Barbara Romagnan : « J’assume le souhait d’un changement de ligne politique et de gouvernement »

La députée socialiste frondeuse de Besançon ne rentre pas dans le rang après avoir été débarquée de la commission des affaires sociales. Elle défend le respect des engagements de campagne plutôt que la loyauté à l'égard de l'exécutif.

Barbara Romagnan au moment de l'arrivée de Manuel Valls à la Cité universitaire Canot, le 29 septembre à Besançon, entre la présidente de la Région Marie-Guite Dufay, le député EELV Eric Alauzet et le président du conseil général du Doubs Claude Jeannerot.

« On est mieux vu quand on est puni... C'est de loin ce qui m'a valu le plus grand nombre de messages de soutien », lance-t-elle, un brin d'ironie dans la voix, avant même qu'on soit installé dans la grande salle lumineuse de sa permanence de la place Leclerc. Du neuvième étage, la vue sur le vieux Besançon est superbe.

Punie, donc. Barbara Romagnan fait en effet partie des six députés socialistes à avoir été débarqués de la commission des Affaires sociales par le président du groupe PS, Bruno Le Roux, au garde-à-vous devant le président de la République et le Premier ministre. Elle se retrouve à la commission du développement durable qu'elle avait demandée il y a... un an. Entre temps, elle a été élue, contre la candidate de Bruno Le Roux, rapporteure d'une commission d'enquête sur la RTT...

« Ce n'est pas malin de la part de Bruno Le Roux », commente-t-elle, « des piliers de la protection sociale sont partis, comme Christian Paul, Fanélie Carrey-Conte ou Gérard Sebaoun... » Est-ce vraiment un hasard alors que le conseil des ministres vient d'adopter le projet de budget de la Sécurité sociale qui prévoit 2 milliards d'économie sur les prestations dont 700 millions sur la branche famille ? La députée du Doubs le votera-t-elle ? « C'est une déclinaison du pacte de responsabilité que je n'ai pas voté », répond-elle. Sa manière de dire non. A moins que le débat ne produise des amendements miraculeux...

« On ne demande même plus l'application du programme, seulement une progressivité de la CSG ! »

Elle rappelle avoir « voté l'essentiel des politiques » depuis le début de la législature. Elle convoque les mémoires : « On avait estimé le coût du programme de François Hollande à 20 milliards... Le pacte prévoit 41 milliards de baisse de coûts de cotisation des entreprises et on n'aurait pas le droit de le remettre en cause ? On n'en est même plus à demander l'application du programme, ni même la réforme fiscale tant vantée qui s'appuyait sur des propositions de Thomas Picketty... On réclame seulement une progressivité de la CSG ! »

C'est dire si même les frondeurs sont loin du compte car cette mesure a déjà été présentée sans succès, mais « on va continuer », assure Barbara Romagnan. « Sur les 40 milliards du pacte, on ne demande pas de supprimer les aides aux entreprises, mais que ces aides soient utiles : à la confortation de la compétitivité internationale, au développement durable, à l'amélioration des conditions de travail ou à l'égalité hommes-femmes. La France détient le record de distribution de dividendes ! Il faut que l'utilisation des subventions soit discutée avec les délégués syndicaux. Vous vous rendez-compte, l'agro-alimentaire et les banques vont recevoir des chèques et on baisserait les prestations sociales ! »

« Le droit de vote des étrangers ou le récépissé de contrôle d'identité sont des questions de dignité »

Il y a deux ans, élue députée depuis à peine cinq mois, elle disait « comprendre la nécessité, pour le président du groupe, de garantir une unité, une cohérence politique, un équilibre entre unité et pluralisme ». Pense-t-elle que cet équilibre est aujourd'hui rompu ? La réponse est cinglante : « Il n'a jamais réussi à le faire. Ce n'est pas à l'aune du président de la République que je juge ce que je dois faire, mais de ce qu'on a permis en matière de réduction du temps de travail, de transition énergétique... Il y avait dans le programme le droit de vote des étrangers ou le récépissé de contrôle d'identité qui ne coûtent pas cher et sont des questions de dignité. Des gens ne sont contrôlés que sur leur tête. Cette question engage notre avenir, concerne la jeunesse : les jeunes issus de l'immigration ont un taux de chômage double de la moyenne des jeunes... Et si on ne le fait pas pour les jeunes qui sont français, ç'aurait été pour leurs parents ! »

Les marges de manoeuvres de Vincent Peillon
« Dans la situation économique et sociale que nous vivons, être ministre ou haut responsable de gauche, c'est très difficile », nous disait Barbara Romagnan le 15 novembre 2012. Elle ajoutait : « le seul à avoir des marges de manoeuvres, c'est Vincent Peillon... qui a mené en amont une très sérieuse réflexion sur l'Education nationale... Il contribue à ce qu'on soit fier du PS... »
Alors que Peillon est tombé au printemps 2014 sur la réforme des rythmes scolaires, nous lui avons rappelé ses propos, ce à quoi elle a répondu : « Je continue à penser que cette réforme est une grande réforme qu'on a portée. 150.000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, c'est un des systèmes les plus inégalitaires. Il fallait essayer de répondre à ces difficultés, dès le plus jeune âge. Faire davantage de temps d'école le matin quand les enfants sont plus réceptifs. Toutes les communes n'ont pas les moyens... »
N'y a-t-il pas justement un problème à faire porter le coût de la réforme sur les collectivités locales au moment où l'Etat les étrangle ? Réponse : « Il y a deux ans d'accompagnement... Et j'ai signé la pétition de la FCPE pour un fonds de pérennisation abondé par l'Etat... »

Résultat, les quartiers populaires ne votent presque plus, comme à Planoise où la participation est tombée à 20% dans certains bureaux de vote, aux européennes. Planoise est justement dans sa circonscription. Barbara Romagnan sait que les abstentionnistes sont des électeurs de gauche traditionnels ou potentiels.

Elle en a rencontrés beaucoup : « J'entends des choses de deux ordres. D'abord, ils ressentent l'impuissance. Quels que soient les gens au pouvoir, ils se disent que rien ne change dans leur vie, que c'est pire avec la droite mais qu'il n'y a rien avec la gauche sauf une allocation scolaire qui augmente... Ils ont les mêmes difficultés qu'avant pour accompagner leurs enfants, ne partent pas en vacances... Ensuite, il y a la question de la crédibilité. Dans le meilleur des cas, les gens pensent qu'on est de bonne volonté mais qu'on n'y peut rien. Certains pensent qu'on se moque d'eux. L'affaire Cahuzac a été catastrophique, je parle pas de Thévenoud. Et le ministre des relations avec le Parlement qui sous-estime son patrimoine de 30%, des sénateurs comme Gaudin, qui ont piqué dans la caisse... »

« Avant, on parlait d'un monde meilleur... », maintenant de « la transition énergétique ».

Quel peut être l'horizon pour la gauche ? « Avant, on parlait d'un monde meilleur... » Oui, mais pour demain ? « Il faut se projeter, c'est pour ça qu'il y a la transition énergétique. A l'horizon 2100, le niveau des mers peut monter de 100 m et la température augmenter de 7 à 8°. Ça va entraîner des déplacements de populations, des conflits. Le rapport à la nature de la gauche change : on n'est pas dedans, mais on lui appartient. Certains croient encore que les solutions viendront du développement technique... » 

Faut-il remettre en cause les modes de vie, les organisations sociales, les comportements ? « On ne fait pas ce qu'il faut quand on raisonne avec des gens rationnels à partir de besoins matériels, sans s'intéresser aux angoisses, aux désirs, aux passions. La France est quand même le premier consommateur de psychotropes. La gauche ne doit pas juste s'intéresser à la fiche de paie et à ce qu'on mange. La transition énergétique est un véritable outil. Je pense à la ferme des 1000 vaches qui entraîne des maladies, des souffrances, de la productivité. Mais si on pouvait avoir 50 paysans formés à une agriculture durable s'occupant de vaches mangeant de l'herbe ! La transition énergétique est un outil de répartition des richesses. L'énergie coûte cher aux pauvres qui vivent dans des passoires thermiques dont les premières victimes en sont les femmes : 85% des chefs de familles monoparentales, une large majorité des plus de 80 ans...  La transition énergétique, c'est des emplois, de la relocalisation... Ça peut avoir l'air gentil, bisounours, mais le mieux vivre est important. A gauche, on a laissé tomber le rapport à la consommation, à la publicité... »

« J'expérimente un désarroi. Beaucoup quittent le PS, vont nulle part... »

Est-ce à dire que la gauche aurait perdu la bataille des valeurs ? Barbara Romagnan n'est pas loin de l'admettre, mais ne se résigne pas. Elle cite un peu dépitée ce récent rapport du CREDOC qui signale une augmentation de l'intolérance aux pauvres. Un de ses électeurs a eu une opération de 100.000 euros prise en charge par la Sécu, mais il critique l'AME, l'aide médicale aux étrangers : « il y a des gens à qui l'on fait croire que c'est le problème, que le problème sont les gens à mi-temps qui touchent une part de RSA... » 

« François Hollande n'est pas social-démocrate mais libéral »
Le 5 mars 2013, à la fin d'une rencontre avec des représentants syndicaux qui venaient de manifester contre l'accord national interprofessionnel (ANI) signé notamment par le MEDEF et la CFDT, José Avilès, secrétaire de l'union locale CGT de Besançon, s'adressait en ces termes à Barbara Romagnan et Eric Alauzet : « Même s'il y a des amendements, ce sera une telle déception que cela vous sera défavorable, et pas seulement dans les urnes ».
Le Parlement, en adoptant ce texte, a-t-il fait tant de tort au dialogue social ? Réponse de Barbara Romagnan qui s'était abstenue : « Quand deux organisations syndicales ne signent pas, c'est qu'il y a un problème. On voulait nous faire voter le texte tel quel, mais les syndicats ne sont pas porteurs de l'intérêt général. Et même si tous avaient signé le texte, les parlementaires ont le droit de l'amender. C'est pour ça que François Hollande n'est pas un social-démocrate mais un libéral. Parce que le MEDEF est venu ensuite remettre en cause le compte pénibilité qui avait conduit la CFDT à signer. Un social-démocrate a le respect des partenaires sociaux. »

Elle est persuadée que son discours convient aux adhérents du PS. Quand elle les voit en réunion ou leur écrit pour leur « demander leur avis via les secrétaires de sections » sur son attitude à l'Assemblée, elle n'entend « pas de majorité » le lui reprocher. « J'expérimente un désarroi. Beaucoup quittent le PS, vont nulle part... ». Parmi ceux qui la critiquent, l'ancien député Jospeh Pinard, élu lors de la vague bleue de 1981, assure qu'elle va « le payer ». On comprend une menace de non investiture aux prochaines législatives.

Parmi ses propres soutiens, qui ont défendu Martine Aubry lors de la primaire socialiste de 2011, certains déplorent son « manque de loyauté » à l'occasion d'échanges véhéments. « Il y a beaucoup de violence et de rancoeurs, y compris parmi nos électeurs », réagit-elle. « Beaucoup disent "où est mon vote ?" C'est incroyable qu'on considère avec autant d'égard les dirigeants qui ne respectent pas leurs engagements ! »

« Les gens nous ont élus. Le gouvernement n'est pas élu ! »

Le Front de gauche, dont elle disait partager les analyses mais pas le ton il y a deux ans, est-il une piste ? Même pas, elle est également en « désaccord stratégique » car « on n'a jamais gagné une élection en étant séparés, il ne faut pas réduire les socialistes à leurs dirigeants... Ce n'est pas tenable d'être 30 députés abstentionnistes pendant trois ans. On essaie, là où on est, de faire en sorte que le passage de la gauche au pouvoir ne soit pas complètement raté ». Se projette-t-elle dans un second tour Juppé-Le Pen ou Le Pen-Sarkozy ? « On n'en est pas là, je vais faire en sorte que la gauche soit au second tour ! On dit que les frondeurs divisent le PS. Moi, je dis que les diviseurs sont ceux qui ne respectent pas les engagements de François Hollande. Cela concerne toute la gauche : ni EELV ni le Front de gauche n'ont voté la confiance et les radicaux étaient divisés... »

Il n'a pas échappé à Barbara Romagnan que les grands médias n'invoquent qu'une seule solution à l'éventuelle mise en minorité de Manuel Valls : la dissolution. Alors qu'une autre solution institutionnelle existe dans un tel cas de figure : le changement du Premier ministre. « Ça m'énerve qu'on ne parle que de la dissolution. J'assume le souhait d'un changement de ligne politique et de gouvernement. Que le Président et le Premier ministre menacent de dissolution en disant que le FN est aux portes du pouvoir, ce serait irresponsable. Si l'Assemblée vote exactement ce que l'exécutif a prévu, cela signifie qu'il n'y a pas de séparation des pouvoirs ». Est-ce la dictature ? « Ce n'est pas ce que je dis... A ce compte là, il faudrait arrêter les élections et organiser des concours administratifs. Les gens nous ont élus. Le gouvernement n'est pas élu ». 

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