Avant la tempête : point Covid-19 dans la région de Besançon avec le Dr Blasco et le Pr Thines

Les hôpitaux de toute la région se préparent tant bien que mal à affronter en Franche-Comté la vague imminente de patients infectés par le Covid-19. Gilles Blasco, coordinateur des risques infectieux au CHRU de Besançon, préfère ne pas s’attarder sur les polémiques pour se concentrer sur l’organisation et l’augmentation des capacités, même si comme tous les soignants, il regrette les pénuries de matériels. Le Pr Laurent Thines, chef du service de neurochirurgie, sera aussi sur le pont, mais lui ne se prive pas d’un avis très critique envers le gouvernement, en évoquant une catastrophe sanitaire et un scandale d’État.

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Propos retranscrits après entretiens téléphoniques.

Dr Gilles Blasco, médecin anesthésiste réanimateur, coordinateur des risques infectieux, et donc du COVID-19, au CHRU de Besançon

Les hôpitaux de Besançon s’organisent et les capacités d’accueil ont été augmentées, aussi bien dans les services de réanimation, des soins intensifs que des unités qui s’occupent du Covid-19. C’est le message apaisant dans ce climat un petit peu délétère… On essaie de coordonner tout ça avec le groupement hospitalier de territoire Centre Franche-Comté, Dole, Pontarlier, Vesoul… tout en sachant que l’on s’étendra au fur et à mesure. Tous les hôpitaux de Besançon, les Tilleroyes, les cliniques privées ont proposé leur service. Tout ça est en train de s’organiser progressivement pour faire face à ce pic épidémique qui arrive et que l’on attend.

On le rabâche tous les jours, mais l’idée du confinement c’est que l’on ait moins de contaminés, moins de patients arrivant sur l’hôpital. Le message maintenant, quand on a de la toux et de la fièvre, on passe par son médecin généraliste, plus par le 15. Par contre, en cas de difficultés respiratoires, ne pas hésiter à faire le 15.

On a l’expérience du Grand Est qui malheureusement nous permet de nous organiser au mieux et de trouver des lits, de diminuer nos activités sur ce que l’on peut diminuer tout en gardant bien sûr toute la part des urgences, parce que le monde continue à vivre. On a quasiment dédoublé les urgences pour accueillir des suspects Covid, et garder nos forces aussi sur les AVC, la cardiologie. Tout ce qui est circuit habituel est conservé au mieux. On fera tout pour que ça se passe bien de ce côté-là, mais vous vous doutez que la charge sur les soignants est importante, car tout ceci se fait à effectif constant.

La réserve sanitaire est venue aider à Besançon, mais en général c’est assez transitoire, parce qu’il faut aussi la déplacer pour aider des zones en plus grandes difficultés. Mais il y a encore, je crois, des gens de la réserve. L’appel aux retraités est en cours d’organisation, il y a de jeunes retraités et de très vieux retraités. Je n’ai pas encore les chiffres, mais ceux qu’on cherche sont très spécialisés, surtout des urgentistes et des anesthésistes réanimateurs, des gens rompus aux soins intensifs, dans les médicaux et les paramédicaux.

« Il faut garder des messages d’espoir, mais si c’était si simple les Chinois seraient sous chloroquine, les Italiens aussi »

Il faut arrêter avec ce traitement à la chloroquine, il faut se calmer un petit peu. Quand on n’a pas de traitement et qu’on propose quelque chose de fantastique, alors forcément… Le problème c’est que ce n’est pas fantastique. C’est une étude qui porte sur 24 cas et qui ne tient compte que de l’excrétion virale. On ne vous a jamais dit qu’ils étaient guéris, on a dit ils arrêtaient d’excréter du virus en 6 jours. C’est un travail préliminaire et une piste intéressante et c’est déjà utilisé dans des protocoles de traitement ou des essais commencés en Italie et en France. Nos amis dijonnais ont commencé à inclure des patients, nous aussi. Mais il ne faut pas trop tirer de conclusions hâtives. Sinon, moi je suis médecin, j’en aurais acheté pour ma maison et donné à ma femme et à mes enfants, et ce n’est pas le cas. Il faut garder des messages d’espoir, mais si c’était si simple, les Chinois seraient sous chloroquine, les Italiens aussi.

La chloroquine sert à la prophylaxie du paludisme, c’est un vieux médicament qui est connu et qui a une certaine toxicité. Ce que l’on ne voudrait pas, c’est que les gens commencent à prendre ce type de traitement en passant à la pharmacie avec des toxicités cardiaque et oculaire possibles. Ça va tellement vite, c’est un virus que l’on ne connait que depuis trois mois… Beaucoup de gens et de pays sont touchés, si on ne procède pas de façon scientifique et rigoureuse, on va arriver à n’importe quoi, à des effets secondaires, voire à des toxicités, voire à un médicament qui sera totalement inactif. Même si ce sont des procédures accélérées d’études cliniques thérapeutiques, il faut garder de la rigueur pour pouvoir en tirer des conclusions. Peut-être que dans deux-trois semaines nous aurons des études venant de Chine ou d’Italie, nous on a fait ci comme ça, cette dose-là c’est la bonne et l’OMS dira chapeau, bravo, on retient ça. Ça va venir, il ne faut pas se précipiter.

« Une telle attitude n’est pas tenable scientifiquement, vous voyez bien que les Anglais reviennent là-dessus »

C’est vrai que ça aurait pu être bien pire. S’il était sorti un Ebola ou un MERS-CoV à la place de ce virus, la mortalité ne serait pas la même. N’oublions pas, la plupart des gens vont guérir, mais le problème que l’on connait avec l’exemple de Mulhouse, de Paris maintenant et surtout d’Italie, c’est qu’il y a les 15 %, à peu près, de gens qui font des formes graves et peuvent entrainer une mortalité. Admettons que l’on ait 40 % de la population française touchée, je vous laisse calculer avec 15 % combien ça fait de monde dans les hôpitaux et vous voyez que ce n’est pas possible. Toutes les précautions que l’on prend, c’est pour ces 15 %.

Si vous ne prenez pas de mesures confinement, en disant ralentissons les choses, ralentissons pour diminuer la vitesse de propagation du virus, vous allez avoir une catastrophe sanitaire avec des gens dans la rue et l’armée devant l’hôpital pour empêcher les gens de rentrer. C’est un scénario catastrophe comme on voit dans les films. Une telle attitude n’est pas tenable scientifiquement, vous voyez bien que les Anglais reviennent là-dessus. En plus, ils ont un système de santé déplorable, et ils vont prendre cher eux aussi, excusez-moi d’être un peu trivial dans la conversation… En France, je fais confiance. La Chine commence à s’en sortir, l’Italie arrive à son pic épidémique. Vous allez voir d’ici une quinzaine de jours, j’espère, que ça va redescendre un petit peu. Tenons ensemble le confinement, respectons les règles, le Français n’est pas le Chinois ou l’Italien, il va falloir sans doute en faire un peu plus. Faisons confiance à nos soignants et à nos organisations. Tout le monde essaie de s’organiser parce que ce n’est pas simple.

Je râle comme les soignants, en disant on n’a pas ci, c’est un scandale et autres. Mais il faut bien continuer. Nous en tant que responsables, on tente d’organiser au mieux les soins, de protéger au mieux les soignants et de soigner au mieux toute la population qui se présentera chez nous à l’hôpital. Il faut s’unir, ce sont des moments difficiles. Quand on est soignant, on choisit de soigner des gens et parfois, dans l’histoire de la médecine ou du soin, malheureusement il y a des gens qui ont fait ça au péril de leur vie. Sans en arriver là pour l’instant, il ne faut pas exagérer, ce n’est pas Ebola.

« Comment se préparer à ça quand ça fait un siècle, depuis la grippe espagnole en 1917, que ce n’est pas survenu ? »

On sait, depuis le SRAS, la grippe H1N1, que ce danger-là pèse sur l’humanité depuis longtemps. Il y a des plans pour ça, mais comment se préparer à ça quand ça fait un siècle, depuis la grippe espagnole en 1917, que ce n’est pas survenu ? Moi je ne jette pas la pierre. Vous arrêtez tout un pays ? Vous voyez les conséquences ? Ce sont des décisions extrêmement difficiles à prendre, bien en amont. Le président a été très honnête en disant que c’était une situation exceptionnelle dont nous n’avions pas l’expérience. De toute façon, je suis persuadé que, la France étant la France, il y aura des polémiques. Ils se mettent en quatre pour nous obtenir des masques, des tenues, etc. C’est une situation mondiale et personne n’était préparé à ça. Vous avez beau être le gouvernement français, si vous voulez acheter des masques et des tenues, vous avez en face les Allemands, les Canadiens, les Américains… Tout le monde en veut.

Si on regarde sur le papier oui, il aurait fallu des stocks suffisants, oui, mais pour quoi ? Pour 68 millions de Français ? Au moins pour les soignants ? Mais la polémique ne mène à rien, ça fait peur et fait râler les gens. Il faut regarder toutes les initiatives pour en fabriquer, mais c’est du matériel médical. Je veux bien que le jean, le tissu et le soutien-gorge cherchent à faire des masques, mais entre rien et quelque chose qui ne protège de rien du tout… La production de masque c’est un marquage CE, des sécurités, des fiabilités. Je ne suis pas industriel, mais je me doute que ce n’est pas si simple. Bien sûr l’idée c’est d’aider, et ils ont bien compris en haut lieu toutes nos difficultés de matériels jetables, que l’ARS a bien fait remonter. Pour l’instant, tous les jours on vérifie et on fait un point de notre consommation de masque FFP2, de masques chirurgicaux, de tenues pour voir combien de jours on peut tenir. Et l’ARS se débrouille pour nous fournir des masques autant que faire se peut, avec les réserves qu’ils ont.

Mais on ne va pas nier les choses, il y a une pénurie. Mais on en a encore à l’hôpital et on gère. On essaie d’avoir une attitude responsable, on essaie d’en réserver l’usage et qu’ils soient correctement portés. Tous les masques sur le menton et compagnie c’est terminé, ça ne sert à rien. Et si vous avez une tenue et que vous devez normalement en changer trois fois par jour et que vous n’en avez plus, il faut être pragmatique. C’est une tenue qui me protège, je vais la porter plus longtemps, on s’adapte à ces circonstances exceptionnelles. On peut râler, mais il faut qu’on avance et que l’on soigne les malades, tout en se protégeant au mieux.

« En situation de pénurie, est-ce que vous privilégiez les Ehpad ou les établissements de soin de premier niveau ? »

Je ne connais pas bien la situation des Ehpad, mais maintenant en situation de pénurie, est-ce que vous privilégiez les Ehpad ou les établissements de soins de premier niveau ? C’est terrible à dire, mais on est obligé de prioriser des choses. C’est comme les lits de réanimation, il n’y en a pas partout. On ne va pas aller mettre des lits de réanimation dans les Ehpad ou dans des établissements qui ne sont pas habilités. Oui, il y a une priorisation, mais c’est l’ARS qui gère ça au mieux. Elle fait le point sur toute la région et remonte au ministère. Et on est une de leurs priorités par rapport à des régions moins touchées comme la PACA et l’Aquitaine. Ça viendra, mais pour l’instant, c’est nous qui sommes touchés et on nous fournit du matériel. Honnêtement, je crois qu’il ne faut pas se poser de questions, ils font pour le mieux.

On sait que ça va être dur, que nos amis du Grand Est sont en plein dedans. On va faire au mieux et on monte nos capacités. Ça a commencé cette semaine, ça va s’intensifier ce week-end et toute la semaine prochaine. Le confinement c’est important, ce n’est pas de la blague. Il y a aussi des gens jeunes touchés, qui ne sont pas à l’abri des formes graves, même si la plupart du temps ce sont des gens âgés. Le retour de l’APHP, c’est qu’ils ont la moitié des patients qui ont entre 50 et 75 ans en réanimation. Mais ce n’est pas parce qu’on est en réanimation que l’on en meurt. Le reste c’est 15 % qui ont moins de 50 ans et 35 % qui ont plus de 75 ans. Ce sont les chiffres actuels français sur les patients en réanimation. Pour l’instant, toutes données confondues, on est à 37 % de décès en réanimation, c’est beaucoup plus fréquent chez les plus de 75 ans que les moins de 50 ans. Même quand on est en réanimation, dans 63 % des cas, on ne s’en sort quand même pas trop mal, surtout si on a moins de 75 ans. Mais ce sont des chiffres, il ne faut pas se laisser embrouiller avec les chiffres. Il y a des gens de 50 ans très malades, et d’autres de 78 ans qui font du vélo en très grande forme. Il n’y a pas que l’âge, mais toutes les pathologies autour. Et tout le monde ne va pas en réanimation quand ils rentrent à l’hôpital.

 

Pr Laurent Thines, chef du service de neurochirurgie au CHRU de Besançon

Il se passe ce qu’il est prévu de se passer, ça évolue progressivement jusqu’à une mise en tension du système de ressource hospitalière. Nous à Besançon, ça fait plus de trois semaines qu’une cellule de crise est en place, qui travaille d’arrache-pied pour réorganiser les services, réduire l’activité pour libérer des anesthésistes réanimateurs pour accueillir les patients, déprogrammer les interventions, les opérations non urgentes pour ne plus faire à partir de la semaine prochaine que les urgences. En termes de capacitaire, on a quasiment doublé le nombre de possibilités de ventilation en réorganisant les choses. Ce sont des respirateurs dans l’institution, mais qui ne sont pas utilisés au quotidien parce qu’on n’en a pas besoin. Il y a des salles de réveil équipées, etc. On envisage même d’utiliser dans les salles de bloc opératoire où on ne peut pas, on ne va plus que travailler sur un îlot, on peut utiliser les respirateurs des autres salles pour accueillir des malades, c’est ce qu’ils ont déjà fait en Alsace ou en Italie. Du coup, on peut monter jusqu’à 100-120 postes, plus les 20-25 postes dans les deux cliniques. On va avoir un capacitaire de 120-150 postes de ventilation à Besançon.

Au niveau organisation on est taquet, mais on ne connait pas la hauteur de la vague des patients. Pour le moment, on n’est pas surcharge, mais le nombre de patients double tous les deux jours. On était à 15 patients, là on est à 30 patients atteints du Covid-19 sur les 50 personnes en réanimation. On va voir comment ça évolue. Si on regarde ce qu’il se passe en Alsace et en Lorraine, c’est flippant.

On attend les masques, on n’a rien vu venir, on est en pénurie de matériel, de masques, de blouses, de lunettes, de tout. Les hôpitaux fonctionnent avec des budgets restreints et donc des flux tendus sur toutes les commandes de matériel, que ce soit les équipements de protection ou les médicaments, les dispositifs implantables. Quand il y a une crise, une rupture de stock, un fabriquant qui met la production à l’arrêt, une épidémie comme ça, on n'est plus en capacité d’amortir le besoin de terrain. C’est ça qui est terrible, de ne pas avoir les trucs basiques dans l’urgence pour gérer.

« C’est une succession d’inactions qui nous amène dans cette situation qui va être dramatique »

Il y a une grande responsabilité gouvernementale n’avoir pas anticipé ça. Cela faisait trois mois que l’épidémie démarrait de Chine. Ils avaient des infos par le ministère des Affaires étrangères, les Ambassades, de ce qu’il se passait en Chine et ça aurait dû alerter. L’Italie s’est déclarée bien avant nous, ça aurait dû aussi nous faire réfléchir. C’est une succession d’inactions qui nous amène dans cette situation qui va être dramatique. Et c’est confirmé par les dires de Mme Buzyn, c’est hallucinant. C’est une catastrophe sanitaire et un scandale d’État.

Il y a une volonté de ne pas angoisser la population, mais il faut avoir un discours de vérité avec la population. Ça ne sert à rien de ne pas dire les choses. Ils se retrouvent confinés, mais ne savent même pas pourquoi. Un coup on dit vous pouvez aller au restau, au bar ou au théâtre, un coup on leur dit bah non vous ne pouvez plus sortir, les écoles fermeront, mais vous pouvez sortir pour aller voter pour les élections municipales et puis non il faut vous confiner et puis non il faut aller travailler maintenant. Les gens deviennent schizophrènes.

« Ne pas avoir confiné l’Oise et la région parisienne, l’erreur fatale »

C’est parti de l’Oise et de l’Alsace, ce sont les deux vecteurs en France. Le gros reproche qu’on peut leur faire, c’est que vu la Chine, vu l’Italie, c’est de ne pas avoir mis en confinement la région parisienne et la région Grand Est. C’est ce qui a été l’erreur fatale. Là, ils ont laissé évoluer ces deux clusters-là et ça a diffusé partout. Ils courent après le truc et sont complètement perdus. Ils jouent les apprentis sorciers, ils se sont dit ça va aller on va laisser faire le truc, mais c’est très grave. Il y avait aussi l’arrière-pensée de préserver l’économie. C’est l’absurdité du truc, sous prétexte de ne pas bloquer l’économie, plutôt que d’avoir deux régions bloquées, là c’est toute la France. Ils sont en dessous de tout et n’ont aucune visibilité, aucune analyse et aucune anticipation.

L’histoire des masques, ils n’ont plus été commandés depuis 2013 ou 2015, très bien, mais en même temps, depuis décembre on aurait pu en commander ou en fabriquer. J’ai l’impression qu’ils n’ont pas pris la mesure de la gravité des choses ou alors ils avaient une autre stratégie, qui était la même que Boris Johnson, basée sur l’immunisation collective, mais qu’ils ne l’ont pas dit à la population. Il faudra qu’ils s’en expliquent un jour, parce que faire ça et tabler sur 300 à 500 000 morts en France sans informer la population, c’est très grave.

 

 

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