Frédéric Barbier (PS) en ballottage difficile face à une candidate fasciste

L'élection législative partielle d'Audincourt tend un piège à l'UMP, donne aux démocrates une grande responsabilité et met en évidence les impasses de la simplification médiatique.

fredericbarbier

C'est ce qu'on appelle une prophétie autoréalisatrice. A force de ne parler que de trois candidats, de mettre dans les mêmes sacs « les extrêmes » ou les « populismes », de renoncer aux débats d'idées et de programmes au profit des compétitions de personnes, les grands médias sont devenus une partie du problème posé à notre démocratie. Ils n'ont traité que des trois candidats PS, UMP et FN, expliquant que seulement deux seraient « qualifiés » pour le second tour. Comme si c'était de sport dont il s'agit.

Les écologistes et le Front de gauche venant parfois embêter les socialistes, on leur tend le micro de temps en temps. Ils posent pourtant des questions qu'il conviendrait d'examiner aussi sérieusement que le PS et la droite républicaine qui ne sont pas avares d'approximations, de renoncements, de volte-face... Il serait intelligent d'entendre les arguments de Nicolas Dupont-Aignan au lieu de seriner qu'il ressemble au FN au prétexte qu'il critique l'orientation de l'Union européenne. Ces minoritaires qui tentent d'élever les débats en s'appuyant sur des expériences, des engagements, des réflexions solides, ont le tort d'être minoritaires. Dans un univers médiatique converti aux parts de marché, c'est rédhibitoire.  

La phraséologie de gauche critique mal digérée du FN

Donc la prophétie s'est réalisée. Frédéric Barbier va tenter de conserver son siège face à Sophie Montel. Un socialiste face à une dame qui a commencé sa carrière politique, comme l'a rappelé Joseph Pinard ici même, dans le sillage d'un ancien collabo. Une apparatchick, diplomée d'histoire médiévale et non enseignante comme écrit par erreur dans un premier temps, qui fait tout pour faire respectable, parle par sous-entendus dès lors qu'il s'agit de ne pas être sous le coup des lois anti-racistes, s'est convertie sans honte du libéralisme échevelé à la critique de l'ultra-libéralisme en se vautrant dans une phraséologie de gauche critique mal digérée.

Mais regardons les chiffres. Madame Montel triomphe-t-elle vraiment ? Mais oui, disent ceux qui voient son score passer de 24 à près de 33%... des exprimés entre juin 2012 et le 1er février 2015. La vérité est qu'elle a perdu 1223 voix, soit un électeur sur huit, passant de 9605 voix à 8382, de 14,25% des inscrits à 12,54%. Pas de quoi pavoiser. Pas de quoi crier victoire quand on réalise qu'entre le premier tour et la triangulaire du second tour de 2012, elle avait perdu 24 voix alors que la participation avait augmenté d'un millier d'électeurs.

Frédéric Barbier a perdu 55% des électeurs de Pierre Moscovici en juin 2012

Personne n'a d'ailleurs de quoi pavoiser. A part Lutte ouvrière dont le candidat a doublé ses voix, passant de 208 à 404 suffrages, les 13.765 électeurs de moins, les 14.528 suffrages exprimés en moins, se retrouvent dans tous les camps. Certes, le gros des manquants se recrutent chez les électeurs de Pierre Moscovici : seulement 45% ont voté pour Frédéric Barbier qui fait 9005 voix de moins que son mentor au premier tour de juin 2012.

Charles Demouge prend lui aussi une veste en perdant 27% de ses électeurs d'alors qui avaient aussi le choix de voter pour l'UDI ou le MoDem qui se sont rallié à son panache pour la partielle. Cela n'empêche pas de le faire passer sous le seuil de 12,5% des inscrits nécessaire pour avoir le droit de se présenter au second tour. Frédéric Barbier ne l'atteint pas non plus, mais comme il est deuxième, il peut concourir.

C'est la bérézina pour tout le monde. La débâcle.

Vincent Adami (Front de gauche) passe de 3,11 à 3,66%, mais perd lui aussi 25% de ses électeurs. Bernard Lachambre peut se consoler en constatant qu'il passe de 2 à 3,1%, qu'il n'a perdu « que » deux voix, mais c'est oublier qu'il avait en 2012 un concurrent écologiste et que le total des voix écolos a également chuté de 20%.

C'est donc la bérézina pour tout le monde. La débâcle. Le désenchantement politique. Le doute sur la capacité de la politique à faire son office : s'occuper des affaires de la cité, des citoyens. Il n'y a pas eu d'effet Syriza pour la gauche de la gauche, ni d'ailleurs pour personne. Les socialistes qui parlent de sursaut de leur électorat parce que Barbier est au second tour se rassurent comme ils peuvent. Mardi soir à Audincourt, Manuel Valls a peut-être sauvé la mise au candidat de son camp, à moins qu'il ne lui ait accordé un sursis d'une semaine.

Car enfin, est-ce en défendant le maintien de la retraite à 60 ans pour quelques uns quand la majorité voit l'âge du départ s'éloigner, qui va vraiment emporter la conviction des électeurs de gauche des milieux populaires ? Alors que dans le même paragraphe de son discours il reconnaît qu'un ouvrier a une espérance de vie de 9 ans inférieure à celle d'un cadre ! Et les droits rechargeables pour les demandeurs d'emplois après une mission ou un CDD, est-ce vraiment une mesure populaire quand les associations vous expliquent qu'ils risquent de faire baisser les indemnités ?

Le pluralisme est un bien précieux qui s'accommode mal avec la loi du marché et du spectacle

Que reste-t-il ? A la vérité, un drôle de choix. Ou plutôt un non choix. Car il n'y a pas de choix tant empêcher l'élection d'une députée fasciste est une évidence. Le second tour sera difficile. Sur le papier le total des voix de gauche fait presque 1000 voix de plus que le total des voix d'extrême droite. Charles Demouge s'était fait rappeler à l'ordre par son parti quand il avait lâché qu'il préférait le PS au FN. On sait donc ce qu'il fera. On sait aussi ce que feront les centristes. Quant à l'UMP, en fait Nicolas Sarkozy, elle est coincée entre la fierté mal placée de son chef qui l'empêche de dire qu'il faut voter Barbier, et le renoncement à choisir qui heurtera certains de ses électeurs préférant le FN au PS, ce qui démontrerait que Sarkozy n'est finalement pas le meilleur rempart contre le FN.

Reste aux démocrates à ouvrir les yeux. Sur les milles misères que vivent des tas de gens. Aux démocrates  de gauche de voir celle que l'on fait aux petits patrons, à ceux de droite de voir que personne n'aime être assisté, à ceux de l'économie qu'il existe des échanges qu'aucune monnaie ne saurait contenir, à ceux de la culture qu'une bonne fête de la merguez peut se finir en chansons... A tous de constater que le pluralisme de l'information, du commentaire, de la critique, est un bien précieux qui s'accommode mal avec la loi du marché et du spectacle.

 

     

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