Gauche : un débat bisontin plus large que celui de la primaire

Et si les sept candidats de la Belle Alliance populaire étaient comme les Sept nains, des personnages secondaires ? On n'en est pas là, mais le débat sur comment sortir la gauche du désarroi, à Besançon, a réuni un éventail de positions beaucoup plus large que le processus de sélection du candidat socialiste...

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Le débat sur comment sortir la gauche du désarroi se tient dans une salle du foyer de la Cassotte à Besançon, la veille de celui — radiotélévisé — des sept candidats des Primaires citoyennes du PS et de ses alliés de la dite Belle Alliance populaire. Il y a là une bonne cinquantaine de citoyens dont peu ont moins de 50 ans, tous connus pour leur engagement à gauche, qu'il soit politique, syndical ou associatif. Mais le spectre des orientations de ce débat d'EPI est déjà plus large que celui de la primaire socialiste. Comme si ce club initialement socialisant était déjà dans l'étape d'après.

D'ailleurs, la seule formule un peu lucide de Jean-Luc Bennahmias, jeudi soir — « nous sommes tous des petits candidats » —, renvoyait à cette éventualité d'une élimination directe. Car aujourd'hui, quel qu'il soit, le vainqueur de cette primaire paraît en difficulté. Au point que Bennahmias aurait été encore plus drôle, certes en étant vraiment cruel et peut-être injuste, en parlant des « Sept nains »...

Il y avait donc ce lundi soir à Besançon, de futurs électeurs de Macron, de Mélenchon, de Vadot, peut-être de Poutou, et, bien sûr, du futur vainqueur de la primaire à laquelle certains iront voter sans grand enthousiasme. Certains mais pas tous, il suffit d'entendre l'exclamation de Roland Vittot, ancien ténor de la lutte des Lip des années 1970, CFDT et PSU à l'époque : « Que la dizaine de personnes qui s'étripent dans l'antre du PS depuis quelques années s'effacent ». On traduit : « qu'ils dégagent ! », ce qui provoque quelques sourires entendus.

« J'ai longtemps été légitimiste »

L'introduction de Claude Magnin, qui fut l'un des trois élus PSU du premier des quatre mandats de maire de Robert Schwint, est révélatrice de la récente évolution de militants et/ou électeurs socialistes, longtemps inconditionnels bien qu'adeptes d'une pensée critique : « François Hollande a précipité la crise de la gauche, ce que je n'ai pas toujours pensé, ayant longtemps été légitimiste ». Il n'accable pas le président finissant : « le désenchantement des peuples pénalise partout la gauche qui ne va pas bien en France, en Europe, dans le monde... » Il fait aussi une auto-critique : « il y a un défaut d'analyse des classes moyennes, une sous-estimation de la paupérisation... Il manque à la gauche un projet de civilisation ».

Au pouvoir, la gauche ne s'est-elle pas aussi trop appuyée sur la haute fonction publique plutôt que sur les connaissances universitaires ? N'a-t-elle pas sa part de responsabilité dans la construction des représentations au regard de l'évolution des médias parmi lesquels le service public a reculé ? Dominique Chopard trouve que « le problème, c'est le réalisme : on n'imagine plus ». Jean-Louis Genest approuve en évoquant l'emploi de plus en plus fréquent du « pragmatisme ». Il nuance l'échec : « il y a plusieurs sortes de gauches, plus ou moins en désarroi. C'est la gauche au pouvoir qui est en déliquescence, ce n'est pas le peuple qui a déserté la gauche, ce sont certains partis de gauche qui ont déserté le peuple ».

L'enterrement du rapport de Terra Nova

Soutien de Benoît Hamon, Marcel Ferréol veut rester « optimiste » quand il voit que ce sont « les gens qui changent les choses ». Il insistera plus tard sur « l'émancipation », un mot plus beaucoup employé au PS. François Lacaille souligne « l'accentuation du divorce entre classes moyennes et classe populaires », dit avoir « mal vécu le symbole » de la réforme fiscale attendue mais pas advenue, critique le rapport de Terra Nova théorisant — à tort — l'extrême-droitisation de l'électorat populaire. Une participante approuve : « Ce rapport révélait que la gauche niait les classes populaires. Les gens dont on nie le statut ont envie de donner des coups de pied. La gauche a peur de l'extrême-droite ? Ils vont donc lui faire peur... »

L'historien Jean-Paul Bruckert réfute la qualification de social-démocrate pour le PS qui supposerait qu'il s'appuie sur le mouvement syndical, et lui préfère celle de « social-libéral ». Cela paraît loin du souhait de l'écologiste Claude Mercier pour qui « la gauche, c'est l'union de différents courants de pensée », et qui propose de « créer les conditions pour que l'imaginaire revienne ».

Le communiste Alain Boussier dit le point de fracture : « on ne refondera pas la gauche sans dialoguer avec les forces ayant manifesté contre la loi travail parmi lesquelles il y a un très fort rejet du PS ». Ceux qui ont suivi les défilés du printemps dernier peuvent en effet témoigner qu'on y a entendu dans de larges franges de la jeunesse mobilisée un slogan inédit qui en dit long : « tout le monde déteste le parti socialo ».

« Le capital n'est plus une force économique »

Gérard Magnin, jadis secrétaire fédéral du PSU, aujourd'hui membre du CESER, mais aussi président de Jurascic, casse un peu l'ambiance autocritique : « la seule gauche qui m'intéresse, c'est celle capable d'exercer le pouvoir. Je suis pour la loi travail. Il y un blocage énorme au changement de société et un sujet transcende tout : il faut sauver l'humanité sur Terre... » Il nous dira plus tard penser au vote Macron avec qui, pourtant, il a eu un désaccord le conduisant à démissionner du conseil d'administration d'EDF où il représentait le gouvernement. Sa défense du bilan n'impressionne pas une militante déplorant « la chape de plomb qui est est le problème de la gauche : où est l'issue quand une grande partie de la population ne pige rien, le PS n'est pas accueillant et le gens se tirent... On va se taper la droite pendant vingt ans... »

Jean-Pierreet non Christian comme indiqué initialement par erreur en appelle à une « clarification idéologique entre la démobilisation et la gestion au coup par coup : on a cédé à l'Allemagne... Le capital n'est plus une force économique, il se balade, et le pouvoir socialiste ne s'y est pas opposé. Ce qui s'est passé en Grèce va arriver en Italie et en France. La gauche n'a pas fait ce qu'elle avait dit qu'elle ferait. Le politique a des pouvoirs qu'il n'exerce pas ».

Le revenu universel : « une tentation libérale de casse de la Sécu »

Après un temps de constats et de critiques, les participants sont invités par Jean-Jacques Vittot, conseiller municipal de Lantenne-Vertière, à « se projeter ». C'est à ce moment que Roland Vittot dira son souhait que s'effacent les dirigeants du PS qui s'étripent... C'est là qu'une nouvelle venue à EPI, soutien d'Arnaud Montebourg, dira que « beaucoup dépendra du succès de la primaire » en déplorant que « Cambadélis ait tout fait pour dissuader la participation ». Elle critique le revenu universel derrière lequel elle voit « la tentation libérale de casse de la Sécu ». 

Christian insiste sur « les » gauches en considérant que « pour certains, la gauche c'est le PS, donc c'est mort ». Situant le début de la « décomposition de la gauche » en 1983, Sylvain se veut « optimiste » car il sent « un bouillonnement ». Mais il prévient, après « l'écroulement de 1993, l'élimination de Jospin et l'éclatement de 2005 sur l'Europe, l'alliance ne pourra durer sans accord sur le fond : travaillons-y ». Gérard Jussiaux, qui fut adjoint de Robert Schwint, estime que « depuis 40 ans, la gauche vit sur des subterfuges, et qu'elle va mourir, comme en 1939-40 et 1956-57 : c'est pour ça que j'appelle François Hollande Paul-Guy Mollet-Reynaud... Ce qui repoussera n'est pas à l'horizon 2017... »

« Ne pas rejeter le populisme de manière péjorative... »

Jacques Gavoile regrette que le mot « école » n'ait pas été prononcé : « ça en dit long sur notre inquiétude ». Il avoue aussi un glissement conceptuel personnel : « On n'a pas non plus prononcé le mot peuple, ni populisme à propos duquel mon appréciation a beaucoup évolué : il ne faut pas rejeter le populisme de manière péjorative... » 

François Lacaille retient la suggestion de Philippe Cholley de mettre l'accent sur « ce qui nous rassemble ». Il constate une divergence entre ceux qui font « l'impasse sur 2017 » et les autres... Lors du pot qui suit, on sent bien que la primaire socialiste n'est pas non plus la priorité. La question institutionnelle, qu'il s'agisse de la 6e République ou de la prééminence des législatives en cas d'absence de la gauche aux législatives, n'aura pas été discutée.

Et si faire l'impasse sur ce scrutin était une façon de donner raison à Mélenchon et Macron ? Le premier va le plus loin sur la question institutionnelle et considère qu'il n'y a plus rien entre lui et le second qui, pour sa part, ne paraît pas vouloir refonder les règles... Cette impasse, c'est ce que veulent éviter à tout prix ses candidats qui n'entendent pas être les Sept Nains de l'histoire, autrement dit, de gentils faire-valoir...

Quoi qu'il en soit, impasse sur la primaire ou participation, c'est au peuple des gauches d'en décider.


 

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