Quel pataquès ! C'est l'un des feuilletons médiatiques nationaux de l'été. Quel besoin Jean-Louis Fousseret avait-il de prendre cet arrêté municipal anti-mendicité du 3 juillet alors que depuis 2003 le code pénal la réprime dès lors qu'elle est « agressive ou sous la menace d'un animal dangereux » ? Cette loi, mentionnée dès le second alinéa de l'arrêté, est tout bonnement la loi dite de sécurité intérieure du 18 mars 2003, l'une des premières de la longue et controversée série initiée par Nicolas Sarkozy qui était alors ministre de l'intérieur.
L'arrêté bisontin fait également mention de la loi interdisant de mendier avec des enfants, adoptée également en 2003 et complétée en 2013. Il s'appuie aussi sur un décret de 1994 réprimant le fait d' « embarrasser la voie publique » au point d' « entraver ou diminuer la liberté ou la sûreté de passage », ainsi que sur des dispositions encadrant les missions de la police municipale.
Bref, tout étant déjà dans des textes permettant aux agents municipaux d'intervenir en cas de problème, la nécessité de dire la même chose dans un arrêté municipal ne saute pas aux yeux. A moins que l'on ait voulu créer de nouvelles catégories juridiques telles que « l'occupation abusive ou inadaptée et prolongée des rues [empêchant] la jouissance paisible de certains lieux et voies publics » ou encore « la mendicité exercée sur la voie publique et la présence de personnes assises ou allongées de manière prolongée, et notamment dans les secteurs commerçants (...) [occasionnant] une gêne à l'accès à certains commerces ».
Ces deux points parmi onze « considérants » sont des motivations du fameux arrêté dont l'article 1 est clairement anti-mendicité notamment lorsqu'elle « constitue une entrave à la circulation publique », qu'elle soit « accompagnée ou non d'animaux ». Cette « mendicité entrave » est dans la même liste que la « consommation d'alcool », « les regroupements » et « la situation assise ou allongée ».
Jean-Louis Fousseret : « donner des moyens d'agir à la police »
Affiché du 10 juillet au 10 août, l'arrêté a bel et bien été pris en catimini et n'a pas fait l'objet d'un communiqué de la Ville, si souvent prompte à mettre en avant ce qu'elle entend valoriser. Il aura fallu un article de L'Est républicain, le 16 août, pour que la décision du maire soit sous les projecteurs. « Nous voulons donner des moyens d'agir à la police dans un cadre légal et faciliter son travail », expliquait Jean-Louis Fousseret au quotidien. Ce cadre légal existant déjà, on constate qu'il est, en l'occurrence, débordé par l'interdiction des regroupements et de s'assoir ou se coucher... Matière à rappeler cette maxime de Montesquieu : « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires »...
Cela a aussitôt fait réagir des associations et plusieurs partis de gauche dont la France insoumise. Entre cent et deux cents manifestants ont participé à un rassemblement de protestation assis samedi 18 août place Pasteur. Dans la foulée, les élus EELV et PCF, interpellés par LFI pour avoir laissé passer le projet d'arrêté en réunion de municipalité le 2 juillet, rétropédalaient et demandaient son retrait. Ils expliquaient ne pas avoir eu la totalité de l'arrêté le 2 juillet, ce que contredisaient les élus PS qui assument le texte d'autant que l'un d'eux, Thierry Morton, est adjoint au commerce. Ils demandent seulement son application « avec discernement », mais soulignent cependant qu'il est mal rédigé.
Christophe Lime (PCF) : « On a baissé la garde »
Contraint de réagir, Jean-Louis Fousseret s'est défendu dans L'Est républicain de pratiquer la chasse aux pauvres. Il a nié avoir agi en douce, indiquant que l'arrêté avait été affiché et publié sur le site de la Ville où nous l'avons cherché en vain. Sollicitée sur ce point, l'administration générale de la commune, nous a adressé le texte de l'arrêté (lire ici), et précisé que « comme tous les actes à caractère règlementaire, il sera prochainement publié sur le site internet de la Ville dans le cadre de la publication du Recueil des Actes Administratifs ».
Vilipendé par des associations humanitaires et la plupart des partis de gauche, objet d'une pétition demandant son annulation, l'arrêté vient compliquer un peu plus la vie tourmentée d'une majorité municipale minée par les divisions. Non seulement les divisions entre les élus ayant constitué le groupe LRM et les trois groupes EELV, PCF et PS, mais aussi entre les groupes EELV et PCF d'un côté et le groupe PS de l'autre.
Anne Vignot (EELV) et Christophe Lime (PCF) admettent s'être trompés le 2 juillet lors de la réunion de municipalité où le projet a été présenté, et plaident la bonne foi. « Dans quel état d'esprit étions-nous pour ne pas avoir lu le texte qui nous a été adressé en pièce jointe alors que le débat est resté sur la note d'intention ? », s'interroge tout haut Anne Vignot. « L'arrêté n'a pas été présenté mais expliqué. Fousseret nous a dit : c'est moi qui le prendrai, je ne savais pas si je vous le donnais, mais je vous informe », ajoute Christophe Lime en reconnaissant : « On a baissé la garde »...
Reste que des citoyens l'ont relevée. Outre le recours administratif dont une première décision doit intervenir dans les 48 heures, une seconde manifestation est organisée samedi 1er septembre à 16 h place Pasteur.
Christophe Lime (PCF) : « Ce qui me travaille le plus, c'est qu'on aurait tapé du poing sur la table, l'arrêté n'aurait pas été pris »
Votre communiqué dit que le 2 juillet vous avez formulé des remarques et des mises en garde. Lesquelles ?
« L'arrêté municipal n'a pas été présenté, mais le texte a été expliqué. Fousseret nous a dit : c'est moi qui prendrai l'arrêté, je ne savais pas si je vous le donnais, mais finalement je vous informe... On a baissé la garde. Fousseret dit qu'il voulait régler quelques cas, ils ont minimisé la portée de l'arrêté. Quand Fousseret a demandé si nous étions tous d'accord, je n'ai pas dit non... Quand on voit cet arrêté, il n'est pas applicable, et n'a pas été appliqué. Infliger des amendes à des SDF ne sert à rien. C'est inutile, stigmatisant. On n'aurait pas dû accepter, d'où notre demande de retrait. »
Et s'il n'y a pas de retrait ?
« Je veux être positif et considérer qu'il sera retiré. S'il ne l'est pas, on verra... On est dans l'intelligence : on ne peut pas se dire de gauche et le laisser. C'était une erreur, le maintenir serait une faute politique. On a été négligent... »
Irez-vous au tribunal administratif ?
« Pour l'instant, on appelle à manifester le 1er septembre... »
Les élus socialistes ne disent pas la même chose que vous...
« C'est quand même un arrêté inadapté qui doit être retiré. Tout le monde a droit à la tranquillité : les passants, les commerçants, les SDF... Retirer l'arrêté ne veut cependant pas dire qu'on ne traite pas le problème. Quand j'étais adjoint au patrimoine, j'ai fait rénover l'abri de nuit et il n'y a quasiment plus de violences... »
L'arrêté est inutile car tout est déjà dans la loi...
« Il ne sert en effet à rien... »
La France insoumise vous fustige...
« Il n'y a rien de nouveau de la part de gens qui ne nous aiment pas. Je ne fais pas de politique en fonction de la France insoumise. On a commis une négligence, on essaye de la rattraper. Les SDF doivent pouvoir faire tranquillement la manche, les passants doivent pouvoir passer tranquillement place Pasteur... Reconnaître une négligence, c'est une preuve d'intelligence. Ce qui me travaille le plus, c'est qu'on aurait tapé du poing sur la table, l'arrêté n'aurait pas été pris. Ce qui me rassure, c'est qu'il n'est pas appliqué. »
C'est donc une posture de l'avoir pris ?
« Oui... On demande le retrait mais avec une proposition calquée sur l'idée des correspondant de nuit : on pourrait imaginer des correspondant sociaux de présence... On a bien mis des médiateurs sur les travaux et ça a divisé les soucis par dix... »
Claire Arnoux (France insoumise) : « La majorité municipale est une chimère monstrueuse qui nous fait du mal à tous »
Très présents lors du sit-in du 18 août, les militants de Sol-Mi-Ré et ceux de la France insoumise ont fait jouer avec une certaine célérité leurs réseaux pour mobiliser en pleine période estivale. Se réjouissant des premiers résultats, ils sont sévères avec les élus EELV et PCF qui ont laissé faire, soulignant que leur revirement signifient qu'ils avaient raison les premiers...
« Ils n'ont plus assez de regard politique sur ce qu'ils font. Ils sont dans une logique gestionnaire, ce qui explique qu'ils ne l'ont pas vu », déclare à Factuel Claire Arnoux. Elle poursuit : « la majorité municipale est une chimère monstrueuse qui nous fait du mal à tous. C'est grave d'être dans la même majorité qu'un maire macroniste ».
Que pense-t-elle de l'idée de démission qui a traversé l'esprit d'Anne Vignot ? « Ce n'est pas la question. Jean-Louis Fousseret est libéral dès lors qu'il est à En Marche. Certains élus peinent à voir le contenu s'il n'est pas écrit clairement sur la bouteille. Jean-Louis Fousseret a quand même posé des pierres à Chamars [pour empêcher les campements de migrants] avant d'être à En Marche. Eric Alauzet était libéral alors qu'il était encore à EELV... »
Que dit Claire Arnoux de la proposition de correspondant social de Christophe Lime ? « Je le félicite de cette proposition, mais j'aurais aimé qu'il n'y ait pas eu besoin de mouvement social et de pression pour qu'il la fasse... Ce serait bien de rendre public les compte-rendus de municipalité : que se dit-il dans ces réunions ? »
Réactions et communiqués
Les élus EELV : « Vrai problème, mauvaise solution »
« Le 2 juillet dernier, dans le cadre d’une réunion de municipalité (et non d’un conseil municipal), une question sur les troubles à l’ordre public a été soumise au débat. Un consensus s’est dégagé sur le constat des réelles difficultés observées dans certains lieux du centre ville liées à la présence de personnes en situation de marginalité.
L’arrêté du Maire de Besançon qui a été produit, non étudié dans son intégralité lors de la réunion, dépasse de très loin les éléments qui ont été échangés. EELV demande le retrait de cet arrêté dont la teneur est disproportionnée et inadaptée.
Conscients de cette réalité les élus écologistes ont toujours défendu, au sein du conseil municipal, les solutions sociales de long terme, de prévention et de proximité.
EELV dénonce le recul d’une politique sociale de longue haleine. Alors même que l’analyse des besoins sociaux souligne l’augmentation de la précarité, la diminution des moyens décidée par le gouvernement, soutenue par les élus LREM, ne fait qu’aggraver le problème. »
Le groupe PS évoque « la persistance de comportements perturbants »
« De nombreuses réactions ont été suscitées par l’arrêté municipal n°PM.00.A228 relatif à « l’interdiction d’activités constitutives de troubles à la tranquillité publique et à l’ordre public sur des secteurs délimités de la Ville de Besançon » pris par le Maire de Besançon en date du 3 juillet 2018. Les élu-es du Groupe Socialiste et Société civile républicaine tiennent donc à apporter quelques explications.
Le principe de cet arrêté a été validé unanimement lors d’une réunion interne de la Municipalité, le 2 juillet 2018, par l'ensemble des élu-es présent-es, issu-es de l’ensemble des différents groupes politiques de la Majorité municipale : Groupe Socialiste et Société civile républicaine, Groupe Europe Ecologie Les Verts, Groupe Parti Communiste Front de Gauche, Groupe LREM, et Groupe Société civile.
La persistance de comportements perturbants sur l'espace public justifiait une prise de position de la Municipalité et la mise en place d’outils précis pour y répondre. En effet le problème des incivilités et de troubles répétés au centre-ville, constatés par de nombreux commerçants ou riverains dans la zone concernée par l’arrêté, est bien réel : accès aux commerces et aux logements, circulation difficile des passants ou riverains.
Il n'est pas dans nos valeurs d’interdire les regroupements ou encore de nous opposer à la mendicité. Nous soutenons au quotidien les actions qui apportent des alternatives à la mendicité et à l'exclusion, notamment l'accompagnement social qui permet de retrouver le chemin vers l'emploi, le logement autonome, l'éducation et la santé. Nous continuerons à défendre ces initiatives.
L'objectif de l'arrêté est bien de lutter contre les seuls comportements gênants, notre intention n’a jamais été d'interdire la mendicité sur le domaine public.
Nous veillerons donc à ce que l’arrêté actuel soit appliqué avec discernement. »
Les élus PCF : « un arrêté est confus et lourd de dérive »
Lors de la réunion de municipalité du 2 juillet, la question de la tranquillité publique a été abordée. Des éléments partiels (au regard du futur arrêté) ont été avancés par le maire.
Les élu-e-s communistes présents à cette réunion ont émis des remarques et des mises en garde sur les dérives de ce type de méthode. Il nous a été répondu que la décision serait prise par le maire malgré une éventuelle opposition des groupes politiques.
Pris par l’urgence d’autres dossiers importants, il est vrai, nous n’avons pas informé largement sur cet arrêté. Néanmoins, si l’arrêté est confus et lourd de dérive, il faut régler les importants problèmes du centre-ville (Place Pasteur, rue Pouillet, Quai Vauban).
Conformément au communiqué de la section PCF de Besançon (voir ici), les élu-e-s communistes demandent le retrait d’un arrêté confus et inadapté et l’exploration d’autres solutions impliquant dans la décision les premiers concernés : habitants, SDF, commerçants, etc. Ils soutiennent et appellent à rejoindre les actions citoyennes allant dans ce sens : pétition et rassemblement du 1er septembre.
Génération.s écrit au maire : « une rupture brutale et grave »
« Comme un grand nombre de citoyens, nous avons été choqués par l’arrêté dit arrêté anti-mendicité voté par le conseil municipal du 3 juillet dernier. En effet vous justifiez votre action en utilisant le code général des collectivités territoriales (Loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure) et plus précisément l’article 11 relatif à la commodité du passage dans les rues.
Vous affirmez dans Ma commune info : « Les habitants de Besançon veulent pouvoir circuler sans avoir à enjamber les personnes qui sont assises sur le trottoir. Ils empêchent les mamans de passer avec les poussettes, des personnes âgées sont aussi importunées. C’est pourquoi je veux réglementer cela. ». Ces personnes sont le plus souvent des êtres humains en situation de pauvreté ou de fragilité, les assimiler à des obstacles à enjamber est pour nous insupportable !
Cette mesure marque une rupture brutale et grave avec l' Histoire politique et sociale de la ville et sa tradition humaniste . C'est en effet à Besançon que fut mis en place dès 1968 le minimum social garanti ancêtre du RMI. Plus près de nous , au printemps 1997, alors que Nice venait de prendre un arrêté anti mendicité , la majorité municipale de Besançon repoussa une proposition de la minorité visant le même objectif . Il serait d’ailleurs intéressant de relire les déclarations des élus PS d' alors dont certains sont encore aux affaires . Victor Hugo, que vous aimez citer Monsieur le Maire, écrivait :" Vous voulez la misère secourue , moi je veux la misère abolie ". On ne combat pas la pauvreté en cachant la présence des pauvres de nos villes.
C’est pourquoi, Monsieur le Maire nous vous demandons instamment en tant que mouvement politique et citoyens de Besançon le retrait immédiat de cet arrêté. »