Crise et croissance : débat à gauche

Renouveler les cadres de pensée, proposer des solutions pratiques et réfléchies : la députée socialiste Barbara Romagnan affiche l'ambition de poursuivre les rencontres qu'elle organisait à Besançon avant d'être à l'Assemblée.

soirée Romagnan Kursaal 30 janv

Au petit Kursaal, comble, mercredi soir, elle avait invité deux intellectuels afin de savoir « comment penser la gauche sans la croissance ». Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives économiques et Patrick Viveret, philosophe et magistrat honoraire à la cour des comptes ont voulu tracer des perspectives. Ils ne font pas toujours les mêmes diagnostics. 
Le premier ne cache pas qu'« à Alternatives économiques nous sommes attachés à la réduction de la dette publique tout en pensant que la question de son rythme est essentielle, comme l'est le fait d'augmenter les impôts des plus riches plutôt que de réduire les dépenses publiques. Une récession permettrait très difficilement de mener dans un terme proche une politique de gauche, redistributive. » Pour le second, qui annonce d'emblée des vues « plus radicales », il faut avant tout s'interroger sur la nature de la croissance : « si c'est la croissance définie par le PIB, un agrégat comptable qui ne s'intéresse qu'aux flux monétaires sans considérer les activités qu'elles soient nuisibles ou pas, dangereuses ou pas, si c'est cette croissance alors oui il faut, et au plus tôt, penser la gauche sans la croissance. »

Point d'accord : la transition énergétique

Selon Guillaume Duval, les limitations à apporter à la croissance sont écologiques. « La dépendance vis à vis des matières premières, de l'énergie n'est pas forcément pénalisante si elle nous conduit vers une transition énergétique. Et cette transition est le meilleur moyen de relancer le projet européen. L'Europe ne deviendra pas sociale, les systèmes sociaux sont construits au niveau national. L'Europe doit devenir environnementale. Toutes les lois en France depuis vingt ans sont des transpositions de règles européennes. Mais il faut produire les équipements nécessaires à cette transition pour ne pas perdre encore des emplois industriels et accroître le déficit commercial. »

D'une autre manière, Patrick Viveret dénonce : « la crise financière est une crise provoquée pour détourner de la résolution de deux autres crises ou dettes, la dette sociale c'est à dire le transfert massif des revenus du travail vers les revenus du capital lors de ces trente dernières années d'hypercapitalisme et la dette écologique c'est à dire le fait que nous détruisions en quelques générations les ressources accumulées depuis plusieurs millénaires. »

Les exigences de changement restent actuelles

Les deux intervenants jugent que l'action du gouvernement actuel est loin de répondre aux enjeux dont ils font état. Barbara Romagnan ne manquera pas de faire entendre en fin de réunion que l'heure n'est pas à la défiance. Pourtant ses invités en ont démontré. Les pistes qu'ils ont signalées semblent loin de celles qui inspirent l'équipe au pouvoir. 
Généralisation d'un rapport de un à vingt pour les salaires, c'est ce que préconise Patrick Viveret, « s'il doit y avoir des inégalités, il faut d'abord indentifier les contributions, les pénibilités et le temps de vie pour asseoir les différences de salaires sur ces critères. En tout état de cause les disproportions actuelles ne sont justifiables en rien. » C'est le philosophe qui parle, qui convoque l'éthique : « La question de la démesure est centrale. 225 personnes ont un revenu équivalent à deux milliards et demi d'autres. Sur l'ensemble des flux financiers, 3% seulement concernent des services réels rendus aux personnes. Le total des revenus de l'armement, de la drogue et de la publicité est égal à vingt fois les besoins de base évalués de l'ensemble de l'humanité. La crise actuelle est comme un hold-up. Il est impératif de réaliser une prospérité sans cette croissance. » 

D'après Guillaume Duval, avec la transition énergétique il faut aussi promouvoir une nouvelle réduction du temps de travail, calculée sur une plus grande échelle de temps que la semaine. « Hollande, Ayrault et Moscovici savent qu'ils font une mauvaise politique. Mais ils ne conçoivent pas de contrecarrer la politique allemande. De plus ils s'inquiètent beaucoup de leur propre avenir politique. Mais c'est prendre un très gros risque que de poursuivre ainsi. Le vernis démocratique pourrait craquer. En Espagne, combien de temps cela peut-il continuer avec 50% des jeunes sans emploi ? La situation n'est pas sans rappeler celle des années 1930 ». Finalement la perspective est inquiétante, sans une prise de conscience à grande échelle. 
Le prochain débat pourrait avoir lieu sur la question du temps de travail avec la participation de la sociologue et philosophe Dominique Méda et de l'économiste Pierre Larrouturou.

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