François Rebsamen veut s’inspirer du passeport professionnel

A Besançon, le ministre du Travail a participé à une table ronde sur un dispositif régional venant de la mobilisation des syndicats, du patronat, de l'Etat et de la région pour amortir la crise de 2008 dans le nord Franche-Comté. Il débouche aujourd'hui sur un document garantissant des qualifications. Le BTP l'a adopté, la métallurgie devrait le faire.

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Vendredi 13 février, 9 h 15. Une quinzaine de militants CFDT attendent François Rebsamen devant le conseil régional de Franche-Comté, square Castan. Une délégation doit rencontrer un membre du cabinet du ministre du Travail. Conseiller fédéral de la branche Santé-Sociaux, Norbert Marteau a prévu de lui parler « précarité et difficultés du dialogue social à l'hôpital et dans l'aide à domicile où les patrons profitent de la réforme de la formation professionnelle pour baisser les cotisations de 2,30% à 1,30%... »

Responsable régional du syndicat de la Métallurgie, Denis Cerveau veut aborder la « question Alstom et des 300 licenciements prévus, de Parkéon sous LBO (leverage buy-out ou achat avec effet de levier, voir ce que c'est ici) qui risque d'être vendu avec des conséquences qu'on ignore... » Les syndicalistes diront aussi que dans les boîtes, ils n'ont « aucune vision de ce que font les patrons avec le CICE ». Ils évoqueront deux dispositions qui les contrarient dans le projet de loi Macron, pour lequel le ministère du Travail a été court-circuité : « l'ouverture des magasins le dimanche et la dépénalisation du délit d'entrave : oter la peine de prison, c'est enlever la crainte » aux employeurs indélicats...

« J'ai voulu me rendre sur une terre d'innovation sociale »

9 h 30, c'est l'heure du début de la table ronde sur la sécurisation des parcours professionnels. Plusieurs policiers, en tenue et en civil, attendent le ministre square Castan à côté des syndicalistes. « Il ne devrait pas tarder à arriver, comme il vient de la gare, il devrait y avoir six ou huit voitures... » A 9 h 40, les journalistes sont guidés vers la salle où Marie-Guite Dufay, la présidente de région, termine son mot d'accueil en expliquant que le sujet est traité depuis 2009 par tous les syndicats de patrons et de salariés, l'Etat et la région...

François Rebsamen passe d'emblée de la pommade : « Pourquoi suis-je ici ? J'ai voulu me rendre sur une terre d'innovation sociale. Ce que vous avez fait pour sécuriser les parcours professionnels est exemplaire. Les employeurs et les organisations syndicales ne sont pas toujours d'accord, mais il est important qu'ils travaillent ensemble... »

Pour cela il faut « de la confiance partagée et de l'écoute réciproque », explique Michel Bergeret (CGPME). Il s'agissait alors, en 2009, de mobiliser tous les dispositifs existants. De ceux de Pôle emploi à la compétence formation de la région en passant par les organismes paritaires gérant la formation continue, afin de tenter d'amortir la crise dans le nord Franche-Comté en envoyant des salariés en formation plutôt qu'en les licenciant. Ça n'a pas empêché le chômage d'augmenter : il dépasse 13%. Ça l'a peut-être empêché d'exploser les plafonds et de laisser la désespérance se généraliser. Ça a peut-être évité l'élection d'une députée FN dimanche dernier...

Denis Sommer : « Ce n'est pas une solution d'envoyer les seniors à Pôle emploi »
« La Franche-Comté est l'une des régions où il y a le plus d'intérim, c'est dû à l'industrie, aux cycles d'activité », explique Denis Sommer, premier vice-président du Conseil régional, qui sait bien qu'il y a un débat : « a-t-on trop recours à l'interim ? Il faut penser la question différemment, donner un statut dans une logique de montée en qualification ». Ce dernier mot est important, il est dans le vocabulaire des syndicats de salariés quand les patrons préfèrent généralement parler de « compétences »...
Dans un contexte où des secteurs ont un taux de chômage flirtant avec 13%, celui des jeunes est « massif », analyse-t-il en appelant une « politique ad hoc pour mobiliser l'ensemble des acteurs. C'est essentiel pour les bassins d'emplois en mutation... Il y a aura toujours un débat sur les salaires et les conditions de travail. Mais on doit se mettre d'accord tous ensemble sur la manière de mettre au travail des salariés en souffrance. C'est le sens de l'acte 3 de notre action, on tient à préserver l'industrie qui a structuré notre territoire. Ce n'est pas une solution d'envoyer les seniors à Pôle emploi. Ils peuvent garder un contrat de travail pour former un jeune ou prendre la présidence d'un club de foot ou s'engager dans une association... »

« Une terre d'utopie dans le réel »

Ce premier dispositif a débouché en octobre dernier sur le passeport professionnel, signé par trois syndicats d'employeurs et cinq de salariés, l'Etat et la région. Il entérine des « compétences reconnues, rassemble ce qui est épars et difficile », explique Jean-Louis Duprez (CGT), et débouche sur « des décisions certifiées par tous, mais on peut décider ce qu'on veut, on n'avance pas si l'un des huit bloque », dit-il. Songe-t-il au Medef, parfois accusé de traîner les pieds ? Peu importe, « le secteur du bâtiment et des travaux publics et l'Agefos sont engagés, la métallurgie va s'engager », se réjouit M. Duprez en précisant l'importance d'avoir « toujours été soutenus financièrement par l'Etat et la région ». Car si la Franche-Comté est « une terre d'utopie », elle est aussi « dans le réel ». François Rebsamen suit attentivement : « comment les actifs s'approprient-ils ce passeport ? » Réponse de Jean-Louis Duprez : « il est dédié à tous les salariés, qu'ils travaillent ou non, par le biais des entreprises ».

Inspiré du processus franc-comtois de 2009, le CDI intérimaire créé par un accord national de juillet 2013, en vigueur depuis mars 2014 malgré la non-signature de la CGT, permet un départ plus facile en formation, témoigne la déléguée régionale Bourgogne-Franche-Comté de Manpower, Anne Jacquemin : « on a accompagné 270 salariés dont 85% de niveau 5 (ndlr : CAP) ou inférieur ». Dans la secteur du BTP, l'entreprise intérimaire explique avoir envoyé vingt salariés en formation : « huit sont maçons VRD après 450 heures de formation, trois sont en cours de certification, trois en CDI sur Besançon », explique Delphine Vuillemard.

« On ne peut pas jeter les seniors comme ça ! »
La Franche-Comté a davantage de contrats de génération qu'ailleurs en France : 3,5% du total pour un objectif national de 1,4%. « Il y a deux cas, dans le premier un senior reste dans l'entreprise jusqu'à la retraite et le dispositif permet d'inciter un jeune à entrer dans l'entreprise », explique le directeur de la Direccte, Jean Ribeil. « Dans le second cas, si on ne fait rien, on va vers une rupture conventionnelle avec examen des points de retraite et des cotisations mutuelle... C'est l'exemple d'auxiliaires de vie fatiguées qui pourraient plutôt accompagner des personnes moins dépendantes... »
Denis Sommer renchérit : « On voit une montée en puissance des ruptures conventionnelles depuis quelques années. On voir des seniors partir avec une enveloppe et attendre la retraite : ce n'est pas satisfaisant car c'est sans la contrepartie d'embauche de jeunes. Quand es entreprises travaillent le matin, l'après-midi et la nuit avec de nombreux seniors, on n'y arrive pas ! Mais on ne peut pas jeter les seniors comme ça ! »

« Les seniors sont des mines d'or qui permettent la transmission dans des parcours adaptés... »

Ça paraît loin des enjeux, mais le ministre du Travail interroge : « êtes vous prêts à renouveler l''expérience ? ». Delphine Vuillemard répond : « nous souhaiterions l'élargir à d'autres métiers, second oeuvre, gros oeuvre... » Marie-Guite Dufay assure : « il est important de maintenir le statut salarié même sans mission ». Delphine Vuillemard souligne : « c'était compliqué pour certains de se retrouver en formation à 40 ou 45 ans, mais ils ont évolué en salaire ».

François Rebsamen va « essayer de s'inspirer de l'expérience pour le niveau national. Le CDI intérimaire est la solution, il y a encore quelques souplesse à mettre, les six mois de carence à résoudre. J'espère que le compte personnel formation va permettre de le développer ».

Etienne Boyer, le président régional du GEIQGroupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification et de l'UIMM, le patronat de la métallurgie, pousse son bouchon : « des demandeurs d'emplois sont peu qualifiés ou ont une qualification ne répondant pas aux besoins du travail : beaucoup d'employeurs ont des difficultés à recruter ». François Rebsamen est sceptique : « On vous croit quand vous dîtes ça ? » Etienne Boyer renchérit : « Oui ! Il y a un problème d'image, d'orientation scolaire... » Le ministre rétorque : « pour l'image, il faut que les entreprises s'y mettent, et aussi pour les salaires... »

Retourner chez ses parents : « à 45 ans c'est dur ! »
« Merci, que l'alliance continue pour aider d'autres personnes... » Samuel Bouhelier est ému. On vient de passer un petit film dont il est le héros. Un pépin physique lui fait arrêter son métier indépendant, puis être expulsé de son logement avant de se retrouver chez ses parents. « A 45 ans, c'est dur », dit-il dans le film destiné à promouvoir un dispositif mis en place par le Conseil général du Doubs et Pôle emploi : le travail en commun de conseillers Pôle emploi et de travailleurs sociaux.
« Mieux connaître les demandeurs d'emploi permet des propositions mieux adaptées », dit David Jay, conseiller Pôle emploi.« Sans la volonté de l'usager, on ne peut rien », ajoute Lucette Senger, assistante sociale.
Samuel Bouhelier a trouvé un CDD d'insertion au centre de tri de Pontarlier.

Les misères patronales reviendront un instant plus tard : « les entreprises sont des lieux d'épanouissement plus que de pénibilité », dira M. Bourgeois qui dirige un leader du découpage de précision. « nous ne trouvons pas de gens qualifiés, on a la proximité de la Suisse... Les seniors sont des mines d'or qui permettent la transmission dans des parcours adaptés... » Nathalie Augé, patronne d'AMTE Augé, dit aussi ses angoisses : « quand la pénibilité et les risques psycho-sociaux arrivent, c'est la chape de plomb... Je préfère parler prévention... Quant à la génération 25-40 ans, elle n'est pas dans l'entreprise par manque de formation. C'est un problème d'avenir, d'équilibre : on a besoin de toutes les générations ».

 

 

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