Bernard Ravenel, l’historien du PSU à Besançon

Besançon fut l'un des bastions du PSU, formation politique née de l'incurie des deux grands partis de gauche à la fin des années 1950 : le PS menait la guerre d'Algérie, le PC se lavait les mains de l'invasion de la Hongrie par l'URSS. Lip et le mouvement des soldats ont marqué son histoire locale. Bernard Ravenel pense qu'aujourd'hui la « forme parti » a vécu.

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Le PSU s'est sabordé en 1989, mais ce petit parti créé en 1960 de la réunion de communistes anti-staliniens, de socialistes qui ne supportait pas que la SFIO accentue la guerre d'Algérie, et de chrétiens de gauche militant dans le mouvement associatif ou le syndicalisme, aura sacrément secoué la vieille gauche d'alors. Anti colonialiste, anti nucléaire, anti autoritaire, autogestionnaire..., il fut le seul parti de gauche à soutenir et accompagner le mouvement de mai 68. A Besançon, il est intimement mêlé à l'affaire Lip et à la lutte pour le droit syndical dans l'armée. Paulette Guinchard, qui fut adjointe de Robert Schwint, conseillère régionale, députée puis secrétaire d'État aux personnes âgées du gouvernement Jospin, y a fait ses armes politiques. 

Ce parti qui tenta d'allier réflexion et action, a désormais une histoire, écrite par un de ses fondateurs, Bernard Ravenel, lui-même historien, agrégé et enseignant à Sciences-Po Paris. Venu du PCF, il préside aujourd'hui l'association France-Palestine solidarité. Il est ce mercredi 25 mai à Besançon où, avant de rencontrer les anciens adhérents du PSU, il dédicace son livre aux Sandales d'Empédocle de 16 h à 18 h.

Vous avez aussi été dirigeant du PSU...

Après le départ de Michel Rocard, j'ai été élu au bureau national, en charge des questions internationales. Puis j'ai été secrétaire national adjoint à la fin des années 70.

En lisant votre livre, on s'aperçoit que la création du PSU relève d'une situation plus complexe que beaucoup ne le pensent.

Je l'ai découvert aussi en retravaillant sur les origines...

L'anticolonialisme ne suffisait pas pour expliquer cette création.

Il ne suffit plus. Il y avait une crise réelle du socialisme. Le soutien inconditionnel du PCF à l'intervention de l'URSS en Hongrie ne passait plus dans la mouvance communiste où j'étais. C'est un point très important. La social-démocratie avait perdu son souffle. En 1956, la PS a soutenu la guerre d'Algérie et l'intervention à Suez a été très mal perçue. Il n'y avait pas, dans les milieux syndicaux, de vision d'un socialisme émancipateur. Le PC et le PS n'en avaient pas la volonté. Hormis la retraite et la troisième semaine de congé, il n'y avait rien. Dans les milieux associatifs et syndicaux, de très nombreux militants aspiraient pourtant à autre chose. Et la guerre d'Algérie a posé de tels problèmes aux jeunes qu'on a vu le manque de réponse dans ce que proposaient le PC et la SFIO. C'est troublant que ce soit venu des milieux chrétiens. Il faudrait l'analyser plus profondément pour savoir pourquoi ça a émergé dans ces milieux, y compris à Besançon. La tradition proudhonienne a joué un rôle dans la région. Il fallait mesurer la perte des adhérents du PC et de la SFIO dans les années 1950. Depuis la Libération le PC était passé de un million à 500.000, le PS en avait perdu un tiers... Certains ont mené un travail interne au PC, comme Victor Leduc, qui a mené une opposition clandestine...

Est-ce que la gauche s'est régénérée grâce au PSU ?

On sentait qu'aucune perspective d'avancée n'était possible sans les forces du PC et du PS, mais chacun le voulait sur ses positions. Mais pour que ça se concrétise, ça devait se faire sur des luttes, avec des objectifs. Il y a eu des grandes grèves en 1955, il y avait la guerre d'Algérie... Le PSU s'est créé car après les élections législatives de 1956, il n'y a eu ni unité ni réalisation de la paix en Algérie. Le PSU répond à ce moment à la volonté de répondre à l'objectif qui devait se réaliser dans l'unité de la gauche et avec une volonté d'autonomie : ça faisait deux problèmes à régler en même temps.

Votre livre souligne le rôle très important des appelés du contingent en Algérie pour contrer le putsch, en leur adressant un tract !

Il a été le seul parti à le faire. Le tract a été rédigé par Claude Bourdet, Michel Rocrad, et été distribué dans les gares, envoyé sous enveloppe...

Comment évaluer ce rôle ?

C'est difficile... Robert Chapuis, qui venait de la JECJeunesse étudiante chrétienne, était cadre de l'UNEF, explique que des réseaux se sont constitués pendant la guerre avec des sous-officiers anciens de l'UNEF : on était sous-officier quand on avait fait des études supérieures. Ce réseau a fonctionné à plein pendant le putsch.

Le PSU a sauvé la république !?

(rire) Le plus important, c'est que ces sous-officiers avaient un rôle auprès du contingent. Les militants du PC ont aussi marché sur place, mais ce n'était pas une consigne du parti. J'ai travaille de 1956 à 1960 avec la section coloniale du PC. On transférait le journal communiste en direction des ouvriers algériens, écrit en arabe. Il était fait par le PC, mais l'action n'était pas valorisée. Le PC a fait un travail parallèle, mais avait la trouille de se faire interdire.

Qui y avait-il d'autre ?

Un des réseaux du PSU, c'était les gens du journal Témoignage chrétien, en liaison avec des prêtres. Il y avait aussi quelques opposants traditionnels d'extrême-gauche.

Ça n'a pas dû aller de soi d'être anti-gaulliste et anti-nucléaire...

L'antimilitarisme est traditionnel à gauche. La matrice anti-nucléaire était portée par Claude Bourdet qui s'inspirait des Scandinaves et de militants britanniques. A l'époque, seul le journal Combat a dit son horreur lors du premier essai nucléaire en 1963.

Est-ce cela qui a débouché sur le non alignement ?

Le non alignement était là dès le départ. C'était important et très clairement le refus des blocs.

Ça a conduit le PSU a entretenir des relations avec le parti BAAS de Syrie, la ligue des communistes yougoslaves... Pas des très grands démocrates !

La Yougoslavie n'était ni soviétique ni dans l'OTAN... J'ai été invité à l'enterrement de Tito... Pour le BAAS, il y avait eu une analyse erronée du nationalisme arabe. C'était un mouvement de sortie du sous-développement autonome. On pensait qu'il ne se ferait que sous la condition du socialisme... Le BAAS avait aussi un discours très socialisant, mais on s'est vite aperçu qu'il n'était pas démocratique... C'est comme Nacer et Khadafi, on pensait que ça allait se démocratiser. Comme avec l'URSS. C'était une défaite idéologique.

Pas comme l'affaire Lip !

C'est la grande histoire du PSU dans les années 1970. L'affaire Lip démontrait la validité de notre projet socialiste. C'était impressionnant. C'est ce qu'on voulait pour le monde ouvrier, qu'il s'émancipe, prenne le pouvoir. Le PSU a pu mener sa stratégie hégémonique dans le mouvement ouvrier. Même le PC a défendu l'autogestion ! Lip était une application locale de nos orientations : l'union de la CFDT et de la CGT, et l'autonomie de décision des salariés. C'était une réussite politique et idéologique. Les gens faisaient la queue pour acheter des montres. L'analyse du mouvement a permis de démontrer que l'autogestion pouvait se concrétiser. Une fois au pouvoir, la gauche devait se mobiliser pour faire des nationalisations autogestionnaires, avec un contrôle des travailleurs, à l'échelle régionale et européenne. Cela avait une grande crédibilité. Mais il y a eu le sabotage du patronat.

Seulement du patronat ? Pas aussi du gouvernement ?

Ça a été une demande du patronat à Chirac [premier ministre] qui a convoqué Riboud en lui disant "il faut arrêter" et la banque [où Riboud était administrateur] n'a plus prêté. Renault [qui était nationalisé] a annulé une commande de montres à quartz... Charbonnel [ministre de l'industrie] le dit dans le film L'Imagination au pouvoir : c'est une décision de Giscard et Chirac... Aujourd'hui, Fralib est un peu un héritage du PSU.

A Besançon, il y a aussi eu les comités de soldats...

Et aussi la contestation du grand canal que j'ai oublié dans le livre... Pour les comités de soldats, on voulait tirer les conséquences du coup d'État du Chili. On craignait beaucoup que l'armée ne laisse pas la gauche gagner les élections. L'amiral Sanguinetti nous avait dit qu'il y avait, dans l'armée, des gens prêts à l'empêcher. La Ligue communiste était pour des comités de soldats, nous pour une stratégie syndicale ne détruisant pas l'armée mais construisant une structure de contrôle populaire si la gauche prenait le pouvoir, que les syndicats puissent paralyser les tentatives putschistes. On a eu le soutien de la Ligue des droits de l'homme, la CFDT était réticente au plan national. Au départ, l'armée n'y croyait pas trop, pensaient que Besançon et le PSU foutaient la merde. Mais quand ils ont vu qu'une autre structure allait naitre à Chaumont, ils ont pris peur. La police a stoppe le processus juste avant la tenue d'une conférence de presse... Cette bataille a été soutenue par les jeunes, dans le contingent, y compris du côté du PC et du PS...

Surtout de l'extrême-gauche à qui le PSU a alors été apparenté...

Oui. La ligue communiste courrait après nous, elle s'est ralliée à la problématique syndicale. L'extrême-gauche avait un soutien de masse. Nous avons montré, nous le gentillet PSU, notre capacité d'organisation d'une structure clandestine, à mettre en œuvre une stratégie inhabituelle. C'était acquis que si la gauche arrivait au pouvoir, elle accorderait le droit syndical...

Il n'est jamais venu.

L'état-major a dit à Mitterrand que c'était la ligne rouge...

L'armée est tenue par l'aristocratie...

Alain Joxe pensait que c'était alors une structure pré-fascisante...

A cause des démobilisés des guerres coloniales ?

Bigeard a été ministre de la Défense, il n'était pas loin d'un système fasciste...

Le PSU a été une super école politique, a formé des tas de gens qui ont ensuite été élus...

Ça a surtout été une vrai école pour le PS ! Le PSU a quand même été présent dans 80 départements, eu des élus, des maires, des conseillers généraux. Ce qu'on a loupé, c'est un développement électoral plus important. On a été bloqué par le PS qui s'est donné une image de gauche après 68, avec la CFDT et Rocard, il a marginalisé le PSU, s'est donné une image de gauche qu'il n'a pas. De ce point de vue, Pompidou est mort trop tôt et on a eu une présidentielle imprévue en 1974 au lieu de 1976...

Le PSU a été à la fois un parti de gouvernement et de lutte ?

C'est ce qu'on voulait. Nous pensions que la gauche ne peut prendre le pouvoir que sur une dynamique de lutte et que des mesures de gauche ne peuvent se prendre que si les mouvements se poursuivent après la victoire électorale. Mais en 1981, les luttes sociales diminuaient depuis plusieurs années. A partir de 74, le système industriel a modifié sa stratégie, il y a eu les délocalisations, l'idéologie libérale a progressé dans la classe ouvrière, le mouvement syndical a été bousculé. Le début de la chute des mouvements sociaux date de 1976. Il faudrait analyser comment l'imaginaire du monde ouvrier s'est modifié, avec l'image des pays socialistes, la Tchécoslovaquie, le système consumériste...

La gauche n'a-t-elle pas négligé la pensée situationniste ? Et puis le CAC 40 a mis la main sur les grands médias...

Castoriadis parle de téléconsommation. Il y a ce travail de deux sociologues sur Sochaux qui notent la modification du rapport au système scolaire, l'individualisme comme stratégie...  

Le PSU critiquait aussi la notion de "courroie de transmission" entre le politique et le syndical...

Chez nous c'était l'inverse ! C'est lié à la crise de la forme parti, de la conception léniniste qui l'a emporté au PCF...

Malgré la charte d'Amiens...

Oui. C'était pareil au PS avec FO et la FEN, mais secondaire. La courroie de transmission du parti au syndicat l'a emporté en France, mais elle s'est affaiblie en même temps que le PC s'est affaibli. Lebrun était un militant PSU, gaulliste de gauche et CGT, qui a commencé à critiquer le fonctionnement du parti. C'était un peu pareil avec le fonctionnement des syndicats chrétiens qui ne voulaient plus dépendre de l'église, ça a conduit à la déconfessionnalisation de la CFTC... Aujourd'hui, on en arrive à ce qu'il n'y a quasiment plus de communistes parmi les cadres de la CGT. Il y a une distanciation progressive...

N'assiste-t-on pas aujourd'hui à une courroie allant de la CGT vers les partis ?

Oui ! C'est Martinez qui apparaît comme l'opposition à Vals. Il y a quelque chose qui se passe.

La gauche d'aujourd'hui est-elle à réinventer comme elle l'était en 1960 ?

Quand j'ai annoncé qu'il fallait dissoudre le PSU, j'ai dit que je ne croyais plus à la forme parti. Mais quelle est l'alternative ? Il y a eu le parti autogestionnaire, différent du parti léniniste. Lip, ce n'était pas le PSU, mais les salariés en lutte qui prenaient des décisions en AG. Le PSU soutenait et donnait une caution politique... Mais on est mort, on n'a pas réussi. Et en même temps, la réponse à la crise de la forme parti n'est pas donnée. Les Verts ont échoué...

Mélenchon ?

Le PG n'a pas de référence sociale suffisante. Le PSU l'avait avec la CFDT. Sur le plan de la pratique, on ne prenait jamais d'initiative spécifique sans mobilisation des réseaux. Le PG a fait une grave erreur il y a deux ans en organisant une manifestation contre la politique du gouvernement sans concertation avec les syndicats. Mais Mélenchon a une culture politique anti autogestion... Nous étions, aux municipales de Grenoble en 1965, avec les GAM...

Justement, Grenoble a vu la victoire d'une liste Verts-PG...

Oui, mais elle n'est pas fondée sur une culture politique autogestionnaire... Il y a un problème lié à la culture politique française : ce sont seulement les partis qui ont les droit à la représentation institutionnelle. Une nouvelle forme politique partira du bas. Nuit debout y participera-t-il ? Je regarde, mais sous quelle forme cela s'exprimera durablement ? Dans les années 1960, on ne structurait que la classe ouvrière. Aujourd'hui, les femmes, les écologistes, etc. ont des aspirations particulières et veulent des formes politiques différentes... Les Verts auraient pu porter cela, mais ils ont échoué, les volontés de carrière ont tout bouffé, même si le maire de Grande Synthe a un bon comportement...

La 5e république est-elle l'obstacle majeur ?

C'est un obstacle. Il y a un obstacle politique, idéologique. Il faudrait examiner les aspirations de la société, les volontés d'émancipation, qui pourraient être portés politiquement. C'est exprimé par Nuit debout qui critique fondamentalement les formes politiques actuelles. Dans ce contexte, les élections présidentielles vont accompagner une crise politique.

Dans les manifestations contre la loi travail, on entend des gens, disant qu'ils ont toujours voté socialiste, ne plus jamais le faire, en tout cas ne pas vouloir voter Hollande, même contre Marine Le Pen... L'un m'a dit que la victoire du FN pousserait encore plus de gens dans la rue et que le système tombera alors...

Je ne suis pas loin de ça. C'est mon état d'esprit aujourd'hui.

Hollande, c'est Guy Mollet ?

C'est pire. Guy Mollet a au moins donné la troisième semaine de congé. Avec Hollande, il y a le fonctionnement et l'homme ! Si c'est Hollande-Sarkozy, il y aura un rejet général. Je ne pense pas que la 5e république va s'en tirer.

La gauche ne doit-elle pas surtout préparer les législatives ?

Oui, mais elles sont conditionnées par la présidentielle... Ce qui vient de se passer en Autriche ouvre un boulevard à Hulot. Il n'est pas prêt, il se prépare...


« Des antisionistes sont antisémites, c'est un masque »

L'Association France-Palestine solidarité que vous présidez est accusée d'antisémitisme par certains...
On est venu me chercher pour en prendre la présidence, c'est un héritage du PSU... Dès le départ, j'ai réglé cette question : j'ai fait virer les antisémites. Le CRIF a fait une enquête sur moi, sur mes textes. Il n'a rien trouvé... Il a fallu surveiller une tendance de l'AFPS, par exemple à Toulouse où des anciens sont passés à DDS où il y a des gens pas clairs. A Besançon, je suis venu expliqué ce qu'est le BDS...
Égalité et Réconciliation, le site d'Alain Soral, vous cite dans sa revue de presse...
Ils m'ont cité ? Ils m'ont déjà demandé de manifester avec eux, j'ai refusé. C'est un problème pour nous, cette bataille est très compliquée parmi les jeunes. D'où l'importance des distingos : il faut faire la différence entre antisémitisme et antisionisme. Il est clair que des antisionistes sont antisémites, c'est un masque. (Voir le développement sur Médiapart, en accès libre ici).
Comment les reconnaître ?
Leur demander s'ils considèrent qu'Israël a le droit d'exister. La solution passe par la désionisation d'Israël, pas par sa destruction ! Il faut rendre ce pays moins ethnique et plus démocratique. Le débat du PSU avait été tranché par une motion disant trois choses : les palestiniens ont droit à l'autodétermination, Israël est une nation qui a droit à l'autodétermination, le PSU est contre les actes terroristes visant les civils. La question est celle de la légitimité. C'est la force de l'OLP d'avoir reconnu le droit d'Israël à exister. Il est tragique qu'Israël ne veuille pas donner ce droit. On va à la catastrophe, Liberman, le ministre de la défense d'extrême-droite, veut des armes nucléaires...

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