Des Racines et des Feuilles « ostracisée » pour une histoire de foulard

Cette association d'éducation populaire et de soutien scolaire animée par des mères de familles de Planoise avait organisé un rassemblement anti-terroriste en novembre 2015. Elle fonctionne au ralenti depuis la rentrée. La préfecture a sucré les subventions qui finançaient ses trois emplois, arguant la fin d'un dispositif tout en reprochant une atteinte à la laïcité. Le président de l'Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, n'est pas d'accord.

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C'est le genre de délibération qui passe généralement sans discussion et que la presse, si elle en parle, mentionne en deux lignes. L'association Des Racines et des Feuilles (DRDF) s'est vu attribuer « sous condition d'analyse du dossier » une subvention de 8.828 euros par le conseil municipal de Besançon le 13 décembre. Il s'agit de lui permettre de financer des « animations de quartier » telles que du soutien à la parentalité, de l'accompagnement scolaire, des ateliers de français sociolinguistique et sur la citoyenneté. Personne ne s'y est opposé, les deux élus ex-Patriotes ex-FN s'abstenant.

Pourtant, une discussion témoigne au moins de deux choses. La première est une confirmation que plus grand chose ne va au sein de la majorité municipale élue en 2014. Ancien adjoint destitué le 28 juin après que la délégation aux associations lui eut été retirée par le maire, Jean-Sébastien Leuba (intergroupe PCF-EELV-PS dissidents) explique ainsi ne pas avoir eu accès au dossier relatif à la subvention à DRDF dont il a réclamé la communication : « l'association ayant eu des difficultés, vu son poste d'adulte-relais supprimé, je voulais des éléments pour pouvoir voter ». Il réclame le report du vote au prochain conseil.

« On demande des informations, on n'a pas de réponses... »

Désormais en charge de la vie associative, Karima Rochdi (LREM) répond que la ville entend « accompagner » une association qui touche 500 personnes et a « entamé une démarche diagnostic pour engager une dynamique nouvelle ». Ces propos passe-partout cachent un non-dit sur les difficultés de l'association, en délicatesse avec la préfecture. Ils n'empêchent pas Thibaut Bize (PCF) d'abonder dans le sens de Leuba : « on demande des informations, on n'a pas de réponses. Cette subvention n'existait pas les années précédentes. On ne peut pas voter sur un dossier sur lequel on n'a pas plus d'éléments. »

Michel Omouri (LR) en rajoute une louche : « Pourquoi l'Etat ne continue pas à soutenir cette association ? Il y a une problématique sur cette association... » Il n'en dit pas davantage, mais on sent des insinuations qu'il n'ose pas dire tout haut, ce qui ne lui ressemble pas. Cela fait réagir Adbel Dhezali (PS) : « cette association travaillait en lien avec la maison de quartier de Planoise, avec d'autres associations, avec PARI... On tourne autour du pot pour sous-entendre des éléments, mais le cadre qui doit s'imposer est celui de la République. Et les gamins dont elle s'occupe, on pourrait les retrouver ailleurs... »

Bigre ! A moins d'être initiés, les spectateurs et auditeurs du conseil municipal n'ont pas dû comprendre grand chose. Et quand Omouri insiste pour savoir « pourquoi l'Etat s'est désengagé si rapidement », Rochdi lui rétorque : « Demandez à l'Etat ! » La réponse ne satisfait ni Pascal Bonnet (LR) ni Jacques Grosperrin (LR), un peu embarrassé : « le dossier n'est pas prêt. Je comprends qu'il ne faut pas mettre les enfants en difficulté, mais il faut surseoir... » Jean-Louis Fousseret a la solution : on vote la subvention « sous condition d'analyse ».

Plus de subvention : l'association au ralenti

Qu'est-il donc arrivé à l'association Des Racines et des Feuilles ? L'essentiel est dit sur site internet depuis la rentrée : « en raison de l'arrêt des aides à l'emploi de l'Etat, nous n'avons plus de poste de coordinatrice ni aucun poste ». Celle qui fut sa coordinatrice, Chahrazed M'Barek le répète à France Bleu le 19 septembre, il s'agit de trois contrats aidés, un poste d'adulte-relais à plein temps et deux contrats d'insertion à temps partiel. La conséquence est la réduction drastique de ses activités de soutien scolaire, la suppression de certaines permanences, comme l'accès au droit. Elle annule son vide-grenier du 7 octobre, mais participe au marché de Noël Village du Monde.

Karima Rochdi, que Factuel avait sollicité fin octobre sur le sujet, ne tarissait pas d'éloges sur une association « très dynamique » qui « fait de très belles choses ». Elle savait déjà que la subvention de l'emploi adulte-relais, « un poste tournant d'une association à une autre », n'avait pas été renouvelée, mais nous assurait que la ville allait continuer à l' « accompagner dans le cadre du contrat de ville ». Savait-elle qu'il lui était reprochée une atteinte à la laïcité ? Manifestement oui, car elle répondait : « On est très attentif à ça. Tant qu'on n'a rien de concret, on continue à soutenir... Et l'Etat est partenaire du contrat de Ville... »

De leur côté, les dirigeantes de DRDF font remonter le « début des problèmes » à février 2017. A cette époque, DRDF prépare l'organisation pendant les vacances de stages de français langue étrangère en partenariat avec l'association PARI. Peu après, précise le compte-rendu du conseil d'administration du 24 novembre dernier, « le président de PARI fait remonter une information à la préfecture ». Laquelle ? Ce n'est pas précisé, sauf qu'à la ligne suivante on peut lire : « quelques jours plus tard, la préfecture fait savoir qu'elle a appris que DRDF a envoyé une animatrice portant le foulard dans les locaux de PARI et que cela n'est pas permis ».

« Quelque chose a-t-il été exagéré, caricaturé ? Y a-t-il eu malentendu ? »

L'affirmation est contestée par DRDF qui a un argument imparable : « les cours n'ont pas commencé ». Elle se défend de tout prosélytisme, mais le secrétaire général de la préfecture, est-il relaté dans le compte-rendu du CA, « fait savoir qu'il n'y a pas de garantie de la laïcité ». Le secrétaire de l'association, Gilles Montenoise, s'interroge : « Quelque chose a-t-il été exagéré, caricaturé , Y a-t-il eu malentendu ? »

Car DRDF est avant tout une association d'éducation populaire. Elle n'a tellement rien à voir avec l'islam radical, ou pire avec le terrorisme qui s'en prévaut, qu'elle est à l'initiative d'un rassemblement de Planoisiens en réaction aux attentats de novembre 2015 à Paris. Plusieurs de ses adhérentes portent un foulard, et alors ? La religion et les opinions personnelles ne sont pas acceptées dans les cours et les locaux de l'association « sinon c'est un champ de bataille », nous expliquait Chahrazed M'Barek quelques semaines plus tard lors d'un reportage.

Restait l'ambiguïté liée à l'apparence... 

Est-ce cette apparence qui a conduit la préfecture et la CAF à écrire à l'association en juin 2017 pour qu'elle prenne position sur le port du foulard et justifie la pérennité de ses actions ? Elle tient aussitôt une assemblée générale extraordinaire, ajoute à son projet associatif un article dédié au respect de la laïcité, et fait suivre à sa coordinatrice une formation comprenant un volet « Valeurs de la république et laïcité ».

La réunion qui suit à la préfecture sur le sujet se passe bien, indique la présidente de DRDF, Amina Benaddi. Mais dans la foulée, le 18 juillet 2017, le secrétaire général Jean-Philippe Setbon écrit que « la convention adulte-relais qui échoie au 31 octobre 2017 ne pourra faire l'objet d'un second renouvellement ». C'est la douche froide. Le 15 septembre, la préfecture annonce un audit de l'association qui se tiendra sur quatre jours entre le 20 septembre et le 4 octobre 2017. Il ne décèlera rien de suspect. Il y a bien un petit déficit, dû à la fin du dispositif adulte-relais, mais il est pris en charge par l'association...

Des réunions se tiennent également au premier semestre 2018 avec la CAF où il est également question du voile. L'association propose alors une référente scolarité ne portant pas le foulard. Chahrazed M'Barek s'entend dire par le délégué du préfet « qu'après tout chacun fait ce qu'il veut en matière de foulard ». Mais à la rentrée, un reportage télévisé au lycée Victor-Hugo montre une adhérente de DRDF porteuse d'un voile, ce qui aurait conduit le rectorat à taper sur les doigts du proviseur. « A partir de là, tout s'est déchainé et la préfecture a écrit qu'elle ne pourrait plus continuer à subventionner à cause d'un non respect de la laïcité »,  témoigne un sympathisant de l'association.

Dans le même temps, alors que la coordinatrice, Mme M'Barek est licenciée pour raison économique, l'association écrit au préfet pour lui demander que « l'Etat fasse preuve de clairvoyance et [lui] accorde davantage de confiance, reconnaissance et soutien » pour le travail effectué et à venir. En l'occurrence, il s'agit de continuer à financer les deux emplois aidés à mi-temps qui restent.

« Je ne peux pas accorder un agrément à votre association dont vous savez
que je considère qu'elle ne présente pas toutes les garanties nécessaires
en matière de respect du principe de laïcité. »

La réponse de Jean-Philippe Setbon, début octobre alors qu'il assume l'intérim du préfet pour encore quelques jours, est à déguster lentement : « j'ai le regret de vous informer que je ne peux pas donner une suite favorable à votre demande. En effet, je ne peux pas accorder un agrément à votre association dont vous savez que je considère qu'elle ne présente pas toutes les garanties nécessaires en matière de respect du principe de laïcité. Le respect de ce principe constitue une condition indispensable à l'accueil de jeunes en service civiques. En outre, la fragilité financière de votre association et le licenciement récent de l'unique salarié m'amènent à considérer que les conditions ne sont pas requises pour l'accueil, l'encadrement et l'accompagnement dans le cœur de ce dispositif. »

Ce dernier argument paraît fragile, car le tutorat des contrats civiques n'est pas obligatoirement fait par des salariés d'une association, mais peut l'être par un bénévole.

Fin octobre, Factuel avait demandé à la préfecture les raisons pour lesquelles DRDF s'est vue retirer ses emplois aidés et/ou ses subventions. Il nous a été répondu que la décision a été « prise en application des règles qui encadrent la gestion des conventions adulte-relais et des priorités décidées par le Gouvernement (...). Dans le Doubs, l'Etat s'emploie à respecter une durée de conventionnement conforme à l'esprit du dispositif afin de mettre en œuvre [les conventions] de manière réactive et dynamique en fonction des besoins repérés, notamment pour soutenir des projets de médiation émergents dans les quartiers de la politique de la Ville ».

Le soutien du président de l'Observatoire de la laïcité

Nous avons aussi demandé à la préfecture si elle s'appuyait sur une éventuelle atteinte à la laïcité. La réponse est d'une ambiguïté toute administrative, consistant à reporter publiquement la responsabilité sur le rectorat : « le soutien aux actions éducatives doit s'inscrire dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'Education Nationale formalisé par un agrément académique qui, à ce jour, n'a pas été accordé à l'association ».

Amina Banaddi, la présidente de DRDF, entend encore le Dasen lui annoncer cet agrément, mais elle déchante peu après : « on a reçu une lettre nous indiquant que pour l'avoir, on aurait du travailler sur l'ensemble de la ville, et pas seulement sur Planoise, mais quand on en a parlé au Dasen, il est tombé des nues en nous disant que ce n'est pas lui qui l'avait écrite... »

Dans la salle utilisée pour le soutien scolaire, la petite bibliothèque de l'association propose aux enfants et adolescents des auteurs qui ferraient certainement frémir d'horreurs tous les intégristes religieux : Jean-Jacques Rousseau et Eugène Ionesco, Emile Zola et Pierre Bourdieu, Amin Maalouf et Joseph Kessel, Coluche et le peintre Bonnard...

Pour l'heure, Des Racines et des Feuilles tire le diable par la queue. « Avant, il y avait des gamins partout, maintenant, c'est vide le matin », soupire Gilles Montenoise, secrétaire de l'association et bénévole en soutien scolaire.

Dans un premier temps, l'association a fait le dos rond, s'est sentie « ostracisée », « acculée sur le problème de la laïcité ». Elle a formé un recours gracieux auprès du nouveau préfet, Joël Mathurin, à qui elle a demandé audience. Une bonne source explique que le délégué du préfet dans les quartiers trouve que l'association « travaille bien » mais que le secrétaire général de la préfecture « l'a prise en grippe ».

 

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