Eric Alauzet : « faire de la politique proprement »

Le recours intenté par Jacques Grosperrin "n'empêche pas de travailler" le député écologiste de Besançon, membre de la commission des finances et rapporteur spécial pour la sécurité alimentaire.

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Élu député de la deuxième circonscription du Doubs le 17 juin 2012 avec 50,12 % et 108 voix d'avance sur le sortant UMP Jacques Grosperrin, Eric Alauzet n'est pas assuré de siéger toute la législature au Palais Bourbon. Son adversaire a intenté un recours auprès du Conseil constitutionnel qui devrait l'examiner à partir de la mi-novembre, comme 34 autres non tranchés sur un total de 85. Dans sa dernière décision, datant du 24 octobre, le Conseil a annulé l'élection de la socialiste Dolorès Roque dans la 6e circonscription de l'Hérault. Elle l'avait emporté de 10 voix face à son adversaire UMP Elie Aboud, alors que 21 procurations ont été jugées contestables.

Confirmé député le 29 novembre

Le Conseil constitutionnel a confirmé l'élection d'Eric Alauzet par 89 voix d’écart (19 votes retenus comme irréguliers) et rejeté la requête en annulation de Jacques Grosperrin. Soulagé, le parlementaire écologiste va vraiment installer son équipe et pouvoir se consacrer à son mandat, a-t-il expliqué lors d'une conférence de presse, le 30 novembre, dans des locaux de campagne, cinq mois et demi après son élection dans la 2ème circonscription de Besançon.

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C'est peu dire qu'Eric Alauzet est embarrassé par cette procédure sur laquelle il a décidé de ne pas s'exprimer publiquement. Il consent juste à indiquer qu'elle l'empêche de recruter un assistant parlementaire et fait, pour l'instant, avec la secrétaire administrative des Verts de Besançon. « Tout ça ne m'empêche pas de travailler », assure cependant celui qui aura été le premier député écolo de Franche-Comté.

Une question au gouvernement
pour des prothèses moins chères

Son élection est-elle un aboutissement ? Il préfère parler de suite logique : « J'ai toujours mené la bataille politique pour faire avancer mes idées. Ici c'est une délibération, là c'est un amendement... » Il a vite expérimenté ce que des générations de parlementaires ont essuyé avant lui : l'amendement qu'on retire moyennant la promesse que la question sera abordée plus tard : « Cela fait longtemps, qu'en tant que médecin, je suis confronté à des patients qui ne peuvent pas s'équiper... J'ai donc demandé que le gouvernement fasse un rapport sur le reste à charge pour les porteurs de prothèses auditives, dentaires ou autres. Mon idée est qu'il faut avoir un débat sur les marges pour que les dispositifs soient plus abordables et ne pas charger la Sécu... Le ministre est d'accord pour étudier la question si on retire l'amendement... »

Votre élection au Conseil général, en 2008, préfigurait-elle votre élection à l'Assemblée nationale ?
C'est une suite, je n'ai jamais rêvé de ça, jamais eu de plan de carrière. Quand j'ai été élu conseiller général, des gens m'ont fait cette réflexion. Quand j'ai été élu député, on m'a parlé des municipales de 2014... J'avais été pressenti pour les législatives de 2007, mais ça n'avait pas abouti. Je ne me suis jamais pris la tête avec ça. J'ai toujours mené la bataille politique pour faire avancer mes idées. Ici c'est une délibération, là c'est un amendement... C'est ardu de présenter un amendement : quasiment aucun n'est adopté, sauf ceux du gouvernement. Les amendements des députés adoptés sont rares...

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Adepte des petits pas, Alauzet récuse le terme de marchandage. « C'est une petite victoire, mais en même temps, cela signifie que le gouvernement veut garder la main... » Il ne lâchera cependant pas l'affaire, persuadé qu'il y a des marges de manœuvre car « des sociétés proposent 30% moins cher ». Au-delà de l'étude suggérée, il y a l'idée qu'il est plus facile de faire baisser les prix que d'augmenter les remboursements en ces temps de rigueur. C'est sa façon de défendre « des convictions et des objectifs, de trouver le chemin pour y arriver, trouver des astuces... »

 

 

Logement  :
"on perd deux mois
mais la loi sera votée"

N'est-ce pas le lot de tous les minoritaires, même membres d'une majorité, une situation qu'Eric Alauzet connaît depuis qu'il est entré dans la vie politique, de devoir ravaler ainsi une proposition ? Il ne voit pas les choses ainsi, pense à son objectif, regarde autour de lui et constate : « les députés socialistes font aussi comme ça... » N'est-ce pas le lot de tout député de cette quasi monarchique constitution de la Cinquième République ? « Il ne faut pas caricaturer », réplique Eric Alauzet, « les projets de loi sont préparés en amont avec les parlementaires. Lors du travail préparatoire, 95% des facettes ont été vues. Nos actions sont à la marge... Et puis, il y a des niches parlementaires où l'on peut faire des propositions, jusqu'à quatre ou cinq. Nous aurons par exemple deux jours en janvier... » 

Il minimise les effets du retoquage de la loi Duflot sur le logement par le Conseil constitutionnel d'un sobre « le Sénat aurait pu mieux travailler. Vidalies le reconnaît... » Beau joueur face aux accusations d'amateurisme lancées par l'UMP, il constate : « C'est la politique... On perd deux mois, mais la même loi sera votée... » Autrement dit, tergiverser ne sert à rien.
On comprend dès lors qu'il a une certaine humilité face à sa fonction. Ça lui « fait tout drôle » de décliner son identité à l'officier de police qui l'accueille lorsqu'il se présente pour la première fois à l'Assemblée. Il ne cache pas avoir été saisi par l'émotion en pénétrant dans l'hémicycle vide : «Je me suis dit, il va falloir le faire... A ce moment, j'ai pris conscience de ce que c'était, j'ai pensé à ceux qui étaient passés par là... »

Le Front de gauche
n'est "pas dans la majorité"

D'emblée, il intègre la prestigieuse commission des finances où les écolos ont deux places. Ils étaient quatre candidats de son groupe, mais les autres se sont désistés pour la commission développement durable et aménagement du territoire, plus emblématiques des combats verts. Là aussi, il la joue modeste : « Il y a des trapus, j'ai beaucoup à apprendre. C'est le nerf de la guerre, cela me plait beaucoup, on auditionne des gens à responsabilités importantes... » Budget général, budget de la Sécurité sociale, l'essentiel des dépenses publiques de la nation. Sur la fiscalité, il surfe sur l'accord PS-Verts : elle doit être « plus juste avec une progressivité de l'impôt et un alignement du capital sur le travail ». Mais sur son autre grande idée, la fiscalité écolo, il avoue « ramer : ce n'est pas intégré dans la culture politique des partis anciens... » Ce sujet lui permet de voir quelques alliés chez « quelques jeunes députés PS », quelques centristes, « ponctuellement » des élus UMP. Et d'avoir une confirmation : « le Front de gauche n'est pas dans la majorité ». Certes, ses élus sont essentiellement communistes, beaucoup moins sensibles au verdissement des politiques que leurs alliés du Parti de gauche.
Outre son attention aux emplois d'avenir et aux contrats de génération, au logement qu'il considère comme « LA question développement durable/environnement par excellence », Eric Alauzet est aussi rapporteur spécial sur la sécurité alimentaire. « Je vais y aller à fond, sur les questions de qualité de la nourriture, des eaux, des rivières, de la Loue, des produits toxiques, des phytosanitaires... Je compte bien travailler avec les paysans sur ces questions-là : on ne peut déboucher sur une loi que si on arrive à rapprocher les gens ». Pense-t-il légiférer sur le sujet ? « Je n'en suis pas encore là. Cela dépendra de la crédibilité des études, notamment celle de l'Anses... » Sur les insupportables conflits d'intérêt qui empoisonnent ce type d'instances, il estime qu'il y a « un gros travail de confrontation, de clarification » à entreprendre. La tâche est aussi ardue que nécessaire à conduire.

"La vraie bataille,
c'est que le capital paie
l'intérêt de la dette"

Minoritaire avec les Verts au sein de la majorité parlementaire, il a été minoritaire dans son propre parti sur le TSCG (traité stabilité, coordination, gouvernance), autrement dit pacte budgétaire européen, en étant l'un des quatre à voter oui alors que douze ont voté non et que deux se sont abstenus. « On va tous voter le budget qui est une déclinaison du TSCG, c'est une raison de mon vote oui, même si j'avais des raisons de voter contre », argumente-t-il. Comme il n'est pas un va-t-en guerre, il a eu une pensée pour l'autre députée bisontine, Barbara Romagnan qui a voté non, contre son parti : « On est tous les deux minoritaires dans notre groupe... Quand on se voit, on se demande « tu tiens le coup ? », sourit-il.
Maintenant qu'ils ont un groupe politique à l'Assemblée, les Verts peuvent-ils toujours prétendre faire de la politique autrement ? « Je ne dis plus ça depuis longtemps », répond Alauzet , « il y a eu Besançon-Autrement avec Gaby Reboux en 95. Il faut faire de la politique proprement, du mieux qu'on peut. La politique s'est affaiblie. D'où la question de l'Europe, c'est pour ça que je vote les traités. Il y a une course de vitesse entre les marchands et la politique. Les marchands sont très bien organisés à côté de l'inertie politique. Donc, il faut une concentration du pouvoir politique à un niveau assez élevé – européen – pour damer le pion aux marchands. Le problème, c'est que l'Europe est dominée par les libéraux, y compris quand la gauche est majoritaire. L'Europe est l'outil incontournable de régulation si on veut que la politique prenne le pas sur l'économie. Le repli sur les nations serait dommageable. La vraie bataille, c'est que le capital paie l'intérêt de la dette, du moins une partie. Une partie des libéraux commence d'ailleurs à le prendre en compte : ça peut bouger n'importe quand ».

 

 

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