définitive par le Sénat, le 18 juin, de la loi instituant la Semop, et avant même a promulgation le 1er juillet, il opte pour le nouveau dispositif, comme l'indique alors le site Localtis.info. Cette décision annoncée provoque le dépit du collectif Eau Dole qui défend depuis plusieurs années le retour en régie publique dans lequel s'était finalement engagée en décembre 2013 la municipalité précédente dirigée par Jean-Claude Wambst (PS). Elle avait prolongé d'un an la délégation de service public (DSP) à la Lyonnaise des Eaux qui arrivait à terme le 31 décembre prochain, afin de se donner le temps de préparer la régie. Les élections municipales auront torpillé cette perspective.

200 personnes au débat du 3 novembre

Qu'est-ce qu'une Semop ?
Les Semop ont été créées par la loi du 1er juillet 2014 qui transcrit en droit français la directive européenne 2004-18 sur les « partenariats publics privés institutionnalisés ».
En 2009, le Conseil d'Etat avait émis d'importantes réserves au sujet de ces PPPI : « les obligations devant figurer au contrat n'engageraient pas pleinement le candidat retenu, et lui seul, mais passeraient directement à la charge d'une entité distincte incluant le pouvoir adjudicateur. L'intégrité du contrat (...) ne serait pas assurée comme l'exigent les règles en vigueur en matière de commande publique ». Lire l'avis intégral ici.
Le Parlement en a un peu tenu compte : on peut lire ici et les compte-rendu des débats au Sénat.
Pour la fédération des établissements publics locaux, les Sempo sont des « vecteurs de modernisation de l'action publique locale »  : lire ici.
Dans le quotidien Les Echos, un professeur de droit public s'interroge : « Innovation ou opération de communication ? » : lire ici.
La Lettre du cadre territorial est sévère : c'est un « outil jetable » : lire ici.
Attac, l'association pour la taxation des transactions et l'aide aux citoyens, critique « l'annexion de la maîtrise d'ouvrage publique par les grands groupes privés » : lire ici.

Prudent, Jean-Marie Sermier organise cependant un débat public contradictoire lundi 3 novembre avec Christophe Lime, adjoint communiste au maire de Besançon et président de France eau publique qui réunit les collectivités ayant choisi la gestion publique de l'eau. Malgré l'annonce discrète, le 30 octobre, de ce débat, près de 200 personnes y assistent. Il y a là aussi Tristan Mathieu, directeur des relations contractuelles de Véolia-Eau et délégué général de la FP2E Fédération des entreprises de l'eau, et Alexandre Vigoureux, responsable juridique de la Fédération des entreprises publiques locales que préside Vincent Fuster, vice-président (PS) du Conseil général du Doubs.

Le nouveau maire ouvre la réunion en indiquant que la présentation des différents modes de gestion doit déboucher sur le choix d'une décision de principe. En public, il ne défend pas un mode de gestion plutôt qu'un autre. Et s'il laisse transparaître une préférence qui fait dire à Christophe Lime qu'il « espère que le choix n'est pas bloqué », Jean-Marie Sermier affirme une volonté politique : « l'intéressant dans l'économie mixte, c'est le mot mixte. Je suis convaincu que les élus ont démissionné depuis des années sur les services publics, c'est sans doute plus simple pour eux qu'une entreprise privée les gère. Mais ce n'est pas la responsabilité d'un élu. Il est important que les élus se réapproprient la gouvernance de l'eau. Ce n'est à personne d'autre de décider du prix, du renouvellement ou de l'extension des canalisations. Mais la mixité, c'est que cette gouvernance des élus s'appuie sur un savoir-faire. Il est rare qu'une régie publique assure tout le travail. Quand une régie fonctionne, c'est un bon système ».

Régies et DSP dans la région
En Franche-Comté, outre Besançon pour l'eau et l'assainissement, la régie directe est la solution adoptée par l'agglomération de Belfort, Lons-le-Saunier, Vesoul, Pontarlier, la communauté de communes du val de l'Ognon, Baume-les-Dames (assainissement uniquement)...
Sont en délégation de service public : l'agglomération de Montbéliard, Héricourt, Maîche, Morteau, Baume-les-Dames (eau), Dole, Saint-Claude, Novillars, la Haute-Loue, le SIAC des Auxon...

Christophe Lime : « un mouvement global de retour aux régies »

Auparavant, Christophe Lime avait défendu le principe de la gestion publique que pratiquent « 80% des collectivités dans le monde ». Il veut donner à voir « la véritable image de la gestion publique : nous nous adaptons, nous sommes souples. La régie de Besançon a été certifiée QSE bien avant les groupes privés. Venez la voir avec votre conseil municipal avant de prendre votre décision définitive ». Il donne l'exemple de la communauté de communes de Delle, 23.000 habitants, qui a adopté en 2010, à une voix de majorité, le passage en régie pour l'eau, avant, deux ans plus tard, de passer à l'unanimité en régie pour l'assainissement : « le mouvement global est au retour aux régies, aucune collectivité n'a fait le choix inverse depuis quinze ans... La métropole de Nice a décidé le retour en régie et Christian Estrosi dit que c'est pour servir mieux les citoyens... »

Tristan Mathieu, le représentant du lobby des groupes privés, sait que la décision est déjà prise : la Semop permettra à un des adhérents de la FD2E d'être partenaire de la ville. Il fait dans le service minimum : « Deux modes de gestion sont une chance pour la France », assure-t-il en donnant un contre-exemple à l'affirmation de l'élu bisontin : « Montauban est passée de la régie à la DSP...  On se sent bien quand la gouvernance publique est forte ». Il vante « l'excellence du tissu industriel français de 900 entreprises, groupes et PME ».

Christophe Lime : « le déclencheur des retours en régie, c'est les mamailles »

« Depuis l'élection de 2008, j'avais sollicité les élus de Dole, demandé un rendez-vous au maire. Ça avait traîné, puis le débat sur la ville avait débloqué les choses et ils ont pris la décision de revenir en régie. Comme ils s'y sont pris tard, ils ont prolongé la délégation de service public un an en négociant des travaux supplémentaires. J'ai dit à Jean-Claude Wambst que c'était une erreur politique. Il m'avait répondu que les élections se passeraient bien... »

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Jean-Marie Sermier : « la voie de l'économie mixte, demande aussi un an de travail »

Jean-Marie Sermier est lui aussi dans l'étape suivante. « Le problème de Dole est de basculer dans un autre système. S'il y a une nouvelle DSP, il faudra mener très vite la consultation. Si le conseil décide le retour en régie, il faudra négocier la reprise des salariés, acquérir de l'outillage... La troisième voie, celle de l'économie mixte, demande aussi un an de travail, un cahier des charges, créer une nouvelle société, choisir le partenaire... » Si ce n'est pas la Lyonnaise, bien placée pour faire les yeux doux en investissant dans le remplacement des branchements en plomb avec un bénéfice prévisible de 1,3 million d'euros sur le dernier exercice, ce pourrait être Véolia, ou un autre...

Dans la salle, les questions sont nombreuses, venants des deux camps : régie et Semop. L'ancien maire, Jean-Claude Wambst, soulève celle du partage des résultats entre les actionnaires public et privé d'une Semop. « Les élus doivent reprendre la main sur des choses précises », répond Jean-Marie Sermier, « mais on peut imaginer que la société retenue ait l'objectif de gagner de l'argent. Il faudra un cahier des charges et un pacte d'actionnaires. Ce sera à nous de décider si on distribue ou non des dividendes, j'ai une position dont on parlera au conseil municipal ».

Marc Borneck : quid de la majorité du capital d'une Semop ?

Christophe Lime n'a pas perdu espoir ou fait comme si : « En régie, on réinvestit dans le réseau. Et même en DSP les élus décident : quand vous renouvelez une délégation, vous pouvez faire baisser les tarifs. Demain, dans une Semop, vous n'aurez pas davantage de prérogatives car vous ne serez pas davantage sachant... » Le conseiller régional Marc Borneck (EELV) s'interroge sur la majorité du capital d'une Semop où la collectivité peut, selon la loi, avoir entre 34 et 85%.

Alexandre Vigoureux, le juriste, assure que le partage se fera entre 49/51 et 51/49. Une semaine plus tard, au conseil municipal, c'est aussi le choix suggéré par le consultant du cabinet Sémaphore du groupe Alpha, que Jean-Marie Sermier a eu l'habileté de mandater pour préparer le débat : le groupe Alpha a démarré dans l'assistance aux comités d'entreprises et ceux dirigés par la CGT font souvent appel à sa filiale Secafi-Alpha.

Une coordination départementale eau et assainissement veut partager connaissances, expériences, batailles... Elle tient deux réunions publiques le 26 novembre à Saint-Claude, le 27 à Saint-Amour.
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Quelle place pour les usagers ?

Représentant du collectif Eau Dole, Axel Fricke dit sa crainte qu'un « partenaire privé gère comme en DSP » tout en ne refusant pas « la sous-traitance pour certains travaux ». Il s'appuie sur les 2500 signataires d'une pétition en faveur de la régie pour contester « le choix une fois pour toutes d'une entreprise ou d'un groupe qui fait tout ».  Sur la même longueur d'onde, le conseiller municipal Alain Vuillaume (PCF) affirme que « l'eau n'est pas une marchandise » et assure que les Semop résultent du « lobbying des entreprises privées qui voient leurs parts de marché diminuer ».

Gabriel Amard, ancien président de la communauté de communes des Lacs de l'Essonne passée en régie, installé depuis peu à Lons-le-Saunier et cofondateur de la coordination jurassienne eau et assainissement, est remonté : « votre choix est déjà fait, l'usager est le grand absent de la réflexion. A Dole, il paiera avec sa facture d'eau les impôts locaux de l'actionnaire privé, les remontées financières à la holding, les dividendes... »

L'alléchante proposition bisontine

Se sentant visé, Tristan Mathieu réplique en parlant de « dogme politique » et souligne que sur le site du Sispea qui publie un observatoire des tarifs et des pratiques, les Lacs de l'Essonne n'ont donné aucun renseignement. Ça peut être utile, mais ce n'est pas obligatoire. D'ailleurs, Dole non plus n'a pas renseigné l'observatoire, comme on peut le vérifier .

Quoi qu'il en soit, Jean-Marie Sermier évacue la suggestion de Christophe Lime d'une consultation de la population sur le mode de gestion de l'eau. « La dernière fois que le maire de Besançon a demandé aux habitants où mettre la gare, il a décidé autrement ». En fait, c'est la SNCF. Et puis, ajoute-t-il, « quand je suis maire de Dole, je ne suis pas là pour faire de la philosophie quant aux choix pour l'eau potable. On va encore réfléchir en commission. Si c'était facile, on n'aurait pas attendu... » Il remercie pour finir Christophe Lime pour sa « proposition alléchante » consistant à mettre à disposition gratuitement de Dole les compétences de la régie bisontine. 

Ce sera pour une autre fois. Car depuis, c'est tout réfléchi, et le conseil municipal a pris sa décision de principe. Il y a peu de chances qu'il en change d'ici le 15 décembre...

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