« C’est un débat habituel en Franche-Comté. Il faudra vous y faire… »

Le conseil régional Bourgogne-Franche-Comté a reçu Jean-Nathanaël Karakash, conseiller d'Etat du canton de Neuchâtel et co-président de la Conférence transjurassienne. L'occasion d'aborder le travail frontalier, la formation, les transports, le Brexit...

bfc-ctj

La politique étrangère permet parfois d'oublier les soucis domestiques. Marie-Guite Dufay l'a vérifié lors de la session du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté ce vendredi 24 juin à Dijon. Après un pénible débat, souvent qualifié de polémique, débouchant sur la décision de situer le « siège » de la région à Besançon tandis que le chef-lieu - en fait quasiment tous les attributs d'une capitale - est confirmé à Dijon, elle s'est donné un bol de « sérénité » en suspendant la séance officielle pour une présentation de la CTJ, la conférence transjurassienne.

Outil de la coopération institutionnelle franco-suisse décentralisée, la CTJ a le grand mérite, côté français, d'être franc-comtoise, comme la cancoillotte... Créée en 1985 par les départements comtois, la région Franche-Comté et les quatre cantons suisses de Vaud, Neuchâtel, du Jura et de Berne, sous le nom de Communauté de travail du Jura, elle a évolué en 2002 en conférence transjurassienne en intégrant les agglomérations, pays et réseaux de villes, état.

« On s'écoute ! »

Son existence même montre aux quelques Bourguignons animés d'un sentiment de supériorité que la Franche-Comté ne les a pas attendus pour entrer dans le monde moderne. Surtout, la Franche-Comté apporte quelque chose à la grande région qui ne pourra jamais le lui confisquer : son histoire partagée avec la Suisse grâce au massif jurassien, une montagne commune plutôt rétive aux esprits colonisateurs, mais ouverte et accueillante.

C'est ainsi que Jean-Nathanael Karakash, ancien président - socialiste - du conseil d'Etat du canton de Neuchâtel, se retrouva à la tribune pour expliquer à l'assemblée deux ou trois choses sur la Suisse et les relations, économiques et culturelles, de voisinage. Comme un léger brouhaha l'accueillait, Marie-Guite Dufay dû très vite demander l'attention des élus... bourguignons : « On s'écoute ! C'est un débat habituel en Franche-Comté. Il faudra vous y faire... »

« La plus forte valeur ajoutée industrielle
par habitant »

On ne peut en effet négliger un territoire avec lequel il y a 230 km de frontières. « La Suisse n'est pas forcément connue autrement que par les clichés du chocolat, des banques, de l'accent... Nous avons la plus forte valeur ajoutée industrielle par habitant », dit l'élu qui a commencé sa carrière politique dans le Val de Travers à 21 ans. « Notre système politique est basé sur le consensus où les partis partagent l'exécutif. Il n'y a pas d'opposition, ce qui complique parfois les choses, ralentit les décisions, pose des problèmes de cohérence... Le pouvoir est essentiellement centré sur les cantons et chacun a sa constitution ».

Son bref portrait économique  de la partie suisse de l'arc jurassien où le PIB par habitant est de 65.000 euros fait taire toute diversion. Quand il annonce un taux de chômage de 4%, qui s'approcherait en fait de 5% si l'on utilisait la définition du Bureau international du Travail, des applaudissements se font entendre sur les bancs du FN...

« Les coopérations reposent
sur les volontés politiques... »

Avec environ 35.000 travailleurs franc-comtois en Suisse touchant « environ deux milliards d'euros de salaires », l'emploi frontalier est « plus important que les travailleurs de Bourgogne-Franche-Comté travaillant en Ile-de-France ». Il ne cache pas les « déséquilibres » générés par le phénomène : « mouvement de travailleurs dans un sens, commerciaux dans l'autre », mais conclut que la « dynamique frontalière est à la source du développement commun ».

La faiblesse de l'arc jurassien est d'être « périphérique, donc oublié des capitales, montagnard donc enclavé, topographiquement compliqué », mais qu'à cela ne tienne, « les coopérations transfrontalières reposent sur les volontés politiques... » même si le taux de « mariages par dessus frontière était plus important il y a un siècle qu'aujourd'hui ». Ce qui n'est pas bien grave en ces temps d'union libre, remarque en souriant Marie-Guite Dufay.

« Je suis pour la politique des petits pas »

Il n'empêche, la réforme territoriale, et donc la fusion des régions, a un temps « inquiété » côté suisse où l'on a considéré le « risque d'éloignement », mais l'invitation du jour a « rassuré », dit avec la caractéristique affabilité helvète l'hôte du jour en vantant les quelques réalisations de la CTJ : un observatoire économique, statistique, un Guide du routard..., le tout pour « travailler et créer des richesses, contre le repli et pour le vivre ensemble ». L'expression consterne sur les bancs FN où on la pensait confinée à l'hexagone...

Conseillère régionale déléguée aux relations franco-suisse, la pontissalienne Liliane Lucchesi insiste sur le « savoir faire industriel d'excellence sur ce territoire majoritairement rural », qu'est l'arc jurassien côté français. Elle loue le « dynamisme économique et culturel ». Patrick Genre, le maire  DVD de Pontarlier, qui siège au bureau de la CTJ, met l'accent sur la problématique formation : « quand on forme cinq personnes, quatre vont travailler en Suisse qui pourrait financer un peu ». Il milite pour une plateforme et des actions communes en la matière, des efforts côté français pour les routes et le train, mais ne demande pas tout tout de suite : « Je suis pour la politique des petits pas, pour l'exemple.... ».

« On a un problème de partage »

Jacqueline Ferrari (PS, Jura), elle même frontalière dans la vallée de Joux, considère que trop peu de frontaliers connaissent les actions de la CTJ. Jacques Ricciardetti (FN, Doubs) voit dans la CTJ un bel exemple de travail avec un pays hors de l'Union européenne « après le Brexit ». Le leader du groupe droite et centre, François Sauvadet, voit bien les « fragilités » du phénomène frontalier : « des TPE ne trouvent pas de compétences en raison de l'attractivité suisse ». Il voit d'un bon oeil cette communauté d'intérêts qu'il faut « faire vivre » en « progressant ensemble sur la formation et les mobilités », et propose qu'une rencontre annuelle, plus longue, contradictoire, avec la CTJ pour faire le point. Il parle même d'un colloque avec les élus de Bourgogne-Franche-Comté et des quatre cantons suisses. Son vœu est exhaussé par Marie-Guite Dufay qui annonce un événement « autour du vivre ensemble » le 4 octobre prochain à La Chaux-de-Fonds. Dans les rangs FN, on ironise : « faites le à Calais ».

Patrick Genre met enfin l'accent sur le « nationalisme rampant » qu'il sent poindre à l'encontre de certains frontaliers après la votation de 2014 limitant l'emploi des étrangers en Suisse : « s'il devait y avoir un retour des quotas de travailleurs étrangers, ce pourrait être un cataclysme économique ». Jean-Nathanael Karakash compare le Brexit - « mauvaise nouvelle pour ses causes et ses conséquences » - au vote du 9 février 2014 sur les étrangers. « Il y a une décalage entre l'économie mondialisée, profitable à la Grande Bretagne, la France, la Suisse, mais pas à tout le monde de la même manière. Dans mon canton, on exporte tout ce qu'on produit, mais on ne mange pas nos montres, nos machines ou nos médicaments... On a un problème de partage... Les accords bilatéraux avec les pays de l'UE font qu'on est très intégrés. Mais les groupes mondiaux ne se posent pas la question de rester en France, en Suisse ou en Grande Bretagne, mais en Europe. Je ne voudrais pas qu'on ait des barrages sur les routes car les frontaliers font monter les prix immobiliers en France... Vivre ensemble paraît fleur bleue, mais essentiel... »

« Vous nous donnez une leçon d'Europe », conclut Marie-Guite Dufay.

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