Forges de Baudin : les « indélicatesses » de la méthode Pernot

Le passage en force a ses limites : le président du conseil départemental du Jura assure que rien n'est décidé alors que les enchères sont closes... Mais une vente sensiblement inférieure à l'estimation de France domaines est juridiquement risquée, comme le souligne une décision de la cour administrative d'appel de Nantes...

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La procédure choisie par le président du conseil départemental du Jura pour céder les forges de Baudin a de quoi surprendre, sinon prêter à sourire. Car mettre le lieu en vente sur un site spécialisé dans les cessions aux enchères de patrimoine public, c'est quand même poser les choses. D'abord en catimini. Puis, une fois que l'affaire sort dans la presse, rétropédaler en assurant que la décision n'est pas prise (voir ici). 

Juridiquement, il ne peut en être autrement sous peine de nullité. Le code général des collectivités territoriales précise notamment en son article L3213-2 que « toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par un département donne lieu à délibération motivée du conseil départemental portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil départemental délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat. Cet avis est réputé donné à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la saisine de cette autorité. »

« Pas très normal, mais légal »

La forge est « vendue par le département », c'est écrit en toutes lettres sur le site de vente aux enchères Agorastore, mais Clément Pernot assure que la décision - de vendre - n'est pas prise. (Capture d'écran)

 

Présidente du groupe d'opposition, élue du canton où les forges sont situées, Danièle Brûlebois a saisi le préfet du Jura. « Il m'a répondu que ce n'est pas très normal, mais légal », dit-elle. Ce n'est surtout pas très délicat à l'égard des enchérisseurs qui s'engagent à payer s'ils emportent l'enchère, alors que la décision de vendre n'est pas encore formellement prise. Ces enchères permettent surtout à Clément Pernot de se faire une idée des projets et des montants envisagés, sans pour autant se sentir engagé par les propositions. Il ne s'y serait pas pris autrement s'il voulait dissuader les enchérisseurs. Il n'y en a d'ailleurs que deux pour une dizaine de projets potentiels.

Ce recours aux enchères sans délibération préalable paraît juridiquement incertain. D'abord parce que les 170.000 euros de la meilleure offre (187.340 avec les frais), une maison de retraite portée par une société lyonnaise, sont nettement inférieurs aux 245.000 euros de l'estimation de France-Domaines. Une cour administrative d'appel (Nantes) a ainsi censuré en 2006 une vente à un prix inférieur de 30% à l'estimation des domaines, comme l'explique ici (page 7) une circulaire de la préfète des Hautes-Alpes... Elle précise même que si l'acquéreur est une entreprise, la différence entre le prix payé et l'estimation peut être considérée comme une « aide économique, légale sous conditions ». C'était en 2006, mais qu'en est-il aujourd'hui avec la réforme territoriale qui interdit aux département les aides directes aux entreprises ? 

Un site inscrit à l'inventaire des monuments historiques

L'autre projet, porté par l'artiste suisse Monsieur Chat qui a déposé une offre de 155.000 euros pour un musée autour du street-art, a « les faveurs » de l'association des Amis de Baudin qui gère actuellement le petit musée de la forge. « Aujourd'hui, on a une convention d'occupation gratuite avec le département, mais si le prochain propriétaire veut nous faire payer un loyer, on n'aura pas les moyens », explique son secrétaire Albert Wolff. Le problème de cette association, c'est qu'elle est présidée par l'ancien conseiller général du canton de Sellières, André Tournier, qui siégeait dans la majorité précédente...

Une partie des forges de Baudin est par ailleurs inscrite à l'inventaire des monuments historiques en vertu d'un « intérêt historique régional », précise-t-on à la DRAC que le département a informé de ses intentions de vendre, comme il en a l'obligation. La protection qui en découle conditionne les travaux à l'accord de la DRAC, toute modification à celui de l'Architecte des bâtiments de France, toute destruction à l'aval du ministre de la Culture.

Hélène Pélissard : « une indélicatesse de procédure »

A entendre Clément Pernot, les remous et protestations qui ont accompagné sa décision n'est qu'une tempête dans un verre d'eau et les choses rentreront dans l'ordre à l'occasion d'une réunion du conseil départemental le 8 juillet. Mais là aussi Danièle Brûlebois s'insurge : « il n'y a pas de séance publique prévue ce jour-là, mais lundi 6 juin où la question n'est pas à l'ordre du jour... Le président passe tout en commission permanente [non publique], comme la société publique locale sur le haut débit alors qu'il y a une garantie d'emprunt qui doit être votée en séance plénière ».

Des élus de sa majorité ne renâclent-ils pas devant ces procédés un peu cavaliers ? A notre question « n'aurait-il pas fallu commencer par une délibération pour décider d'une vente aux enchères à tel prix de départ ? », la première vice-présidente Hélène Pélissard répond : « Vous avez raison, c'était une indélicatesse de procédure ». Pour autant, elle estime que les enchères, « c'est l'assurance de la transparence... ». Et ne perd pas le nord (politique) en considérant que « le péché originel, c'est d'avoir acheté 350.000 euros [en réalité 310.000] sans projet ni les moyens de réparer ».

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