Deux heures de quasi insurrection à Besançon

L'acte 6 de la manifestation des Gilets jaunes et leurs soutiens a réuni 800 à 900 participants samedi 22 décembre. Le cortège revendicatif a été sans heurt en début d’après-midi, avant que des incidents d'une radicalité inégalée marquent la fin de journée. Le dispositif policier et judiciaire, jamais déployé localement jusque là, fera date...

acte6

Rendez-vous était à nouveau donné place de la Révolution à 14 heures samedi 22 décembre, pour l’acte VI du mouvement des Gilets jaunes. Cette fois peu d’appels avaient circulé la veille, l’information étant surtout communiquée sur les réseaux sociaux et par le bouche à oreille. Près de 800 personnes finissaient par se retrouver au point de convergence et au fil du défilé, avec des profils semblables aux samedis précédents. La nouveauté résidait dans le dispositif policier et judiciaire hors-norme, jamais vu dans la ville.

Contrairement aux manifestations précédentes, les forces de l’ordre encadrent la tête de cortège. Des effectifs pléthoriques sont positionnés sur les principaux accès, étendus à une large part de la Boucle, afin de procéder à des contrôles préventifs drastiques, comme à Paris. Chaque manifestant est méticuleusement inspecté, par une fouille systématique de ses effets personnels et une palpation complète. Plusieurs interpellations sont effectuées avant même l’hypercentre, d’après la Préfecture quatre personnes détenant illégalement pétards ou gazeuses. Aussi, dans ce cadre et alors que rien ne l’autorise formellement (ci-contre 1), les masques et lunettes de protection sont confisqués.

L’absence de déclaration de la manifestation a été utilisée pénalement par la suite, afin de caractériser une infraction et des poursuites (ci-contre 2) en l’absence de dossier plus sérieux. C'est inédit à Besançon, et contraire à la tradition de refuser toute « autorisation du Pouvoir » jusqu’ici tolérée. En cela cette journée est exceptionnelle avant même d’avoir commencé, puisqu’elle marque une rupture majeure depuis Mai 68. Ce bouleversement choque les militants les plus anciens, particulièrement inquiets et remontés.

Révolution-Préfecture, chronique d’un cortège « sans histoires »

Au point de départ à 14 h, ils ne sont encore que quelques centaines au rendez-vous. Mais ils sont rapidement rejoints, jusqu’à un total de 700 d’après la Préfecture vers 15 h. Comme longuement rapporté sur Factuel, le profil et le témoignage des manifestants demeure sensiblement équivalant ; notamment avec un afflux significatif des « campagnes » venu grossir les rangs, et une présence plus remarquée des organisations syndicales et politiques. Quelques prises de parole « indépendantes », drapeaux tricolores, Marseillaises, mais aussi slogans et fumigènes, galvanisent les foules.

Les transports en communs et la circulation sont perturbés, et même interrompus à partir de 14 h. Départ en défilé vers 15 h 15 et premiers slogans. « Les jeunes dans la galère, les vieux dans la misère, de cette société là, on en veut pas », « Besac’, debout, soulève toi », « Macron démission », scandent les participants. Des affiches explicites sont également exibées : « fâché pas facho », « le problème c’est le financier par l’immigré ». D’autres exigent le « Référendum d’Initiative Citoyenne. » Dans la vieille ville, les commerçants rentrent présentoirs et sapins, certains baissent les rideaux rues Bersot et des Granges. Arrivée près de la Préfecture à 16 h 15, quelques « gilets jaunes » appellent à la dispersion mais beaucoup d’autres veulent au contraire poursuivre.

De la confrontation à l’insurrection.

Le classique face à face entre les manifestants, jusqu’à 900 environ, et les gendarmes mobiles, une quarantaine, ne se dément pas. Une énième fois, le cortège se rendant au plus près des force de l’ordre est fermement repoussé. Aux tirs de gaz lacrymogène MP7, répondent divers projectiles entre Préfecture et Chamars. Une bonbonne d’acide est lancée en direction des forces de l’ordre, et la Préfecture évoquera l’utilisation de mortiers artisanaux et de cocktails molotov même si aucune corroboration ni suite ne se confirmera les jours suivants. Dés 17 h, on compte au moins cinq interpellations.

Vers 17 h 30, une charge repousse 300 à 400 manifestants restant avenue du 8-Mai. Le mobilier publicitaire J.C.Decaux est tagué, des feux tricolores sont arrachés, le macadam de la route extrait. Une lacrymo tirée termine sa course dans l’habitacle d’un véhicule place Saint-Jacques : choquée, la conductrice sera conduite à l'hôpital. Les événements prennent dès lors une tournure insurrectionnelle. Le cortège gagne la City à partir de 18 h 15, avec encore 150 à 200 personnes. Toujours une grosse part de « gilets jaunes » avec environ 70 % du total dont une majorité de ruraux, et 30 % de militants et jeunes issus des quartiers populaires bien plus présents que les samedis passés.

ThibaultLes noms ont été changés à la demande des intéressés., la petite trentaine, originaire du Sud de la France, en visite familiale dans la région de Baume-les-Dame, est venu avec quelques amis. Il était sur les ronds-points au commencement, mais « en avait marre d’être gentil. » « Si on veut que ça bouge vraiment, il faut aller jusqu’au bout de la logique et ne plus se contenter des pancartes. Ce sont les affrontements qui ont contraint Macron à faire des annonces, qui sont plus un foutage de gueule qu’autre chose. Donc à nous de poursuivre jusqu’à qu’il lâche, et pour ça à la guerre comme à la guerre. » Il tient également à saluer la présence des jeunes de cité « qui sont deter et réglos. »

Yohan (*), jeune majeur de Planoise, plus discret sur son parcours, tient à s’exprimer : « Quelques amis sont là depuis le début des manifestations à Besançon. Mais maintenant que ça part en affrontements, on veut être là. On n'est à l’origine de rien et on ne prend personne au dépourvu, mais on accompagne. La grogne contre la fiscalité c’est abstrait, mais c’est pas parce qu’on ne fait pas de discours, qu’on n’a pas, nous aussi, des choses à dire et à faire. Le système, on le subit aussi, d’une autre manière, tous les jours. Alors si on peut prendre notre revanche et contribuer à une mini-Révolution, pourquoi s’en priver ? »

Les précédents de Mai 68 et Lip 73

Les participants gagnent la rue de Dole et son important trafic automobile vers 18 h 30. Le « front » s’étend désormais de Polygone à la Chambre de Commerce et d’Industrie. Les « sucettes » publicitaires du secteur sont désormais en feu, notamment rue Oudet. Des dizaines de poubelles et débris sont assemblés et transformés en barricade incendiaire au niveau de la rue Roy. Plusieurs abribus volent en éclat, des cameras de vidéosurveillance sont visées. Les fumées sont visibles et remarquées en périphérie. Pendant une vingtaine de minutes, règne une troublante accalmie. Les forces de l’ordre, en nombre, tentent de prendre l’ensemble en tenaille peu avant 19 h.

La charge, massive, fait alors fuir la foule dans les petites rues escarpées adjacentes, suivant la ligne Vieilles-Perrières et Pochet, pour aboutir à Plançon. Un tir de lacrymogène se perd dangereusement dans des câbles électriques, participant à la panique générale. Sur les quais, alors que se dispersent les derniers manifestants, des fourgons de police débarquent à vive allure, s’arrêtent net. En descendent des fonctionnaires qui interceptent des jeunes de quartier, sans les contrôler ou les arrêter, les molestent vivement, leur criant de « dégager », et repartent aussi brusquement. La situation s’apaise définitivement autour de 19 h 30.

Bilan provisoire, on compte 17 interpellations, au moins deux personnes touchées aux jambes par des tirs de flash-ball, de nombreux incommodés par les gaz... Une part du centre-ville porte des stigmates considérables que les agents municipaux s’attellent à effacer le soir-même. Plusieurs garde-à-vues ont débouché sur un fiasco : quatre mineurs ont été « interpellés par erreur » dixit les autorités. Pour nombre d’autres la fameuse utilisation inédite de l’article 431-3 du code pénal « faute de mieux ».

La Préfecture, qui « condamne fermement les violences » mais « décrète le temps du dialogue », n’arrive pas à trouver d’issue au conflit. Sans leaders à flatter ou menacer, sans corps intermédiaire traditionnel avec lequel composer, et surtout sans réponse politique à la hauteur des revendications, les samedis pourraient se suivre et se ressembler.

S'il faut se garder de toute comparaison hasardeuse, ces événements constituent localement les plus importants depuis Mai 68 et l'affaire Lip en 1973...

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