Bruno Le Maire, « un homme qui peut emmener le pays… »

L'ancien ministre de l'agriculture de Nicolas Sarkozy est bien de droite, assurent ses soutiens. En réunion publique près de Besançon, Alain Chrétien et Yves Jégo ont décliné les raisons que les électeurs de droite peuvent avoir de le choisir à la primaire qui vient ces deux dimanches.

Alain Chrétien sacrifiant au selfie avec des sympathisants...  (photos Daniel Bordur)

« Quand on a perdu, on ne peut pas revenir. Sinon, on aura Trump à la française : Marine Le Pen ! » Alain Chrétien conclut ainsi son propos introductif d'une des nombreuses réunions de la campagne de Bruno Le Maire pour les primaires de la droite et du centre. Autrement dit, le député et maire de Vesoul considère que si Nicolas Sarkozy la gagne et se retrouve contre la cheffe du FN, il risque fort de mordre la poussière une seconde fois. Et la droite républicaine avec lui.

Sans doute l'élu haut-saônois a-t-il entendu tous ces électeurs de gauche qui, en 2002, soutinrent Jacques Chirac, non seulement pour empêcher l'élection bien improbable de Jean-Marie Le Pen, mais aussi signifier leur refus vicéral de l'extrême-droite. Alain Chrétien sait la détestation dans laquelle une large part des électeurs de gauche tiennent Nicolas Sarkozy qui aura bien du mal à se faire passer pour une alternative à l'establishment. Or, dans l'hypothèse d'une élimination de la gauche du second tour de la présidentielle, ses électeurs risquent d'avoir un mal de chien à voter Sarkozy qu'ils ne différencient pas vraiment de Marine Le Pen.

Conversion anti-cumul est aussi bienvenue que récente

Porteur ou pas, l'argument est utilisé de façon plus ou moins subliminale pour que les électeurs de droite règlent leur compte à l'ancien président. Dans la salle des fêtes de Miserey-Salines, ils sont une cinquantaine à être venus écouter le voisin vésulien que remplace au micro Marie-Agnès Poussier-Winsback, élue maire de Fécamp, traditionnelle ville de gauche, lors de la vague bleue des municipales 2014. « Le renouveau, c'est sérieux », dit-elle en donnant l'exemple de la proposition de l'ancien directeur de cabinet du premier ministre Villepin  : « on aurait dû aller plus loin sur le casier judiciaire, interdire de se présenter à une élection ». Là, c'est Juppé qui est visé, même si chacun sait que le maire de Bordeaux a payé pour Chirac....

A l'entendre, Bruno Le Maire l'avait poussée à briguer la mairie : « en 2010, il m'a dit : tu es libre, indépendante, capable de dire quand tu n'es pas d'accord ». Elle lui a rendu la pareille en le poussant à se présenter aux régionales, il a refusé : « je ne peux pas être contre le cumul et aller également aux primaires ». Sa conversion anti-cumul est aussi bienvenue que récente si l'on en croit Médiapart [pour abonnés] qui signale qu'il a été simultanément député, conseiller régional de Normandie et conseiller municipal d'Evreux où il siégeait rarement. En tirant les conséquences, mais aussi en s'appliquant sa propre proposition de loi anti-cumul, il rétrogradera de la troisième à la dernière place aux municipales de 2014, comme le narre Paris-Normandie...

Il revient au vice-président de l'UDI, Yves Jégo, de prendre de la hauteur, d'évoquer le contexte national — « dans le pays monte une vague de colère et de désespoir, il faut entendre ce que disent les gens qui ne viennent pas dans les réunions politiques » — et planétaire : « on est sur une bombe démographique, on sera passé de 1,5 milliards d'habitants en 1900 à 10 milliards en 2050... L'épuisement des ressources, l'épuisement environnemental est dû à cette explosion, comme les migrations... L'explosion technologique créé des angoisses : comment préparer ses enfants à des métiers qu'on ne connaît pas ? La France ne réussit pas à s'adapter à ça, à maîtriser, absorber, comprendre les phénomènes.... »

Il se fait pédagogue : « Pourquoi on n'y arrive pas depuis 30 ans, la gauche comme la droite ? Il y a deux options. Laisser filer, comme ce qui s'est passé aux USA, avec Marine Le Pen, ou un peu Jean-Luc Mélenchon : des populismes, c'est-à-dire des réponses simples à des problèmes compliqués. Le discours de Mme le Pen est aussi simple que celui de Trump : c'est la faute aux élus, à l'Europe, aux musulmans. Et tout ce discours tient dans le format des médias. Alors que le message complexe n'y tient pas... »

« Marine Le Pen au pouvoir, c'est improbable, mais pas impossible »

Plus tard, nous lui demandons s'il ne regrette pas la privatisation de TF1 il y a trente ans par un gouvernement de droite. Il en convient mollement... Pour l'heure, ce 9 novembre dans le nord de l'agglomération bisontine, il dit son inquiétude : « Marine Le Pen au pouvoir, c'est improbable, mais pas impossible... Si on laisse filer, c'est pas l'immigration qui nous attend, c'est l'émigration : on a tous un enfant qui se barre, les socialistes ont chassé les riches. Ce qui nous guette, c'est un pays avec une grande histoire et plus d'avenir... »

Mais il penche pour la seconde option : « Je veux croire qu'on peut encore y arriver par les urnes, la démocratie, un homme qui peut emmener le pays... » Il ne dit pas « sauveur suprême », mais presque. Il reconnaît que cette primaire qui étonne à droite : « c'est un peu désagréable ces débats ! » Mais il la justifie : « elle est indispensable. Avant, il y avait deux camps, maintenant il y en a trois, la gauche l'a payé en 2002... La primaire est la fille du FN et de la montée du populisme ». 

Alors il faut choisir. Pas simple : « si j'avais suivi mon intérêt personnel, j'aurais regardé les sondages et me serais vendu au meilleur... » Là, il soutient, un homme avec « une détermination, une volonté incroyable... Il faut être fou pour être président ! Il est de bon niveau, c'est un honnête homme. Il n'y a pas de blaireau autour de lui. Si ce n'est pas nous qui amenons la nouvelle gueule, c'est le FN qui le fera... Si vous voulez vivre dans une société qui se redresse, chacun doit prendre sa part de responsabilité. Si vous rentrez chez vous en disant ils ont bien parlé, attendons le 20, il ne se passera rien... C'est la surprise qui créera le mouvement qui redressera le pays ».

1000 euros par mois avec 59.000 euros de bénéfices...

Dans la salle, Saïd est le premier à réagir : « aujourd'hui, on fait beaucoup de cadeaux aux minima sociaux et aux très riches. J'ai créé ma boîte, fait 59.000 euros de bénéfices, payé 12.000 euros d'impôts, puis 32.000 euros d'Ursaaf, RSI et Cipav... J'ai gagné 1000 euros par mois. Et je vois des députés européens avec une retraite de 8000 euros... »

Alain Chrétien bondit de sa chaise et se lève, enthousiaste : « pour les socialistes, les patrons sont forcément des salauds et les salariés des victimes... Que ce soit le patron d'une multinationale ou d'une TPE... D'accord pour créer des droits nouveaux, mais créons d'abord de la richesse : ils matraquent tout ce qui réussit, il faut les annihiler... Mais quand la gauche est au pouvoir, elle fait une politique de gauche. Et quand c'est la droite, elle fait une politique de gauche. Il va falloir faire une politique de droite ! Si je fais une connerie, c'est ma responsabilité, si je gagne de l'argent, c'est le mien... Macron a raison, il faut nommer les choses ! »

« Pour une vraie politique de droite, on devra être droit dans nos bottes ! »

La salle frémit d'aise. Le député de Haute-Saône poursuit : « Il faut parler aux gens tentés par le FN, leur parler du franc Le Pen : on divisera tout par six ! Leur franc ne vaudra pas un euro ! J'en veux à Sarkozy quand il n'a pas réformé en 2007... Quand j'entends Juppé proposer la dégressivité des allocations de chômage si la croissance revient, on ne le fera jamais. Pour une vraie politique de droite, on devra être droit dans nos bottes ! »

Il est vrai que peu après avoir avoir prononcé cette phrase, un premier ministre mettait la France à l'arrêt en 1995, il s'appelait Juppé. Et son plan retraite était retiré... Alain Chrétien reconnaît au moins un problème de méthode : « comment demander aux cheminots de renoncer à leur retraite si on ne le fait pas nous... ? » Mais il ne répond pas complètement à la question de Saïd qui distinguait petits et grands patrons. En proposant de réformer le RSI, Juppé, mais aussi à gauche Montebourg, ont entendu la supplique... 

Un jeune centriste versé dans le social s'inquiète : « que dites vous aux six millions de chômeurs dont vous allez baisser les allocations de chômage ? Qu'ils devront vendre leur maison ? » Yves Jégo s'y colle : « la dégressivité seule ne suffira pas, il faut relancer la machine économique, baisser les charges des entreprises... L'Allemagne a baisse son taux de chôage, l'Italie, l'Espagne et l'Angleterre y vont... »

« Il vaut mieux avoir 5 euros de l'heure et travailler
plutôt qu'attendre les allocs tomber ! »

Le centriste persifle : « il y a des jobs à 300 ou 400 euros ! » Jégo : « Leur système n'est pas bloqué par un dogme. Il n'y a pas des centaines de personnes mourant de faim en Allemagne. Il vaut mieux avoir 5 euros de l'heure et travailler plutôt qu'attendre les allocs tomber ! Vous ne connaissez personne qui abuse ? Il ne s'agit pas de reprocher ça aux gens, c'est le système qui est mauvais... Il y a de l'emploi mais pas de formation, il faut enlever les 40 milliards de la formation que gèrent les entreprises et les syndicats et les filer aux régions ! On ne trouve pas de techniciens pour monter la fibre optique... Bruno Le Maire a regardé ailleurs ce qui marche. Il ne faut pas regarder avec mépris les emplois à 500 euros... »

Une femme se lève, manifestement sensible à la candidature de Nathalie Kosciusko-Morizet, parle de logiciels libres, de « désaffection générale », de politique « plus sexy ». Conteste qu'on puisse « appliquer les idées de l'institut Montaigne dans l'Éducation nationale... On a les résultats de ce qu'on a créé ». Un maire-agriculteur dit son exaspération face aux lois de décentralisation, notamment la loi NOTRé : « il faut redonner du pouvoir aux élus de proximité. Nous, maires, on pouvait avoir un peu de pouvoir sur nos administrés, mais on n'a plus cette notoriété... Hier, je recevais un porteur de projet à onze emplois sur 2000 m²... La durée d'instruction est d'un an et demi, des tas de projets nous filent entre les doigts car on n'a plus de pouvoir de décision. A part donner du travail aux cabinets d'études, on ne fait rien... » 

Marie-Agnès Poussier-Winsback opine : « Bruno Le Maire est d'accord avec ce que vous dîtes, il veut redonner coniance. La gauche hurlait de la stagnation de la DGF sous Sarkozy, maintenant elle la baisse... Quand je suis devenue maire, j'ai visité les ateliers municipaux, on y fabrique des bancs pour les écoles à 1300 euros alors qu'ils sont à 150 euros chez Ikéa et qu'on a besoin de géomaticiens... » Yves Jégo conclut : « la sagesse, c'est d'avoir de l'audace ».

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