Ils sont sans doute moitié moins nombreux que mercredi 9 mars, quand une assemblée générale s'était réunie le matin de la dernière, et première manifestation contre la loi travail. Cette seconde AG, qui se veut ouverte aux lycéens, aux salariés et aux chômeurs, réunit entre 80 et 100 participants dans le fameux amphi Donzelot de la vieille fac de lettres de Besançon. Cette moindre affluence n'inquiète pas ces cinq membres du comité de mobilisation mandaté par la première AG que nous avons rencontrés mardi 15. « Ce n'est pas le même jour de la semaine, il y a moins de monde sur le campus le mardi. Et tous les étudiants savaient que quelque chose allait se faire le 9 », dit Ariane.
Voix grave et posée, elle est en service civique au Café des pratiques après cinq années d'études d'économie de l'environnement. Nantie d'une expérience militante à l'UNEF, elle n'est plus inscrite à l'université et décrit sa situation comme étant celle de milliers de jeunes ayant suivi des études supérieures : « Je travaille 24 heures par semaine pour 560 euros par mois. Le travail est intéressant, mais je n'ai pas fait 5 ans d'études pour faire un service civique derrière et être obligée de vivre chez mes parents. A la base, le service civique, c'est pour les 16-25 ans n'ayant pas accès aux études, mais il n'y a pas d'offres d'emploi pour les jeunes diplômés : soit il faut de l'expérience, soit on nous propose un stage qu'on ne peut plus faire quand on n'est plus en fac... »
« Quand on a un travail, on redouble »
En licence d'histoire, Géraud ne travaille pas pendant l'année scolaire, mais fait les saisons l'été : « j'ai vu l'usine, l'intérim... » Hasni, en licence de lettres, est dans une situation proche : « j'ai la chance de ne pas travailler pendant les cours, mais pendant l'été, je fais des ménages, j'ai été vendeur, je prends n'importe quoi... J'ai plus de mal à trouver car je suis d'origine étrangère ». Effectuant un double cursus droit et sociologie, Alexis a quant à lui travaillé dans le secteur du bâtiment pendant tout le premier semestre universitaire : « j'ai fait de l'intérim et des petits jobs, ai travaillé dans une usine de camion, été manœuvre »
Dans ces conditions, le lien avec la condition salariale est vite fait : « ces salariés peuvent être nos parents », dit Hasni. « La loi travail va aggraver toutes les situations, c'est pour ça qu'on la combat, qu'on soit salarié ou étudiant », dit Géraud. Alexis constate : « quand on a un travail, on redouble ! On sait qu'on met en péril nos études. Ceux qui sont étonnés de la motivation des étudiants ne les connaissent pas ».
C'est qu'en fait, plus de la moitié des étudiants travaillent. En master de sciences humaines à Lausanne, Sébastien, militant à Solidaires-Étudiants, corrige la formulation : « étudier, c'est un travail... Comme le travail d'étudiant est précaire, j'ai pour ma part choisi de ne pas travailler et de vivre avec ma bourse du CROUS, 500 euros par mois... Peu d'emplois sont adaptés au statut d'étudiant : peut-on suivre des cours la journée et aller à l'usine la nuit ? Certains s'en sortent en étant pion, mais c'est fatiguant... »
Dilemme : travailler ou s'endetter ?
Pour éviter ce dilemme, Ariane avait emprunté : « des étudiants font ce choix pour ne pas mettre en danger leurs études, mais je me suis retrouvée très endettée... » Le petit revenu de son service civique lui a permis de rembourser, mais on mesure la précarité de l'équilibre. Tant pour ceux qui empruntent et se mettent en difficulté que pour celui du système : n'a-t-on pas prédit que l'endettement étudiant pouvait provoquer la prochaine crise financière ?
Les difficultés économiques et sociales, tant des étudiants que de nombreux salariés, sont telles que nos cinq interlocuteurs ne croient pas un instant à l'essoufflement du mouvement. Malgré les quelques concessions du gouvernement. « J'étais en intersyndicale avec Solidaires, FO, la CGT et la FSU, ils vont se bouger dans la perspective de la journée du 31 mars. On fait ce qu'il faut pour qu'il y ait beaucoup de monde », assure Sébastien.
« On en a marre d'être méprisés
par le gouvernement et les élites qui disent
qu'on est des abrutis n'ayant rien compris »
Hasni ne cache pas une colère contenue : « On en a marre d'être méprisés par le gouvernement et les élites qui disent qu'on est des abrutis qui n'ont rien compris, qui prétendent qu'on est manipulé ». La philosophie générale de la loi demeure avec le maintien du principe d'inversion de la hiérarchie des normes, mais ces notions qui passent rarement dans les grands journaux télévisés sont-elles bien intégrés ? « C'est vrai que ce n'est pas forcément connu des étudiants et des jeunes, mais les salariés en sont conscients et on essaie d'être pédagogue », affirme Ariane. Hasni est plus optimiste : « Même si les gens ne connaissent pas les détails, ils connaissent l'esprit de la loi : ce texte n'est ni amendable ni négociable ».
De ces questions de fond, il aura peu été question lors de l'heure et demi qu'a duré l'AG de mardi 15. Ariane les a résumées : « la logique du projet, dont l'inversion des normes, reste dans la loi, il faut donc amplifier les mobilisations ». Elle a positivé sur la manifestation du 9 mars : « c'était une bonne journée, avec un bon cortège de jeunes. Il y avait davantage de manifestants que lors de la première manif anti CPE ! Notre mouvement peut gagner car le 9 a permis un premier recul du gouvernement sur les apprentis, les temps partiels et les indemnités prud'homales... » (voir les évolutions sur le site loitravail.lol).
Louis, de l'Ameb, a ironisé sur « ceux qui se réjouissent avec la FAGE, mais la garantie jeunes va continuer à précariser les jeunes : ce n'est pas avec 450 euros qu'on va en sortir ! » Le retrait de la loi reste la ligne d'horizon du mouvement. Quelques voix s'élèvent pour qu'on parle également d'autres choses, de la « trahison du PS » au TAFTA ou à l'état d'urgence qui pose la question de l'autorisation, ou non, des défilés annoncés pour jeudi 17 mars dans tout le pays par les syndicats étudiants et les organisations de jeunes.
« On est assez mature pour savoir ce qu'on fait »
Ces points sont tranchés après exposé des arguments qu'on écoute poliment : on en reste au projet de loi, et seulement à ça. Si le reste doit venir, ce sera par surcroît... L'objectif étant clair et partagé par tous, on se pose surtout des questions de méthode. Comment, par exemple, toucher les lycéens ? Une quinzaine sont dans l'amphi et en demande de recettes de mobilisation.
« Pour convaincre les lycéens, il ne faut pas de risques », dit une jeune fille. « Assurons notre sécurité en nous auto-organisant », dit Louis. « On est assez mature pour savoir ce qu'on fait », dit un lycéen, approuvé par l'assemblée. Un quinquagénaire barbu intervient au fond de l'amphi : « FO sera présent, on vous accompagnera ». Ariane synthétise : « quand on ne peut pas nous attaquer sur le fond, on nous attaque sur la forme, c'est important de s'assurer le soutien de la population... »
Éternelle question : comment mobiliser la Bouloie ?
L'éternelle question de la mobilisation de la Bouloie est également posée. L'organisation de la prochaine AG y est proposée et adoptée : « c'est une bonne solution de la déplacer pour mobiliser, on en crée une qui restera en place, puis une autre ailleurs... », dit Alexis. Voté à l'unanimité pour le 22 mars à 12h30... alors que l'amphi vient de commencer à se vider... Vite se pose alors la question des conditions pour que ça marche: « il faut tracter avant, donner de l'info », dit Alexis. « A la Bouloie et à l'IUT, tracter ne suffit pas », ajoute quelqu'un.
La participation à la coordination nationale est enfin évoquée : deux représentants avaient été proposés par les grandes facs parisiennes pour les AG de moins de 200 personnes contre cinq pour les AG plus importantes. L'AG bisontine vote le principe de trois représentants. Se pose alors le problème du financement du transport. Il faudra plus que vendre des crêpes, ironise un enseignant en référence aux animations de la FAGE. Les syndicats de salariés seront donc sollicités...
Voir aussi la page Facebook Université en lutte contre la loi travail.