Eric Alauzet : « Au changement de cap de 2017, on verra la différence entre la droite et la gauche »

Dans ce long entretien, le député de la deuxième circonscription du Doubs, explique son credo d'écologiste réformiste, fait sienne l'analyse d'un glissement à droite de la société, et revient sur la situation politique du pays : « Je suis aux Verts car ils acceptent la complexité, il ne faut pas qu'ils me quittent ! »

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C'est l'un des 18 députés du groupe écologiste de l'Assemblée nationale. Parfois à rebours de son groupe, Eric Alauzet est ainsi l'un des trois Verts à avoir voté le budget 2015 quand douze s'abstenaient, l'un des trois à avoir approuvé le budget de la Sécurité sociale quand quatorze s'abstenaient et un votait contre. Il est en revanche à l'unisson du groupe quand il s'abstient sur la réforme de l'asile avec tous ses amis ou vote avec 16 d'entre eux le texte sur la transition énergétique. Il s'est constamment abstenu sur la réforme territoriale avec 16 députés Verts (un contre) sur le premier texte, avec 3 Verts (14 contre) en première lecture, et avec 4 Verts (13 contre) sur la délimitation des régions.

S'il n'a pas voté la censure lorsque le 49-3 a été brandi pour la première lecture de la loi Macron, il a voté la confiance à Manuel Valls après sa première déclaration de politique générale le 8 avril 2014 (9 Verts avaient voté la confiance, 1 avait voté contre, 6 s'étaient abstenus), mais s'est abstenu, avec 16 autres députés de son groupe (un contre), lors du second vote de confiance au Premier ministre. Eric Alauzet est à l'initiative du club de réflexion Repères écologistes qui entend réunir les écologistes réformistes.   

A quelques jours des élections départementales, comment considérez-vous la réforme territoriale ?

Dans le top 3 des mauvaises réformes, il y a la réforme territoriale...

Le transport scolaire reviendrait aux régions qui le délégueraient aux départements...

Ce serait un désordre monumental. J'essaie de soutenir la politique économique du gouvernement, mais là, je n'y arrive pas. Lors des voeux 2013 de François Hollande à Tulle, il disait « on ne touche pas aux départements ». Quand Manuel Valls a parlé de seuil de 20.000 habitants pour les intercommunalités devant les parlementaires, le ton des conversations a baissé. Quand il a parlé de grandes régions il a encore baissé. Quand il a dit qu'il supprimait les départements, ça a été un grand silence, les gens étaient effondrés dans leurs fauteuils. Il n'est pas dit que les régions seront affaiblies devant les départements, mais elles peuvent l'être par la transition : il y aura un flottement de deux à trois ans, d'autant qu'on n'a pas renforcé leurs compétences...

« On a mis tant d'énergie
pour un résultat incertain,
voire contraire à ce qu'on attend. »

 

Pourquoi cet affaiblissement ?

Parce que les départements seront entre des régions plus grandes, dont on ne voit pas bien comment elles assumeront leurs compétences, et les métropoles et agglomérations. Il aurait fallu commencer par asseoir les intercommunalités, voir les compétences qu'elles peuvent assumer solidement. Là, les départements bénéficieront de régions plus éloignées et d'intercommunalités non installées. Ça ne me fait pas hurler, mais on a mis tant d'énergie pour un résultat incertain, voire contraire à ce qu'on attend...

Qu'est-ce qui vous contrarie ?

Que les régions ne soient pas renforcées.

Qu'auraient-elles dû avoir selon vous ?

Des compétences seules, non partagées.

Que pensez-vous de la fusion ?

Cela ne me choque pas. Ce que je dis, c'est que le fait régional est affaibli dans ses compétences. Je ne suis pas totalement convaincu que la fusion va transformer la vie, mais pour l'aménagement du territoire, il y a des logiques, je pense au ferroviaire. En matière économique, je demande à voir.

La formation et l'université ?

Ça s'impose. C'est déjà engagé, il faut y aller, aller vers des spécialisations, certaines sont naturelles.

Avez-vous des craintes pour les secteurs ruraux fragiles, les montagnes ?

Non, car les départements subsistent. Ils organisent la solidarité individuelle et territoriale. Une grande région aura à coeur de préserver ses territoires. Je n'ai pas peur pour les identités. En Franche-Comté, il y a bien une identité du Haut-Doubs !

« Des travaux spécifiques pour
récupérer les eaux usées de l'A36,
c'est une façon de récupérer de l'argent
sur les sociétés autoroutières. »

 

Quand on visite le site internet de l'Assemblée nationale, on voit que vous avez posé des questions écrites déjà posées qui n'avaient pas eu de réponse, ou une réponse incomplète...

La question écrite est une arme d'opposition pour harceler le gouvernement. Ça accapare beaucoup d'énergie dans un ministère. Le gouvernement a deux mois pour y répondre, il faut de temps en temps les reprendre...

Vous avez posé une question sur l'absence de récupération des eaux polluées sur une grande partie de l'autoroute A36 (lire ici). La réponse du gouvernement est que la pollution n'est pas si grave...

Ce n'est pas satisfaisant ! Je demande des travaux spécifiques pour récupérer les eaux usées. C'est une façon de récupérer de l'argent sur les sociétés autoroutières. On m'a répondu qu'on ferait les travaux au fur et à mesure des interventions prévues, ce qu'on peut comprendre comme une optimisation des dépenses, comme pour les pistes cyclables. Le problème n'est pas clôt avec cette réponse.

Vous revenez aussi sur une question sur la Société Générale, déjà posée à Pierre Moscovici quand il était ministre des finances, parce qu'il n'avait pas répondu complètement (voir )...

C'est une question à plus d'un milliard d'euros. La Société Générale voulait démontrer qu'elle était blanchie et ne savait pas ce que Jérôme Kerviel faisait, donc qu'elle pouvait déduire sa perte de 4 milliards ! Pour l'A36, j'ai été interpellé par une association, la Commission de protection des eaux. Pour la Société Générale, je l'ai été par les avocats de Jérôme Kerviel...

Quelle suite aura cette affaire ?

Ouh lala ! La BNP a été condamnée par les USA ! Il y a un bras de fer avec les banques...

Un bras de fer avec Bercy ou un bras de fer entre les banques et Bercy ?

La condamnation de la BNP a une amende de 10 milliards de dollars n'a pas empêché le versement de dividendes...

Que faire avec les banques ?

Il y a des grosses avancées, des enjeux de niveau européen. Il y a une volonté des gouvernements qui pensent que si on ne maîtrise pas l'évasion fiscale, la question de la dette va s'aggraver. Je suis plus optimiste sur la lutte contre l'évasion fiscale que sur la convergence fiscale. Sur l'évasion, il y a des procédures de l'Union européenne contre le Luxembourg, la Belgique...

« Les meilleurs policiers
sont souvent d'anciens ripoux.
Il ne faut pas que Junker démissionne
car il connaît bien le système.
Il est obligé d'esquiver,
mais aussi de donner des gages... »

 

Jean-Claude Junker président de la Commission attaque le Luxembourg dont il a été Premier ministre. On a envie de sourire...

Les meilleurs policiers sont souvent d'anciens ripoux. Il ne faut pas que Junker démissionne car il connaît bien le système. Il est obligé d'esquiver, mais aussi de donner des gages...

Face à qui ?

Face à la mondialisation, donc des sociétés tentaculaires, implantées partout dans le monde. Elles peuvent déplacer des actifs facilement, avec une réactivité que n'a pas le monde politique. Elles règlent leurs problèmes en une demi-heure, nous en six mois... Elles ont des gens de grande compétence, des juristes, des experts-comptables. D'où la nécessité qu'on aille chercher des défroqués, des lanceurs d'alerte...

Justement, la loi Macron a failli les pénaliser...

Ce ne sont pas eux qui étaient visés...

Cela n'empêche pas la très lourde impression que le lobby bancaire est à Bercy, qu'il est représenté par le ministre...

Il y a une thèse selon laquelle le milieu bancaire a fait d'énormes pressions... Mais la séparation [des activités de banque d'affaires et de banque de dépôts] ne règle pas le problème d'un éventuel nouveau krach...

On est loin de la séparation...

Ce n'est pas la panacée. Le gros problème est celui de la taille des banques, elles sont trop grosses. En outre, les entreprises ont de moins en moins affaire aux banques pour se financer, et de plus en plus au marché...

Que faire ?

La taxe sur les transactions financières ! Ça redémarre sous influence française, Michel Sapin est déterminé.

On a avait eu l'impression que Moscovici avait freiné.

Il a tenu jusqu'au bout sur l'amendement bancaire.

N'a-t-il pas savonné la planché de la TTF ?

Je ne sais pas... Je suis prudent : sur beaucoup de sujets, on n'a pas toute l'information. Les banques ont commencé à se retirer de la spéculation avec leur propre argent.

Il y a aussi les fonds d'investissement voyous.

Quand les entreprises se tournent vers les marchés, cela conduit à des produits titrisés. Si la titrisation est honnête, cela permet aux PME d'accéder au marché. Il faut des garde-fous, mais ils sont souvent contournés... Il y a encore de l'évasion fiscale qui s'appelle optimisation fiscale et a encore pignon sur rue : moralement c'est condamnable, mais c'est légal. Il faut que la législation rende illégale l'optimisation fiscale, mais on se fait retoquer par le Conseil constitutionnel...

« L'exigence du projet politique
ne peut pas se réaliser
car il n'y a pas de sincérité,
mais si on est sincère,
on ne gagne pas... »

 

Vous avez aussi posé une question écrite sur le fait que Besançon et la Franche-Comté perdent des services, comme un centre de tri de courrier ou une direction des douanes, au profit de Dijon...

Ce mouvement d'optimisation administrative et fonctionnelle a vingt ans. Il y a une tendance vers le gigantisme...

Mais ce n'est pas efficace !

Ça ne tient pas compte des coûts induits : plans sociaux, conséquences environnementales... C'est de ça que notre modèle économique va peut-être mourir. C'est un modèle partiel, incomplet, qui privatise les bénéfices et socialise les pertes. Les gens de La Poste m'ont expliqué que tout regrouper à Dijon est positif car il y a moins de camions plus gros, donc moins de gaz à effet de serre. C'est là où la grande région issue de la réforme territoriale peut agir. Les regroupements se font naturellement sur Dijon et si on ne fait rien, ça va continuer. Je suis pour l'examen d'une vision globale où 60% seraient à Dijon et 40% à Besançon. Ne rien faire fragiliserait la Franche-Comté.

Quand on examine les votes des députés de votre groupe, son évolution sur les votes de confiance, on voit un groupe divisé...

La proportion des votes s'inverse en effet après la sortie de Cécile Duflot du gouvernement. Tous les groupes sont traversés par le doute. C'est normal qu'on cherche, cela explique les frondeurs au PS, nos débats... Entre l'idéal, le long terme, et ce qu'on fait aujourd'hui quand on vote une loi, il y a des différences d'appréciation importantes. Comment faire face aux difficultés des entreprises, à l'endettement qui accompagne les politiques depuis 40 ans, où pour gagner il suffit que l'autre perde et qu'on lui tape dessus... Ça ne marche plus. Il y a eu une faiblesse de l'imagination au PS pendant les dix années Chirac-Sarkozy. L'exigence du projet politique ne peut pas se réaliser car il n'y a pas de sincérité, mais si on est sincère, on ne gagne pas...

Il y a eu le retournement de François Hollande sur le TSCG !

Oui. Mais il a obtenu deux reports, en 2013 et 2017, pour le déficit à 3%...

Que pensez-vous de la dette grecque ?

On doit pouvoir renégocier les taux d'intérêt. On doit aider les Grecs à lutter contre l'évasion fiscale car tous seuls ils n'y arriveront pas.

Hollande doit-il être médiateur entre l'Europe et la Grèce comme vous l'avez dit, ou aux côtés des Grecs ?

La question de départ est celle de la légitimité de la dette. François Hollande n'a pas tenu, Matéo Renzi non plus. Il n'y a pas d'alliance. Pour la dette, il faut rembourser moins et moins vite. C'est ce qu'a fait François Hollande qui a obtenu quatre ans de décalage. La gauche de la gauche demande qu'on reprenne l'échéance sans dire ce qu'elle considère acceptable...

« Retrouvons-nous,
toute la gauche,
pour que ceux qui se sont gavés
soient mis à contribution.
Même s'il y a une partie illégitime à la dette,
il faut rembourser la dette légitime. »

 

La fiscalité des riches n'a pas beaucoup bougé...

On a fiscalisé les revenus du capital au même niveau que ceux du travail, il y a la tranche à 45% ! Je suis en colère car on ne parle pas de ça ! Trop, c'est trop ! On veut déglinguer Hollande par tous les moyens...

Vous avez créé un club de réflexion d'écologistes réformistes. Allez-vous rester chez les Verts ?

S'ils restent les Verts... J'y suis car c'est un mouvement qui accepte la complexité. On a simplifié le discours contestataire radical, mais ce n'est pas pour ça qu'on est chez les Verts. Je suis pour rapprocher les points de vue et on est en train de cliver. Il ne faut pas que les Verts me quittent !

Vous êtes de l'aile modérée et proche du PS...

Je suis écologiste, pas socialiste. J'ai une rigueur intellectuelle qui m'empêche d'aller dans l'outrance. La division désespère nos concitoyens. Cette division à gauche désespère. On a une appétence à s'indigner matin, midi et soir, il faut débusquer le social-traitre ou l'écolo-traitre... J'ai toujours plaidé pour la baisse des dépenses publiques et la réduction des déficits. La question n 'est pas la baisse, mais qui doit payer la part légitime des dettes ? Retrouvons-nous, toute la gauche, pour que ceux qui se sont gavés soient mis à contribution. Même s'il y a une partie illégitime à la dette, il faut rembourser la dette légitime. La bataille consiste à aller chercher les ressources pour augmenter les recettes afin de ne pas trop baisser les dépenses. La loi Cahuzac marche : 30.000 personnes ne sont signalées pour 25 milliards d'actifs et 6 milliards de recettes pour l'Etat !

Et les transnationales qui tentent de récupérer la souveraineté ?

C'est hyper dur !  La communauté internationale se mobilise, c'est hyper dur ! Même les plus libéraux comme James Cameron le font !

Parlons de la loi Macron. Une partie des électeurs de gauche ont été outrés par l'exonération des groupes des plans sociaux dans leurs filiales...

L'article a aussi enlevé un dispositif qui ne marchait pas : l'administrateur judiciaire était dans l'incapacité de mettre en oeuvre le plan social, comme l'a montré le député PS frondeur Denys Robillard (voir ici et faire défiler jusqu'à « modification au droit du licenciement économique). Beaucoup de sujets sont moins tranchés qu'on ne croit.

C'est quand même tendu à gauche !

Je vois la dérive dans la gauche, les fractures...

« Je préfère que la gauche s'empare
de la question du droit du travail
plutôt que ce soit la droite :
si on fait la réforme du droit du travail,
on coupera l'herbe sous le pied à la droite. »

 

Quel bilan faites-vous de votre action de député ?

Mitigé ! Je ne fais jamais abstraction du contexte économique mondial... Je pense que le curseur politique part à droite. Ce monde ne me va pas, mais on ne peut pas s'en extraire.

Certains disent que l'Europe ne sait pas se protéger comme le font les USA ou la Chine...

Pendant 400 ans, l'Europe a profité de la mondialisation. Maintenant que ça commence à s'équilibrer, on voudrait tout arrêter ! Des entreprises coulent mais l'Union européenne reste bénéficiaire du commerce mondial.

Faut-il que tous les tee-shirts du monde soient produits en Asie ?

Non, je suis pour les circuits courts. Mais les consommateurs choisissent.

N'est-ce pas de la responsabilité politique collective ?

Les deux ! Je regrette que le curseur aille vers la droite, mais je discute avec la droite républicaine...

Comment voyez-vous les élections départementales ?

On va prendre une bâche, mais François Hollande ne changera pas de cap. Le prochain changement de cap sera en 2017, et là on verra la différence entre la droite et la gauche sur les objectifs de la transition énergétique ou la réduction des dépenses de Sécu. Je préfère que la gauche s'empare de la question du droit du travail plutôt que ce soit la droite : si on fait la réforme du droit du travail, on coupera l'herbe sous le pied à la droite. Des députés de droite m'ont dit : « on aurait dû réformer le PACS en donnant l'égalité des droits et la gauche ne serait pas revenue dessus... » Mon action, au groupe, est souvent mal perçue car perçue comme pro Hollande. Moi aussi j'ai voulu conditionner le CICE... Si c'était un allégement de charges, il n'y aurait pas de discussion sur la conditionnalité.

Mais elle n'existe pas dans les faits !

On veut être sûr qu'il n'augmente pas le salaire des dirigeants ou les dividendes. Après deux échecs, on a mis en place la contribution climat-énergie avec une taxe gazole poids-lourds dont on ne parle plus.

Quelle part de votre temps passez-vous sur la circonscription ?

La moitié de mon temps. Après notre entretien, j'ai rendez-vous avec un médecin pour parler de la loi santé. Sur la loi Macron, j'ai vu des administrateurs judiciaires. Je suis interpellé sur la vie locale...

Comment voyez vous 2017 ?

Je ne suis pas obsédé du tout. Ce n'était pas mon objectif d'être député. Me représenterai-je ? Je ne sais pas. Ça demande une énergie qui bouffe... Notre modèle économique est mort, il n'y a pas de bonne solution. La dernière relance de Sarkozy, en 2011, a marché un an...

Que dîtes-vous de la baisse de 11 milliards des dotations d'Etat aux collectivités ?

Je suis intervenu plusieurs fois dans l'hémicycle pour dire qu'il faut des investissements locaux. Toutes les critiques, je les partage et je les porte.

 

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