Castaner célèbre la police du quotidien et insulte des gilets jaunes

Lors de sa visite à Planoise à Besançon, désigné « quartier de reconquête républicaine » et bénéficiaire de l’une des premières affectations de la police de sécurité du quotidien, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, s’est félicité de sa mise en place, nécessaire pour « retrouver la confiance ». Sa visite a été perturbée par des manifestants qui s’insurgent notamment contre l’usage disproportionné du LBD. A la tribune, il ira jusqu’à traiter d’abrutis ceux qui « mettent en cause la police ». Cinq personnes ont d’ailleurs été interpellées.

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Voilà des moyens, maintenant, à vous de vous débrouillez ! C’est en substance le message qu’a fait passer le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, venu à Besançon couper le ruban tricolore du nouveau commissariat de Planoise. L’occasion pour lui de faire la promotion de la police de sécurité du quotidien, « une police à la carte » dont les modalités de fonctionnement sont laissées à l’appréciation des acteurs locaux.

Depuis novembre 2018, quinze policiers supplémentaires sont spécialement affectés à Planoise, l’un des quinze premiers quartiers dits « de reconquête républicaine » à expérimenter ce dispositif en France. Leur mission, qui rappelle celle de l’ancienne police de proximité, est d’aller au contact des habitants, de rendre visible leur présence et de remonter des informations susceptibles d’enrayer la vente de drogue dans le quartier.

Arrivé vers 9h30 devant le commissariat central de la Gare d’eau, sa visite a commencé par une rencontre avec l’équipe du centre d’information et de commandement, qui reçoit tous les appels au 17 et qui centralise les images des 192 caméras de la ville. Les personnalités présentes, dont le préfet du Doubs, le directeur départemental de la sécurité publique, le maire de Besançon, le procureur, etc., se félicitent toutes de l’efficacité de l’outil, aussi bien pour gérer les missions de maintien de l’ordre et identifier les personnes masquées pendant les manifestations, que pour élucider des affaires ou constater des flagrants délits de dégradation, de deal ou de rodéos urbains par exemple. Un groupe de 20 personnes se relaie ici pour assurer une surveillance 24h/24.

Un trublion vite écarté

A l’extérieur, des manifestants ont retardé de quelques minutes le départ de l’imposant cortège. Tout ce petit monde, équipes du ministère, policiers, élus, officiels, journalistes, monte dans le tram direction Planoise. C’est à pied que la visite se poursuit, avec un arrêt devant la maison de services au public et une pause sur le marché de la place Cassin. Sur le chemin, une personne parvient à apostropher le ministre pour lui demander un mot à propos de la déclaration de l’ONU sur l’utilisation excessive du LBD, le lanceur de balle de défense responsable de nombreuses blessures graves et de mutilations chez les manifestants. Réponse : « vérifiez, l’ONU ne s’est pas prononcée ». La réponse est un peu légère (voir encadré) et le trublion vite écarté par le service de sécurité.

Sur le marché, entre deux serrages de main et de brefs échanges avec des habitants, une dame très remontée interpelle à son tour le ministre pour lui faire part de son mécontentement de voir la ville bouclée pour sa venue. Elle a fait partie des personnes qui se sont rassemblées dès 8 h à Chamars à l’appel des gilets jaunes pour perturber la visite de Christophe Castaner, et qui se sont fait refouler plus loin avant son arrivée.

Cette dame se retrouve maintenant coincée, avec d’autres, dans l’entrée de l’hypermarché de la place. Elle s’énerve de se voir ainsi ainsi empêchée de sortir et parvient à se dégager. Jean-Louis Fousseret, maire de Besançon, vient à sa rencontre pour tenter de calmer les choses. Pendant ce temps, le ministre et son cortège poursuivent leur route. Un groupe de manifestants parvient tout de même à s’approcher et font entendre leurs voix. Des policiers les repoussent et un groupe de gendarmes mobiles dressent un barrage pour les maintenir à distance.

Le « courage » de relier Planoise au reste de l’agglomération avec le tram...

Le ministre, lui, inaugure officiellement le commissariat. Vient maintenant l’heure des discours. Jean-Louis Fousseret se félicite de l’effort de l’État envers Planoise, qui avec ses 20.000 habitants représente « la troisième ville du département ». Les policiers supplémentaires sont pour lui un impératif pour « transformer le quartier et assurer son développement », car « la sécurité est un passage obligé pour le bien vivre ». Le ministre lui succède au pupitre et, après quelques amabilités envers l’un des soutiens de la première heure d’Emmanuel Macron, souligne le courage de la ville qui a relié Planoise au reste de l’agglomération avec le tram. « Je connais des maires qui ont veillé à bien séparer les quartiers considérés comme difficiles par rapport au centre de la ville ».

 

Soudain, au détour d’une phrase, on se demande si l’on a bien entendu. « J’ai rencontré quelques abrutis qui cheminaient le long du parcours que nous avons eu, qui pensent que l’essentiel est de contester et de mettre en cause la police comme un acte militant alors que dans ce quartier, des gens qui y vivent m’ont dit que c’est bien de voir la police, que ça va mieux ». Mais si, ces propos insultants ont bien été prononcés par le ministre de l’Intérieur, encadré du préfet et du maire à la tribune du Théâtre de l’Espace. Il récidive la phrase suivante en revenant sur les fonctionnaires de police blessés les samedis pendant les manifestations de gilets jaunes, « qui sont confrontés à des brutes déguisées en manifestants ».

« Quinze personnes en plus dans les rues, ça change la vie d’un quartier »

Après cette digression et ces propos polémiques, il revient sur l’objet de son déplacement et célèbre « les héros du quotidien » de la police de sécurité du quotidien. « C’est d’abord renouer la confiance, permettre d’aller sur le terrain, directement au contact des habitants, de leurs problèmes, de leurs aspirations et de leurs attentes ». La police du quotidien « c’est du sur-mesure » et « surtout pas imposer une stratégie imaginée par quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds à Besançon et qui croit connaître Planoise parce qu’il a fait une recherche sur Google. On a un peu trop souvent fonctionné comme ça ». Plus tôt, il avait déjà employé la formule d’une police à la carte : « c’est à vous de voir comment utiliser les effectifs supplémentaires, c’est vous qui devez inventer ». Parce que « quinze personnes en plus dans les rues, ça change la vie d’un quartier ».

« Aucun effort dans la lutte contre le trafic n’est laissé de côté », insiste encore Christophe Castaner avant de citer les « 283 procédures engagées en 2018 pour libérer les halls d’immeuble des voyous qui s’y croyaient les rois, pour perturber les dealers, pour désorganiser les trafics ». Le groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) est présenté comme une action déterminante pour collecter, faire remonter et centraliser des renseignements. Il est présidé par le procureur de la République de Besançon et réunit les institutions judiciaires, les polices nationale et municipale, la gendarmerie, la commune, l’éducation nationale et les bailleurs sociaux.

Le professeur Thines : « Soit on vous mutile, soit on vous tue ?
C’est ça le message qui est véhiculé par notre gouvernement ? »

Avant de répondre aux questions des journalistes, le ministre lance une dernière marque d’affection publique envers Jean-Louis Fousseret. « Je sais d’ailleurs que ta destinée politique aurait pu être différente si tu n’avais pas privilégié toujours ta commune, malgré les appels du pied que le président a pu te porter », dit Christophe Castaner en direction du maire qui lui offrira l’acte de naissance de Victor Hugo, « enfin, un fac-similé », précise-t-il.

Lors de son point presse, le ministre revient sur l’usage du LBD. « Je n’ai pas vu de policiers agresser des manifestants. Mais quand une manifestation se transforme en émeute, les policiers doivent intervenir. Le LBD permet de garder à distance. Si on le supprime, il reste le contact physique et l’arme létale ». Il indique que les caméras qui équipent désormais le porteur de LBD ou son binôme permettent « d’établir les faits et de responsabiliser le policier ». Le ministre et les officiels s'en vont manger dans la brasserie d’à côté, sans les journalistes. Fin de la visite.

Ce soir-là, la ville de Besançon organisait la deuxième cession du Grand débat public dans la salle de la Malcombe en présence de Jean-Louis Fousseret. L'occasion pour ceux qui demandent l'interdiction du LBD de revenir sur le sujet. Le professeur Laurent Thines, responsable du service de neurochirurgie au CHU de Besançon, fait partie de ceux-là. Il a pu constater les dégâts de l'arme et les lésions qu’elle inflige aux manifestants, pour lui, l’usage du LBD est « extrêmement inquiétant pour notre démocratie ». Il s'indigne des propos du ministre. « Maintenant ce que l’on nous dit, c’est soit on utilise ces armes, soit on utilise les armes à feu. Soit on vous mutile, soit on vous tue ? C’est ça le message qui est véhiculé par notre gouvernement ? » Si aucun tir de LBD n’était à déplorer ce jour, la répression a été dure ce jour.

Pris en otage dans un café par la police... 

Présente aussi à ce débat, une manifestante revient sur ce que nous n’avons pas pu voir au sein du cortège. Il y a eu cinq interpellations à Planoise pour outrage envers le ministre et rébellion. Trois d’entre eux étaient toujours en garde à vue dans la soirée. « On s’y attendait un peu parce qu’il y a le grand débat ce soir, et c’est vrai qu’ils sont un peu bruyants, ils se font entendre. Et nous non plus on n’a pas pu se faire entendre ce matin place Cassin. On est rentrés dans un bar boire un café, la BAC nous a reconnus et ils ont envoyé six de leurs collègues pour le fermer. Ils nous ont pris clairement en otage dans ce bar avec tous les citoyens dedans, en nous enfermant pendant quasi une heure. Nous avions interdiction de sortir pendant toute la durée de la présence de M. Castaner et de vous, M. Fousseret, pour que l’on ne prenne pas la parole une seule fois. Là, on parle de démocratie et de citoyenneté, mais où est la démocratie ? Moi je parle de dictature. Carrément. Moi aussi j’aime la France, j’aime mon pays, mais clairement ce soir est-ce que je dois quitter mon pays ? Non je vais rester, je vais me battre jusqu’au bout, comme j’ai toujours fait depuis des années, pour mes enfants parce que j’ai envie de leur laisser un pays correct pour l’avenir ».

Entre certains habitants de Planoise, rassurés par une présence accrue de la police dans leur quartier, et ceux qui subissent de plein fouet une répression policière inédite d’un mouvement social, la visite du ministre laissera un bilan mitigé. Les insultes adressées à leur encontre par le premier flic de France ne contribueront certainement pas à apaiser le climat tendu entre la police et les citoyens.

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