Benoît Hamon : « je ne jouerai pas à faire président »

Après une visite dans la circonscription de Barbara Romagnan qui le soutient, le candidat à la primaire socialiste a parlé devant 150 personnes à Boussières. Méthodiquement et simplement de gauche, il a « hâte de débattre avec Macron au premier tour de la présidentielle »...

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Benoît Hamon est de gauche. Les quelque 150 personnes qui l'ont écouté dans la salle des Loups de la maison pour tous de Boussières en sont convaincus. Un frémissement les parcourt quand il cite Antonio Gramsci qui a si bien décrit son époque du fond de sa prison mussolinienne. Une époque que plusieurs intellectuels comparent à notre présent. « La crise consiste dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Une autre traduction propose cette formule plus connue, que reprend Hamon : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

L'ancien ministre de l'Education nationale, viré après la « cuvée du redressement » en même temps qu'Arnaud Montebourg, est grave : « on vit des moments semblables ». Il cite les phénomènes morbides d'aujourd'hui : « le monstre a le visage de Trump, de Le Pen... » Il est sérieux, inquiet : « Celui qui dit que Marine Le Pen ne sera pas présidente prend un risque... Elle peut être une bonne manière de jeter tous les autres ». Il évoque sa rencontre avec Bernie Sanders qui sentait arriver Trump. Son analyse est proche de celle de Jean-Luc Mélenchon qui avait des témoins dans l'équipe du socialiste américain.

« Faut-il continuer ce culte déraisonnable de la croissance
ou changer progressivement de modèle de développement ? »

Comme le héraut de la France insoumise, Hamon ne « croit plus à la croissance : on lui consacre des efforts considérables sans y arriver ». Sa conclusion est simple comme cette question en forme d'alternative : « faut-il continuer ce culte déraisonnable de la croissance ou changer progressivement de modèle de développement ? » Il insiste, car tout le monde à gauche n'est pas converti à la critique de la croissance comme les sont depuis des décennies les écologistes et quelques autres : malgré les 40 milliards « d'offrande du CICE, elle n'est pas revenue », pas plus qu'avec « le sacrifice de pans entiers du code du Travail elle ne reviendra ».

S'il utilise ce vocabulaire religieux, c'est qu'il entend signifier que nombre d'économistes libéraux qui inspirent les politiques actuelles, sont plus dans la croyance que dans le réel. Dans l'idéologie, même s'il n'emploie pas le mot. Dans la perspective de passer de 14% de la population française sous le seuil de pauvreté aux 17% de l'Allemagne ou aux 16% du Royaume uni souvent pris en exemple par les héritiers français de Tony Blair et Gerhard Schröder que sont à ses yeux Manuel Valls et Emmanuel Macron. « Faire de la croissance n'est pas forcément améliorer la vie des gens », conclut-il, « il faut choisir ce qui doit croître et ce qui doit diminuer. Pour moi, c'est moins dans les énergies polluantes, davantage dans les énergies renouvelables, les soins, la santé... »

« Notre modèle de démocratie est arrivé à épuisement »

Comme Montebourg un temps et Mélenchon maintenant, il instruit le procès des institutions - « notre modèle de démocratie est arrivé à épuisement » - et souhaite une 6e république. Il se moque des hommes providentiels, des postures, des soit-disant statures... et ironise sur lui-même : « quand je me suis présenté à la primaire, on m'a dit Benoît, tu ne fais pas président ! Il y a une forme d'immaturité à penser qu'une seule personne peut incarner le pays. Ça n'existe pas, et on continue... Je ne jouerai pas à faire président ». Et comme les grands hommes sont des écrivains et/ou des penseurs, il cite Victor Hugo : « un lion qui imite un lion est un singe... »

Une de ses grandes affaires, c'est le revenu universel d'existence. Il le présente comme une réponse à la crise du travail, celle qui fait qu'on « fabrique plus avec moins de travail ». Une réponse à l'opposé de la loi Travail qui a été « faite par des gens heureux d'aller travailler le matin », qui ont oublié qu'un tiers des cadres « travaillent entre 20 heures et minuit ». Il montre son smartphone : « ça s'appelle une laisse électronique ». Il est persuadé que la révolution numérique ne va pas seulement impacter les tâches d'exécution, qu'elle peut être une « bonne nouvelle » si elle ne conduit « pas à la régression sociale », si on peut « l'orienter ».

Un revenu universel d'existence de 750 euros par mois

Son revenu universel d'existence, il le voit à 750 euros par mois et le donne « à tout le monde, de 18 ans à la mort, même à Bolloré car il est comme nous remboursé quand il a la grippe ». Pour le financer, il veut notamment instituer une taxe sur les robots : « il y a un temps, à gauche, on avait pensé calculer les cotisations sociales sur la valeur ajoutée ». Lui aussi a sans doute vu le film La Sociale : « si on s'était demandé en 1945 combien allait coûter la Sécu, on ne l'aurait jamais faite ! » Plus tard, un étudiant dira dans le débat que 750 euros, ce n'est « pas assez », que ce revenu devrait être « conditionnel » et ne pas être versé à Bolloré !

Outre la taxe sur les robots, Benoît Hamon veut fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG et faire dix tranches, instaurer un impôt unique sur le patrimoine, et lutter contre la fraude fiscale. Dans un premier temps, ce revenu universel d'existence serait attribué aux 18-25 ans. Puis une conférence citoyenne réunissant députés, conseil économique social et environnemental, et assemblée tirée au sort serait chargée de trancher sur ce qui l'intégrerait ou n'y serait pas. Il ne veut en tout cas pas y mettre les allocations familiales ou chômage. Il a un autre argument, celui de la mobilisation : « on ne peut pas gagner face aux libéraux sans un imaginaire puissant, une espérance de conquête sociale ».

« Le système éducatif ne peut se corriger qu'avec des choix de long terme »

Un échange s'ensuit avec la salle, démarrant par une interpellation rude de quatre étudiants : « vous n'avez pas parlé de l'université ! Vous parlez de renouveau, mais vous avez été ministre et fait partie de cette politique de destruction ». Le candidat répond que le nombre d'enseignants a augmenté grâce à son action, les étudiants s'en vont. Une jeune femme parle de « l'urgence » à aborder les inégalités, notamment à l'école, l'interroge : « vous avez été caissier ? », dénonce l'existence d'une « caste des intouchables ». Benoît Hamon propose « 20 élèves par classe du CP à la 6e », assure que « le système éducatif ne peut se corriger qu'avec des choix de long terme ». 

On l'interroge sur l'hôpital public. Il répond que la situation des hôpitaux remonte aux 35 heures, déplore qu'en stage, les jeunes diplômés y désapprennent ce qu'ils ont appris à l'école : « dans le soin, les messages des salariés sont très inquiétants ». Rémi Lucas, conseiller municipal du village dit pis que pendre de la réforme territoriale : « on vit ce que vivent les citoyens et on s'arrache les cheveux, il y a un vrai ras-le-bol par rapport à la centralisation de la gouvernance locale ». Le candidat « comprend les élus... Si Fillon gagne, ce sera terrible... »

Interrogé sur le CETA, il dit être pour sa « suspension sans état d'âme : ce n'est pas la priorité de l'union européenne de passer un accord de libre échange supplémentaire ». Il est favorable à un visa humanitaire et la remise en cause des accords de Dublin afin de « favoriser l'intégration de ceux [des migrants] qui ont un projet par la langue et le travail comme l'Allemagne et la Suède ».

Il dit avoir hâte d'être au débat du premier tour de la présidentielle avec Macron. Il en critique par exemple la proposition d'actions gratuites pour rémunérer des cadres initialement limitées aux start-up, mais qui ont surtout servi au CAC 40 : « les plus riches se sont gavés », dit-il. Une vraie différence entre un socialiste de gauche et un libéral, fut-il social...

L'interpellation par des étudiants.

 

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