Besançon : un vote « la tête sur le billot »

Le conseil municipal a adopté la « contractualisation » financière sur trois ans avec l'Etat qui oblige les collectivités à participer au désendettement du pays. Ont voté pour les groupes LREM, UDI, MoDem et une majorité de socialistes pourtant réticents. On a compté 22 abstentions là où le maire en a vu 19, émanant des groupes EELV, PCF, LR, Patriotes et trois socialistes... Fousseret s'est agacé : « Si des adjoints se sentent mal, qu'ils le disent... »

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Sous les mandats Sarkozy et Hollande, les collectivités déploraient la baisse des dotations de l'Etat. L'actuel conseil municipal a d'ailleurs voté une motion de protestation à l'intention de François Hollande. Cela n'a pas empêché la ponction de 24 millions sur les finances municipales entre 2014 et 2017... Cette fois, la potion amère de Macron est carrément considérée comme perverse par ses détracteurs. Le dispositif imaginé au sommet de l'Etat, dans la forteresse de Bercy, ne laisse pas de réel choix de le refuser en votant contre. « Ce serait accentuer les difficultés » dira le communiste Christophe Lime.

De quoi s'agit-il ? 322 collectivités du pays (dont les régions, les départements, les villes de Besançon et Belfort, les agglos de Besançon et Montbéliard) sont invitées à s'engager d'ici fin juin à ne pas augmenter leurs dépenses de fonctionnement de leurs budgets 2018, 2019 et 2020 de plus de 1,2% par an. Comme c'est à peine moins que l'inflation, il s'agit en réalité d'une baisse programmée. Comme Besançon a déjà maîtrisé ses dépenses de fonctionnement sur la période 2014-2016, elle peut bénéficier d'une modulation lui donnant un brin de marge de 187.000 euros : au lieu de se limiter à 1,2%, elle peut aller jusqu'à 1,35%.

En cas de dépassement, la collectivité serait mise à l'amende. Elle devrait reverser à l'Etat 75% du dépassement si elle signe, 100% si elle ne signe pas. La CAGBCommunauté d'agglomération du Grand Besançon est d'ores et déjà concernée puisque la nouvelle délégation de service public pour le réseau de transport public Ginko est en augmentation de 2 millions par rapport à la précédente. Comme cette somme vient en dépassement du seuil de 1,35% d'augmentation du fonctionnement, elle devra payer 1,5 million à l'Etat. Elle se consolera de ne pas avoir à verser 2 millions en cas de refus de la contractualisation... C'est avec cette épée de Damoclès sur la tête que le conseil communautaire doit délibérer ce jeudi 24 mai du sujet.

« On vote le contrat parce que c'est moins pire »

Du coup, les conseillers municipaux bisontins étant tous conseillers communautaires, il devient délicat pour eux de voter différemment dans les deux assemblées. C'est ce qui explique que les opposants ont choisi de s'abstenir, voire de voter pour ! Voilà pour la perversité. Illustration : « On a le choix entre être un peu ou beaucoup pénalisé. Ce n'est pas un contrat, c'est nous qui nous engageons. On vote le contrat parce que c'est moins pire », explique Abdel Ghezali, le président d'un groupe PS qui explose sur ce sujet.

En interne, ses membres ont voté l'approbation par dix voix contre quatre. En séance, Marie Zehaf et Yannick Poujet, qui étaient favorables à l'abstention, ont suivi la décision collective, mais deux de ses membres se sont bel et bien abstenus et s'en sont expliqué : Anne-Sophie Andriantavy et Jean-Sébastien Leuba. « Je suis d'accord sur la diagnostic de mon groupe, mais c'est quelque chose qu'on nous impose plus qu'un choix », a dit la première en évoquant un « bond en arrière de 36 ans sur l'autonomie des collectivités locales. Pourquoi l'Etat les met-il sous tutelle ? Pourquoi ne s'attaque-t-il pas à l'évasion fiscale ou revient-il sur l'ISF ? J'ai été élue sur une politique de gauche, pas pour mettre à mal la démocratie locale ».

Réduire les désaccords politiques à de la psychologie

Le second est aussi critique : « l'Etat veut nous infantiliser... La théorie du ruissellement, c'est l'assèchement politique. Emmanuel Macron parle avec douceur ''signez en bas de la page'', mais si vous ne signez pas, vous serez encore plus pénalisé... » L'adjoint aux associations invoque l'analyse des besoins sociaux, l'augmentation constante du nombre de mineurs sous le seuil du bas revenu, le passage de 3,7 à 2,9 millions du budget de la vie associative... « Nous devons avoir la même détermination à l'égard d'Emmanuel Macron que face à François Hollande », conclut-il en proposant de déplacer le vote au conseil municipal de juin.

La critique agace Jean-Louis Fousseret qui rétorque, martial : « Emmanuel Macron est le président de tous les Français. Fais attention à ce que tu dis. Si tu te sens mal, tu sors. Si des adjoints se sentent mal, qu'ils le disent. Là, ça va trop loin. » Comme si l'on pouvait réduire les désaccords politiques à de la psychologie, à des états d'âme individuels... Plus tard, Fousseret assurera : « le maire de Besançon s'appellera Jean-Louis Fousseret jusqu'en mars 2020... »

Avant ce coup de sang qui témoigne autant de la longue implosion de la majorité municipale que du raidissement de celui qui fut son chef incontesté, Eric Alauzet avait défendu le dispositif : « c'est faux de dire qu'on n'a pas le choix », surtout après que « les gouvernements précédents ont imposé un plafonnement ». Pour le député, l'existence de la bonification (de 1,2 à 1,35%) prouve qu'il y a « le choix, que la discussion existe ». 

« Pour les fonds spéculatifs vautours, la dette est juteuse... »

Un peu fébrile, commettant un lapsus confondant 800 millions et 800.000 euros, le député LREM a aussi défendu l'orthodoxie libérale : « il ne faut pas méconnaître les conséquences des déficits et de la dette, les résorber afin de laisser des marges de manœuvre à nos successeurs. Il est illusoire de peser sur les choix de l'Union européenne sans une bonne gestion. Pour les fonds spéculatifs vautours, la dette est juteuse... » Avant de filer prendre un train pour partir à l'Assemblée nationale, il donne la leçon : « penser que l'autonomie des collectivités, c'est toujours plus d'impôts ou de dépenses, c'est avoir une piètre conception politique... S'il y a une vertu à cette modalité, c'est de raisonner en coût global car il y a un lien entre investissement et fonctionnement ».

L'investissement n'est certes pas concerné par la mesure, mais il est indirectement touché. C'est ce que dira en fin de débat l'adjoint au budget, Michel Loyat (PS), non sans répliquer plus globalement : « Le levier fiscal n'est pas un piètre levier pour les collectivités, c'est à partir de là que se sont affirmés des parlements. Ça ne signifie pas toujours plus d'augmentation, mais des choix, comme de ne pas avoir augmenté les taux... Le discours ''haro sur la dépense publique'' ne me convient pas. Il ne faut pas présenter comme une évidence ce qui relève d'une orientation politique... Dire que la limitation des dépenses de fonctionnement va nous amener à raisonner en coût global va peut être nous pousser à davantage d'économie d'énergie, mais pour les routes, les bibliothèques, les maisons de quartier, il y a des dépenses de fonctionnement... »

« Vous préférez qu'on vous coupe la tête ou qu'on vous coupe le bras ? »

Yves-Michel Dahoui, qui a récemment quitté le PS et le groupe socialiste, avait aussi dénoncé la brutalité de la méthode Macron : « c'est comme si on vous demandait si vous préférez qu'on vous coupe la tête ou qu'on vous coupe le bras ». Il fustige la « gestion notariale », la vision des fonctionnaires « comme des coûts ». Car sur les 120.000 que veut supprimer Macron, « il y en 70.000 dans les collectivités », or « le budget de fonctionnement, c'est du personnel. Il y a un paradoxe à vouloir recruter partout et en même temps supprimer des postes... »

Juste avant Dahoui, Christophe Lime (PCF) avait lui aussi souligné que « la limitation des dépenses de fonctionnement amène à ne plus développer les services publics alors que les demandes des citoyens sont de plus en plus importantes ». Il critique le double discours de l'Etat : « la baisse annoncée des dotations aux collectivités a été transmise dans la feuille de route adressée à Bruxelles. Alors annoncer qu'il n'y a pas de baisse, c'est soit mentir à Bruxelles, soit à nous... »

La méthode choque d'autant plus que le dispositif est présenté comme la contribution des collectivités au remboursement de la dette publique. Or, « sur les 2200 milliards de cette dette, 2000 émanent de l'Etat et 200 des collectivités », souligne Jacques Grosperrin (LR) en rappelant que les budgets de ces dernières sont forcément votés à l'équilibre. Le sénateur dénonce aussi un « contrat léonin » parce que « les charges ne sont portées que par un seul » signataire. Lui aussi met en avant la recentralisation, la « remise en cause de la libre administration des collectivités ». Analysant l'abstention « pour éviter le pire » de plusieurs groupes malgré leur « opposition forte », il y voit une décision prise « la tête sur le billot ».

« Perte de confiance entre l'Etat et les collectivités »

Anne Vignot (EELV) n'emploie pas l'expression de coup de force de l'Etat, mais c'est tout comme. Elle voit dans la contractualisation « une demande du donneur d'ordre : les autres s'engagent ». Cause ou conséquence, elle estime qu'il y a là une « perte de confiance entre l'Etat et les collectivités : il n'y a plus qu'une relation administrative et juridique. C'est extrêmement grave de se substituer aux décisions des territoires, à leur capacité à faire des choix. On entre dans une politique qui n'a plus rien à voir avec la démocratie, au système de la représentation ».

Cela fait écho aux propos de Christophe Lime (PCF) qui avait indiqué plus tôt que « c'est aux citoyens de voter ou sanctionner lors des élections municipales ». Sur ce point, écologistes et communistes étaient tombés d'accord une semaine plus tôt lors d'une réunion où les fissures étaient apparues au sein du groupe socialiste. Des divergences tactiques tant le constat semble proche. Car quand Anne Vignot dit qu'en « tuant le fonctionnement, on enlève la capacité d'action, d'animation sur le territoire », quand elle ajoute que « le fonctionnement finance l'ingénierie », on ne voit beaucoup de différence de fond avec ce que disent Michel Loyat ou Abdel Ghezali.

En revanche, elle appuie ses désaccords avec « monsieur Alauzet » : « quand il parle de responsabilité des élus sur la dette, mais de quelle dette parle-t-on ? Sociale ? Budgétaire ? Artificielle ? Le vrai enjeu, c'est la cause sociale, comment financer des richesses pour l'éducation, la culture... alors que pourraient être remis en cause les maisons de quartier, les musées, le CCAS... Nous sommes en train de technocratiser les institutions ! »

« La contractualisation nous contraint de tenir nos engagements... »

Face aux critiques des opposants qui, à leur manière, font la fête à Macron, ses soutiens ne désarment pas. Laurent Croizier (MoDem) a fait le calcul : à 36.000 euros par Français, la dette nationale se monte à « 4 milliards pour les Bisontins ». Il ne s'agit certes pas des finances de la collectivité, mais il assène : « nier le danger de la dette, c'est renoncer, nier la difficulté, dire que nos enfants paieront... Tous nos programmes municipaux disaient qu'il fallait maîtriser les dépenses de fonctionnement, certains l'ont oublié. La contractualisation nous contraint de tenir nos engagements... »

Dominique Schauss (LREM) ironisera : « d'aucuns préfèrent une baisse de dotation avec motion plutôt qu'une dotation en augmentation avec contrat... Depuis le début du mandat, les lettres de cadrage nous demandent de rester à périmètre constant, les mesures ne brident pas l'investissement, c'est notre autonomie d'organiser nos services... » Antony Poulin (EELV) lui rétorque que « le budget de Besançon doit être mis en lien avec celui de l'agglo dont [la contractualisation] signe l'avis de décès ».

L'expression fait tiquer Jean-Louis Fousseret : « ce n'est pas le décès de l'agglo ! Arrêtez de faire croire qu'on ne va plus balayer les rues, fermer les écoles... » Il souligne cependant la « qualité du débat ». Puis martèle ne « pas avoir été élu pour fermer des services publics : on ne changera rien à ce qui a été décidé en 2014, mais si on avait su ça, on n'aurait pas pris les mêmes engagements... Je ne veux pas laisser à mon ou ma successeur un dossier financier pourri, je veux transmettre la ville et l'agglo dans une situation financière correcte... »

Il met aux voix, compte 19 abstentions. Nous en voyons 22. Personne ne vote contre. Le texte est adopté. La droite chicane : Alauzet, qui est parti, n'a pas laissé de pouvoir. « C'est évident qu'il aurait voté pour », dit Fousseret. 

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