Dans le Doubs aussi, les médailles « Gilets jaunes » de la police posent question

Mediapart avait révélé que certains nominés aux médailles de la sécurité intérieure, promotion exceptionnelle « Gilets jaunes », étaient mis en cause dans des affaires de violences policières au retentissement national. Dans cette liste de 9000 noms figurent plusieurs agents de la préfecture du Doubs, comme le préfet, des fonctionnaires de gendarmerie ou de police, dont le chef de la BAC de Besançon. Au niveau local, il apparait que certains médaillés potentiels ne sont pas au-dessus de tout reproche... Nous détaillons ici des cas de violences et de mensonges, à la veille d’une manifestation intersyndicale de policiers qui dénoncent des conditions de travail dégradées et une sollicitation extrême.

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Cet été, le ministre de l’Intérieur a signé un décret instituant une « promotion exceptionnelle médaille de la sécurité intérieure “gilets jaunes” ». Plus de 9000 noms sont cités, un chiffre beaucoup plus élevé que prévu initialement et qui vise à saluer largement l’engagement des forces de l’ordre durant ce mouvement social, inédit par sa durée et son intensité. Parmi eux, des fonctionnaires de police ou de gendarmerie opérant à Besançon distingués par cette médaille « destinée à récompenser les services particulièrement honorables, notamment un engagement exceptionnel, une intervention dans un contexte particulier, une action humanitaire ou l’accomplissement d’une action ponctuelle ou continue dépassant le cadre normal de service ».

 

Préfet du Doubs depuis le 24 septembre 2018, Joël Mathurin n’a pas reçu l’or, mais une distinction « échelon argent ». Très attentif au mouvement des Gilets jaunes, prenant plusieurs arrêtés d’interdiction de manifester, donnant des consignes de prudence aux manifestants et des ordres de dispersion sur les réseaux sociaux, il a appliqué sans barguigner les directives gouvernementales de fermeté. Il semble cependant s’être fait abuser par ses services le 30 mars à Besançon, lors de l’acte 20 des Gilets jaunes. Annonçant « vingt à trente casseurs dans la manifestation non déclarée », il en ordonnait la dislocation.

Mais selon les observateurs sur place, pas plus de casseurs que de black blocks ne sont présents. Ce sont plutôt des charges policières désordonnées qui entraînent des mouvements de foule. La caméra de Radio Bip enregistre alors ce qui allait devenir « l’affaire Mathias », ce jeune homme pacifique qui reçut ce jour-là par derrière un violent coup de matraque à la tête de la part d’un policier. Relayant la version policière, le préfet avait d’abord évoqué devant la presse les gestes hostiles du manifestant. Cette version est contredite par les images de Radio Bip, qui a filmé le coup et les instants qui l’ont précédé. Devant l’évidence, le préfet s’est finalement résolu à saisir l’IGPN.

Autre figure de la préfecture distinguée : Franck Dasprés, chef du bureau de la communication. Après avoir été chargé de la prévention de la délinquance, adjoint au chef de cabinet et chef du pôle sécurité, il officie depuis mai 2018 à la gestion du site Internet et des réseaux sociaux, l’organisation événementielle, la rédaction et le relais des communiqués de crise, les relations avec la presse. Une de ses prestations mémorables est sa négation de l’usage de Flash-ball et de l’existence d’un blessé le 12 janvier 2019, lors de l’acte 9 des gilets jaunes. Alors que les éléments probants se succédaient, le commissariat finit par reconnaître cette réalité. S’en suivit un rétropédalage dialectique de la préfecture qui justifiait sa première position en indiquant qu’il s’agissait de LBD et non de Flash-ball... Une pirouette sémantique récompensée par une médaille de bronze.

 Des lauriers pour la gendarmerie

Les gendarmes ont été en première ligne dès le 17 novembre 2018 sur de nombreux ronds-points occupés situés en périphérie de Besançon. Le plus emblématique, situé à École-Valentin, était directement placé sous leur responsabilité. Le 8 décembre avant l’aube, ils appliquaient l’ordre d’évacuer d’une façon particulièrement musclée, détruisant la petite cabane en bois et usant de gaz lacrymogènes sans sommation. Brièvement tolérés « tant que la circulation n’était pas impactée », les rassemblements sur le site étaient interdits par un arrêté de la préfecture émis deux jours après. Cela avait été vécu comme une injustice par de nombreux participants, choqués d’être « dégagés comme des malpropres alors qu’absolument pacifiques ». Les cortèges se sont vite substitués aux campements et les brigades seront de nouveau au contact, en particulier le 11 février à Chalezeule (acte 13), le 19 février à Châteaufarine (acte 14) ou le 28 février à proximité de la caserne de gendarmerie de la rue des Justices (acte 15).

Deux officiers de gendarmerie ont été honorés, le lieutenant-colonel Olivier Leblanc, à la tête des 170 militaires du secteur de Besançon, et le général Eric Langlois, patron de la légion de gendarmerie de Franche-Comté et ses 2 650 agents. Parti en juillet pour la Bretagne après trois années dans la région, il « assumait » le 30 juin dans L’Est Républicain : « Quand des commerces subissent des moins-values importantes, les conséquences économiques ont des conséquences humaines. On n’est pas dans un match, avec des équipes. Le gendarme fait preuve de force, pas de violence. La violence, c’est une passion déchaînée. L’État est aussi garant de la libre expression des opinions, et tout le problème de la vie démocratique est de tracer une frontière, forcément fluctuante. On incarne cette ligne au quotidien. Quand sur les ronds-points, on a manifesté cette limite, ça a été parfois mal vécu, mais c’est notre rôle et je l’assume. »

 Une ribambelle de policiers honorés

C’est dans la police que les attributions de médailles sont les plus nombreuses, avec au moins six cadres concernés. Le brigadier David Boisset, ancien de la BAC, est de ceux-là. Patron de la cellule de crise Gilets jaunes, comme il se qualifie lui-même, il est absent du terrain pour se concentrer sur l’aspect judiciaire. Plusieurs personnes l’accusent de dérapages verbaux lors d’auditions dont il avait la charge, étant notamment particulièrement virulent envers Frédéric Vuillaume, désigné comme l’un des « meneurs » de la contestation.

Sur son profil Facebook récemment épuré, il partageait à la vue de tous plusieurs images de la série américaine Marvel’s The Punisher, une tête de mort symbolisant un justicier qui élimine ses opposants... Un affichage dont le principe fait tousser l’auteur de la BD initiale, Gerry Conway, qui expliquait en janvier : « c’est dérangeant de voir les autorités avec cet emblème. Ce symbole, c’est celui de l’effondrement du système moral et social. Il montre que certaines personnes ne peuvent compter sur des institutions telles que la police pour agir de manière juste et compétente... »

Une jeune commissaire prometteuse au sang-froid discutable

 Autre fonctionnaire récompensée, la jeune commissaire Agathe Bossion, 30 ans, patronne des 135 agents de terrain, notamment police-secours et brigades anti-criminalités (BAC). Originaire de Lille, elle a pris ses fonctions en septembre 2017. Le 14 mars, lors de l’inauguration du commissariat de Planoise par le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, une pression pesait sur les forces de l’ordre afin que la fête ne soit pas « gâchée » par des contestataires. Passant par-là, un senior à vélo peu satisfait du bouclage de la zone, avait été immédiatement éconduit par la commissaire devant des témoins perplexes.

Le 13 avril, lors de l’acte 22 des gilets jaunes, elle s’était illustrée à Battant en sortant seule des rangs pour aller au contact de la foule. Pedro, observateur durant cette journée, raconte. « En début de soirée, c’était un champ de bataille. De la gare Viotte jusqu’à Battant, tirs de LBD, usage massif de lacrymos, et arrestations hasardeuses d’un côté, barricades parfois en feu, lancés de pavés et slogans incisifs de l’autre. Vers 20 h à la Madeleine, juste après des interpellations, une gradée s’est mise au milieu de la route et criait sur tout ce qui bougeait. Elle disait aux manifestants de la fermer, et de dégager. Ça a été pris comme une insulte. Évidemment, les provocations ont redoublé d’intensité après. » Une source bien au fait résume : « Elle a le mérite de se faire respecter d’une garnison complète, qui ne bronche pas sous ses ordres. Par contre sur le terrain dans un contexte tendu, elle est la première à perdre son sang-froid ».

La BAC, « élite » de la profession

Équipe de gros bras assumant le recours à la force pour des opérations coups de poing et les situations chaudes, la BAC compte une dizaine de membres à Besançon. Localement distinguée à partir de 2016 durant la mobilisation anti-loi Travail, cette formation a été également utilisée dans le registre répressif face aux Gilets jaunes. Elle a pour principal meneur un certain Thierry Silvand, « gardien de la paix », secrétaire départemental du syndicat Alternative-Police-CFDT, médaillé de bronze.

Le 5 janvier, la présence de la BAC au plus près des manifestants venus se recueillir au parc des Glacis en mémoire des blessés et des morts liés au mouvement des Gilets jaunes, marquait le premier incident d’une longue série. Le 12 janvier, la BAC agresse le correspondant de Factuel.info, Toufik-de-Planoise, en tentant de lui arracher son appareil photo sur le parking Saint-Paul. L’un d’eux arbore le fameux symbole du Punisher sur son uniforme au lieu de son RIO, pourtant obligatoire. Le groupe adressera plus tard des menaces de mort et des tirs de LBD, rue de Belfort, spécifiquement à Toufik-de-Planoise, et à d’autres. Une personne touchée à la tête sera d’ailleurs gravement blessée ce jour-là.

Des Gilets jaunes réclament, et obtiennent, l’éviction de la BAC, jugée provocatrice, du dispositif sécuritaire le 19 janvier pour l’acte 10. Mais celle-ci est de retour dès le samedi suivant pour la 11e édition, les agents redoublant alors de maladresses. Réalisant une manœuvre solitaire et dangereuse place Saint-Jacques, ils déchaînent une foule jusque-là imperturbable. Contraint de les extraire de ce bourbier, on a pu entendre le chef de la gendarmerie mobile, posté rue Charles Nodier, pester contre eux dans sa radio.

Le 30 mars, « l’affaire Mathias » implique là aussi un membre de la BAC, poursuivant sa « mission » sur le terrain, mais revêtue d’uniformes classiques. Le syndicaliste Thierry Silvand explique côtoyer le mis en cause, et multiplie les citations surréalistes dans une laborieuse défense donnée le 4 avril pour France 3. Des éléments de la BAC en uniformes étaient également présents le 1er mai 2019 devant le commissariat central. Ils ont fait un usage massif de la force, un fait éclipsé par la prétendue invasion du commissariat de la Gare d’eau par des centaines de manifestants. Une fable médiatique très vite dégonflée…

Les exemples peuvent encore se multiplier, mais les quelques cas ici abordés suffisent à établir la problématique. Omniprésent à l’instar des plus illustres décisionnaires, le « chef » Thierry Silvand est auréolé des mêmes honneurs avec une médaille de bronze. Aujourd’hui représentant départemental du syndicat Alternative Police CFDT, il était il y a quelques années le représentant d’une officine syndicale clairement marquée à l’extrême-droite : la FPIP.

« Une bonne triquée à ces saloperies »

Enfin, un fonctionnaire moins visible obtient lui aussi une récompense ; il s’agit du brigadier Alain Roggero. À nouveau sur les réseaux sociaux on trouve sur son compte le partage public d’un article de presse sur l’agression du 12 janvier dernier, et surtout une vidéo amateur de l’acte 15 des gilets jaunes à Besançon ; sa femme, agent municipal opérant comme secrétaire dans leur commune de résidence, y laissera un petit commentaire que mairie et administrés apprécieront sans doute...

Ainsi, mot pour mot, à propos des Gilets jaunes, elle écrit « une bonne triquée à ces saloperies », une contribution d’ailleurs « likée » par son époux et Thierry Silvand, au cas développé ci-dessus. Bien qu’utilisant un pseudonyme, on ne peut qu’être particulièrement choqué que de telles réactions soient publiées et approuvées par des fonctionnaires aguerris, et a fortiori au plus fort de la crise. Chacun appréciera l’honorabilité ou non de certains états de service des médaillés cités ici. Notons que si l’arrêté listant les noms a bien été signé par le ministère de l’Intérieur, celui-ci n’a semble-t-il pas encore été publié au bulletin officiel.

 

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