Avis de gros temps chez les Insoumis de Besançon

Les divisions entre groupes d'appui de la France Insoumise sont mises au jour avec l'invitation à débattre dans un café lancée par les Jeunes avec Macron à tous les partis. La présence du FN n'a pas dissuadé six Insoumis dont deux personnalités bisontines et une dijonnaise. Le reste de la gauche est consterné, comme le PCF (dessin ci-contre) qui refuse de « servir la soupe aux néolibéraux et aux fascistes ».

pcf

Dans la série « tout est dans tout et réciproquement », les Jeunes avec Macron du Doubs ont fait fort. Diablement malins ou faussement naïfs, ils ont invité au débotté des jeunes des autres partis politiques, de la gauche à l'extrême-droite, pour débattre « éducation, immigration, écologie » dans un bar de Besançon, jeudi 7 juin. De quoi réjouir le FN, devenu RN, ravi de l'aubaine. Passer comme par enchantement du statut de pestiféré à celui de fréquentable, ça ne se refuse pas. D'autant que les jeunes fans du président ne relatent même pas la teneur des discussions de café, ne disent rien des désaccords et antagonismes qui doivent sans doute compter pour du beurre. Car sur leur Facebook, ils préfèrent mettre l'accent sur la bonne ambiance entre les 23 personnes ayant échangé dans « la bienveillance, l’écoute et l’ouverture »... Et la référente départementale de LREM, Alexandra Cordier, veut « renouveler l'expérience ».

Vu de gauche, ça n'allait pas de soi de participer à ce que le PCF considère sur son blog comme un « dîner de cons » en lequel il voit « un entre-soi petit bourgeois ». En outre, les communistes ne veulent pas « servir la soupe aux néolibéraux et aux fascistes ». Génération.s a annulé sa venue : « pour nous il sera toujours hors de question de parler immigration "avec bienveillance" avec le Front National », explique Elise Aebischer sur Facebook. Le NPA a refusé tout net de « parler avec les fachos ». EELV dément avoir eu l'intention de participer et ne « cautionne ni l'organisation à la va-vite ni les finalités » du débat après avoir laissé entendre qu'il pourrait venir.

« Si à chaque fois que le FN est présent, nous devons rester chez nous, c'est triste. »

Quant à la France insoumise, elle s'est retrouvée écartelée sur le sujet. Les uns refusant de participer à la rencontre de La Fontaine (le nom du café) tandis que six militants s'y sont rendus. Secret de polichinelle, ses divisions, jusque là cantonnées à des inimitiés et l'ignorance réciproque entre groupes d'appui, sont apparues sur un sujet hautement symbolique : l'attitude vis à vis de l'extrême-droite.

On ne peut certes pas reprocher à Boris Obama, l'un des Insoumis présents, ancien candidat aux législatives 2017 à Dijon, d'être complaisant avec le FN. Il souligne d'ailleurs que le débat a été « parfois bien virulent » avec ses représentants qu'il entend « combattre partout et tout le temps... Si à chaque fois que le FN est présent, nous devons rester chez nous, c'est triste ».

L'argumentation n'est pas éloignée de celle de Florian Maillot, référent départemental des Jeunes avec Macron du Doubs. Ce Bisontin, qui enseigne l'histoire dans un lycée de Belfort, évacue le problème : « on s'est posé la question d'inviter ou pas le RN et on a répondu oui. Soit on fait comme nos détracteurs, comme s'il n'existait pas, et ça lui profite. Soit on agit et on le combat sur le terrain des idées et des arguments... Ce buzz n'a pas lieu d'être, c'est un prétexte pour nous faire du tort... »

« Il faut les attaquer en face à face, je n'ai peur de personne... »

Habiba Delacour, candidate LFI aux législatives à Besançon l'an dernier, est du même avis : « pour quelles raisons on ne pourrait pas débattre avec le FN alors que Jean-Luc Mélenchon a appelé à débattre avec Marine Le Pen ? Le FN était au deuxième tour, il faut aller sur leur terrain... Il faut les attaquer en face à face, je n'ai peur de personne... »

Ce faisant, elle met sur le même plan un débat télévisé et une discussion confinée, qui plus est organisée non par une instance tierce - média, association, établissement scolaire, etc. - mais par une partie prenante des échanges. C'est ce que fait aussi Florian Maillot à qui nous présentons l'objection : « On peut nous critiquer sur la forme, mais notre optique est le dialogue avec des jeunes engagés politiquement... »

Emmanuel Girod, qui conduisit la liste A Gauche toute aux municipales de 2014, était là également mais jure avoir découvert sur place la présence de militants RN. « Fallait-il dire non parce qu'ils étaient là, d'autant qu'un jeune Insoumis virulent s'est fait un plaisir de critiquer LR et RN ? »

« On n'a rien à faire à une réunion avec des militants, le FN n'est pas un parti comme les autres. »

Séverine Vézies, qui dirigea la campagne législative de Claire Arnoux il y a un an, ne cache pas sa contrariété : « Je me désolidarise de cette initiative à laquelle j'ai refusé de participer. Nous en avons parlé et refusé de nous y rendre... Si on doit débattre, ce n'est pas avec mais contre le FN. On n'a rien à faire à une réunion avec des militants, le FN n'est pas un parti comme les autres. Cette situation heurte le cœur de mon engagement qui est la défense des étrangers ».

D'autres Insoumis auraient signé des deux mains le communiqué du PCF. Certains déplorent un manque de lucidité politique qui aurait fait tomber les participants à ce « débat d'arrière salle » dans un « piège tendu » par les macronistes. Bref, la situation interne du mouvement est devenue explosive à Besançon. Elle se tend d'autant plus, assure Boris Obama, que « les gens qui font monter cette polémique sont très frustrés de ne pas être sur la liste des élections européennes ».

Boris Obama fait en effet partie des 70 premiers noms rendus publics par le comité électoral de la France insoumise qui a dû choisir parmi près de 600 postulants dont Séverine Vézies qui n'a pas été retenue. Reste que la liste définitive n'est pas encore arrêtée et que l'épisode du bar de La Fontaine est de nature à influer sur sa composition. Quoi qu'il en soit, aucun des trois comtois de cette liste, Anne-Sophie Pelletier, la passionaria jurassienne du combat de l'Ehpad des Opalines, Laurence Lyonnais et Gabriel Amard, n'a participé au fameux « débat d'arrière salle ».

« C'est quoi l'adresse de La France insoumise à Besançon ? »

Cette histoire illustre une difficulté intrinsèque au mode d'organisation de la France insoumise. Ses groupes d'appui autonomes ont l'avantage de la souplesse, de l'horizontalité, la capacité de choisir leurs actions, d'être par conséquent efficaces dès lors qu'il s'agit de faire une campagne nationale, de soutenir des candidats à la présidentielle ou aux législatives. Mais s'il s'agit de faire vivre un mouvement qui ambitionne d'animer la vie politique locale ou de s'investir dans la vie municipale, l'absence de structuration devient un handicap.

Les partenaires potentiels des Insoumis le déplorent en ironisant parfois : « c'est quoi l'adresse de La France insoumise à Besançon ? » Du coup, les invitations sont lancées au petit bonheur la chance, les réponses varient avec les sujets. Quand EDGE organise un débat entre partis de gauche, Claire Arnoux y participe. Quand le PCF invite toute la gauche à la Fête de L'Huma de Besançon, elle décline mais les Insoumis sont représentés par Emmanuel Girod et Habiba Delacour qui ne tiennent pas un stand du mouvement mais une table présentant les publications Fakir, le journal du député François Ruffin...

« La forme incertaine de nos frontières d’organisation est parfois angoissante... »

Jean-Luc Mélenchon a perçu les contradictions, sinon les limites, de la construction qui a porté sa campagne présidentielle aux portes du second tour. Il les analyse sur son blog dans une récente note sur le prochain congrès du PG, les rapports du parti et du mouvement LFI. En quelques phrases, on mesure qu'il estime nécessaire une clarification : « Ce n’est pas simple d’être le parti qui a inventé la France insoumise. Car tous ses cadres sont investis dans le Mouvement. Mais ils ont pour consigne de ne pas se l’approprier. Chaque jour dans la pratique peuvent surgir des problèmes concrets de vie mitoyenne ! Parfois cela est mal vécu par les pégistes qui peuvent se sentir frustrés. Et le caractère flou des structures du mouvement n’est pas moins perturbant pour eux que pour bons nombre d’observateurs extérieurs. La forme incertaine de nos frontières d’organisation est en effet parfois angoissante. Elle pèse sur tous, au Mouvement comme au Parti (...) Le groupe parlementaire a surgi en quelque sorte comme la direction du court terme, des communiqués et de la réaction immédiate aux plans du pouvoir. Et le Mouvement de son côté gère le temps long, celui des campagnes de fond, du quadrillage du terrain (...) Le PG doit être une structure qui doit aider le mouvement à se penser lui-même... »

En fait, la question qui agite tous les partis et mouvements politiques doit s'analyser non seulement à l'aune de leurs orientations politiques, mais aussi de leurs animations militantes dans la perspective des deux prochains scrutins : les européennes de 2019 et les municipales de 2020. Le global et le local dont l'articulation est nécessaire mais n'a rien d'évident.

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