Cuisine centrale de Besançon : la difficile structuration de la filière bio locale

En annonçant 40% de nourriture biologique ou provenant de circuits courts, la ville veut montrer qu'elle fait des efforts. Mais en ayant renoncé à la légumerie réclamée par les écologistes en 2004, elle hésite à s'engager vraiment dans l'accompagnement d'une filière de maraîchage bio locale.

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C'est une cuisine dont on a beaucoup parlé. Les malfaçons du chantier des années 2007-2009 ont conduit à un contentieux débouchant en mai dernier sur une décision du tribunal administratif condamnant solidairement les architectes et les entreprises à payer à la ville près de 6 millions d'euros. Du coup, le décalage a été de quatre ans et la cuisine a ouvert à la rentrée 2013.

En la faisant visiter à la presse le jour de la rentrée, Jean-Louis Fousseret ne cache pas sa satisfaction. Il savoure sa revanche sur ceux qui moquaient une imprudence conduisant, disaient-ils, la ville à débourser le double de ce qui était prévu. Certes, convient le maire, il peut y avoir appel du jugement, mais en attendant, la justice lui a donné raison sur toute la ligne.

C'était un soulagement. L'équipement qualifié d'ultra moderne par la presse spécialisée dans les collectivités locales, ne devrait pas être un boulet politique. « Ce n'est ni une cantine, ni un restaurant, mais une cuisine où on fait des plats cuisinés », dit Jean-Louis Fousseret. Dans la foulée, il explique pèle-mêle qu'elle permet « l'éducation au goût et la lutte contre la mal-bouffe », que la liaison chaude – la livraison des plats dès leur cuisson – assure une « alimentation de qualité ». Cela n'est pas rien, précise-t-il, car le déjeuner pris dans les cantines est « malheureusement souvent le seul repas équilibré de la journée ». Et quelques fois le seul repas tout court.

Jean-François Rousseau, le directeur de la cuisine, est content : « on nous a donné les moyens de bien travailler. Le standard de qualité est le même que dans les hôtels de luxe. C'est une cuisine équipée comme l'industrie agro-alimentaire ».

La mal-bouffe, fille de la standardisation...

Le mot industrie résonne bizarrement dans notre esprit. Il s'accorde avec les processus bien calés, les normes intangibles, les précautions, l'obsession hygiénique, voire l'hygiénisme. En fait, tout ce qui fait justement penser à la mal-bouffe, fille de la standardisation des procédures, de la production de masse, de l'appauvrissement de la biodiversité...

Alors on nous fait visiter les lieux. Il faut d'abord s'équiper comme pour la découverte d'un atelier de fromagerie ou d'un laboratoire de fabrication de saucisses de Morteau : chaussons, charlotte, blouse... On est dispensé du masque mais il figure dans le kit jetable. Depuis quelques années, le cérémonial est bien rodé. On se lave ensuite les mains. Dans chaque salle, on trouve un lavabo et un sèche-mains à air pulsé.

Le circuit des denrées est implacable. Quand nous arrivons dans le hall d'arrivée, doté d'une porte donnant sur un quai où accostent les camions de livraison, Emilie Raynaud et son collègue réceptionnent les pommes – bio, venues d'Alsace – avant de les peser : « on a le droit de les goûter pour voir si elles sont mûres ! » Jean-Louis Fousseret en avise une bien rouge et la croque. Les photographes se régalent des yeux.

« Comme dans une usine agro-alimentaire »

Nous retournons sur nos pas en empruntant un couloir vitré. Côté gauche, dans une vaste pièce visible à travers une large baie, quatre employés procèdent à la fragilisation. C'est, explique Xavier Roussel, le chef cuisinier, une étape obligée : « toute la nourriture passe ici. Là, ils enlèvent la première enveloppe en ouvrant des paquets de viande sous vide... On y lave les pommes, désinfecte les tomates dans un bain avec de l'eau de javel très diluée ». Oups ! Comme le poulet au chlore des Américains popularisé par les militants anti-TAFTA ? « Non ! C'est comme dans une usine agro-alimentaire, on n'a pas le droit à l'erreur. On ne prend pas de risque ».

Côté droit, la réserve. On tombe sur d'énormes bocaux de champignons mélangés de la compagnie du Mont Lozère. Français ? Non, « importés », dit l'étiquette. Sur l'étagère du dessous, des sacs de sucre, sur celle d'en face des lentilles bio, sur une palette plusieurs dizaines de kilos de pâtes... Sur un emplacement réservé, le menu de secours, pour le cas où « il y aurait un problème » sur celui prévu.

Le couloir fait le tour de la salle de fragilisation et nous nous retrouvons dans la cuisine. Quatre sauteuses grandes comme des baignoires, six marmites de 300 litres, sept fours de 34 rayons dont chacun peut accueillir un plat d'une trentaine de parts... Il y a quand même 5.500 repas quotidiens à préparer.

Yann Auguste n'est pas peu fier de nous montrer la plonge, un immense lave-vaisselle de six mètres de long : « il fait tout, lave, sèche, c'est assez complexe et on a parfois des problèmes de capteurs : les techniciens sont venus deux fois... »

« La farine bio vient de Saint-Vit »

On file dans la petite salle à manger où les journalistes sont invités à partager le menu. Le léger manque de saveur des carottes râpées est justement rehaussé par un jus de citron bien dosé, les petits pois sont juste cuits al dente : chapeau ! Le fromage – du mamirollais – manque un peu d'affinage, mais c'est une affaire de goût. Le flanc à la vanille est fait avec du lait bio – venu lui aussi de l'ENIL de Mamirolle – et des œufs de poules PA. Comprendre : « élevées en plein air », ce que Jean-Louis Fousseret traduit par « en liberté », ce qui n'est pas exactement la même chose (explication ici).

Le bio et le local pourraient être la grande affaire de cette cuisine centrale. « Volonté ou symbole ? », demande un confrère. Le maire revendique « 40% de produits bio ou en circuits courts dont 12% de bio. On a commencé avec le pain, la farine vient de Saint-Vit. On veut mettre en place une filière de maraîchage à Port-Douvot en lien avec Chalezeule ». Donc les Jardins de cocagne...

Structurer la filière maraîchère bio locale avec une légumerie ?

L'idée n'est pas mauvaise, mais s'y est-on bien pris ? La majorité municipale a refusé l'adjonction à la cuisine d'une légumerie défendue en 2004 par les élus écologistes avec l'argument de la création d'une filière locale. Ils proposaient aussi de confier l'épluchage à l'Adapei. Cela ne les avaient pas empêchés de voter le projet, adopté à l'unanimité. En fait, la ville a fait un choix dictée par la règle des marchés publics. On peut introduire dans un marché les notions de bio ou de circuit court, mais pas celle de proximité. Le circuit court se définit en effet par un faible nombre d'intermédiaires, pas de kilomètres, mais on peut intégrer l'impact carbone d'une commande...

Parallèlement, les discussions entre la ville et la chambre d'agriculture pour sécuriser la qualité du principal captage d'eau, la source d'Arcier dont le bassin versant est le marais de Saône, ont conduit à une diminution des intrants sur les céréales, mais pas sur des conversions à l'agriculture biologique. « Quand il y a des mesures agro-environnementales, on diminue sans changer les pesticides, c'est regrettable », dit Pierre Chupin, producteur de fruits bio à Devecey. 

Pour l'heure, le fait est qu'il n'y a pas de filière maraîchère locale suffisamment importante pour fournir régulièrement les quantités nécessaires à Besançon. « Quand on fait une purée, c'est 800 kg de pommes de terre, on utilise 500 kg de viande par jour », explique Jean-François Rousseau. Les légumes sont donc achetés épluchés à des intermédiaires, pas forcément très éloignés : les carottes du déjeuner venaient ainsi de « l'est de la France ».

Pourquoi ne pas avoir fait une telle légumerie comme à Lons-le-Saunier dont la cuisine prépare 5000 repas quotidiens, pour les scolaires, les maisons de retraites et le restaurant municipal ? « Lons ne respecte pas le code des marchés publics », répond Jean-François Rousseau. En effet, « mais ça n'a pas l'air de beaucoup gêner, cela a été dit à Dijon devant le préfet lors du comité régional de l'alimentation », nous confirme Jean-Baptiste Rozé, maraîcher dans le Jura et membre de l'Entente bio dont les neuf membres ont fourni l'an dernier 130 des 146 tonnes de légumes consommés par la cuisine centrale de Lons.

De son côté, Besançon a constitué pas moins de 23 lots pour pouvoir imposer du bio et/ou du local sur certains produits. Par exemple un lot pour du lait bio, un pour des légumes bio, un pour des pommes... « On rédige les marchés pour que les producteurs locaux puissent répondre », explique Frédérique Petitcolin, chargée de mission à la ville. Des contrats ont ainsi été passés avec Biocoop-Besançon, les Jardins bio des Monts de Gy, l'ENIL de Mamirolle... « On ne veut pas faire comme Saint-Etienne qui a annoncé 100% de bio, mais n'y est pas arrivé et s'est fourni en Chine », précise Jean-François Rousseau.

Expliquer le projet aux maraîchers

Pour Pierre Chupin, coprésident du GRAB, le groupement régional des agriculteurs biologiques, le passage par une légumerie aurait été un atout pour structurer une filière d'approvisionnement : « S'il n'y en a pas, on ne suivra pas. On ne pourra pas faire local et bio ». Mais, ce n'est selon lui pas la seule condition : « On aura du mal à construire quelque chose tant qu'on n'aura pas de maraîchage de plein champ. Aujourd'hui, en Franche-Comté, des maraîchers sont sur 2 ou 3 hectares et ont du mal à fournir. Et quand je discute avec les jeunes maraîchers, ils disent qu'ils ne s'intéressent pas à la restauration collective qu'ils prennent pour le grand méchant loup ».

Que devraient faire les collectivités ? « Voir l'ensemble des maraîchers et leur expliquer le projet. Il faut aussi des maraîchers sur 10 ou 20 hectares... Quand j'ai planté 3000 pommiers, c'était dans cette perspective », dit Pierre Chupin. Mais il faut leur laisser le temps de pousser... Il faut donner aussi un peu de temps aux maraîchers pour apprendre à travailler ensemble. Jean-Baptiste Rozé témoigne : « Avant de créer l'Entente bio, les maraîchers avaient pris des habitudes car les relations avec la cuisine de Lons étaient individuelles. Ça a été plus difficile de mettre en place un groupe se faisant confiance, on a dû faire appel à un médiateur. La cuisine voulait un interlocuteur unique. Aujourd'hui, ça fonctionne, mais on a mis un an et demi pour se caler ».

Une légumerie serait-elle une incitation à l'installation de maraîchers ? « Je ne sais pas si on peut s'installer sur ce projet, mais pour conforter des débouchés, oui, mais c'est un travail de longue haleine. Pour que des porteurs de projets soient séduits par ça, il faut en faire la pub », répond Jean-Baptiste Rozé.

 

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