Echapper au désastre

Elle s'adresse aux perdants, il parle aux audacieux. Et si les deux finalistes de la présidentielle étaient les deux faces d'une même pièce ?

L'apparent antagonisme entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron est-il aussi radical que l'évidence semble le suggérer ? Elle dénonce les méfaits de l'Union européenne. Il en glorifie les mérites. Elle reprend à son compte jusqu'aux critiques anticapitalistes émanant du syndicalisme ouvrier ou agricole, ce qui lui permet d'élargir à bon compte la base sociale plus étroite de l'extrême-droite. Il reprend les critiques des jeunes (auto)entrepreneurs sans le sou qui voudraient un peu de sécurité dans ce monde de brutes, il parle d'ouverture et de déverrouillage, ce qui lui permet de construire un socle électoral plus important que les 5% de Valls à la primaire socialiste de 2011... Elle s'adresse aux perdants, il parle aux audacieux.

A entendre le philosophe Geoffroy de Lagasnerie que nous avons déjà cité ici, ces deux-là sont les deux faces d'une même pièce, assez représentative de l'époque. « Des choses antagonistes participent d'un même moment », expliquait-il sur France Culture (ici, journal, puis bas de page, à 13'30'') en soulignant les similitudes qu'il voit entre les mouvements fascistes des années 1930 et plusieurs thèmes largement présents dans le discours d'Emmanuel Macron.

Vous souriez ? Le philosophe cite « l’absence de clivage droite-gauche », le fait de « se penser comme faisant la révolution », de se poser en « leader charismatique », de porter une « critique radicale de l’égalitarisme » se traduisant notamment par l'affirmation selon laquelle « La France souffre de trop d’égalitarisme ». En outre, ajoute-il, « l’éloge de l’enracinement, de la hiérarchie, de la patrie, de la famille, de l’obéissance et de l’autorité participent d'une acclimatation au climat fasciste ambiant ».

Geoffroy de Lagasnerie assurait il y a deux mois qu'il voterait « sans problème » Macron face à Le Pen parce qu'il est « moins pire ». Aujourd'hui, on y est, et le conditionnel n'est plus de rigueur. Il espérait seulement alors que « le système médiatique et intellectuel » allait le « dénoncer ». Force est de constater au contraire que le système médiatique en a fait son candidat préféré...

Cela ne fait pas d'Emmanuel Macron le fasciste de ce deuxième tour. On aurait d'ailleurs plutôt tendance à penser que c'est son adversaire qui mérite le mieux ce qualificatif. Certes, elle n'a fait qu'hériter d'un parti dont plusieurs fondateurs ont trempé dans les vilénies de l'Occupation et de la décolonisation, parmi lesquels un fondateur de la Milice, organisation ayant trempé dans nombre d'exactions dont la rafle du Vel d'Hiv. Mais c'est bel et bien elle, et non des anciens combattants, qui a participé à un bal néo-nazi en 2012 à Vienne...  

Bref, voilà qui présente sous un aspect quand même un peu glauque ce que certains annoncent comme le combat du bien et contre le mal... En fait, il s'agit pour certains du moins pire contre le pire. Ceux là mêmes qui expliquent que « le moins pire, c'est encore le pire »... Le hic, c'est que l'argument, à tout le moins de manière subliminale, a déjà été utilisé par... François Hollande quand il songeait encore à se représenter : « moins pire que Sarkozy », expliquait Marianne l'été dernier.

Voilà pourquoi on aurait tort de considérer comme une formalité ce duel entre le jeune représentant de l'intelligentsia européenne et la députée européenne mise en examen pour avoir fait les poches de l'Union. On a entendu toute cette journée de lundi 24 avril nombre de commentateurs expliquer au vu des ralliements et des sondages que c'était plié.

Optimisme béat ou aveuglement ? On se rassure en se disant que les législatives offrent encore une chance d'échapper au désastre. Divisée donc éliminée, mais majoritaire en voix parmi la nouvelle « bande des quatre », la gauche de gauche saura-t-elle redevenir une alternative crédible ? La PASOKisation du PS en est une condition, et un frein... jusqu'aux législatives. Pour l'heure, elle paraît bien partie pour approfondir sa recomposition dans l'opposition.

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