Anticiper un nouveau 21 avril

Si la gauche est éliminée au soir du premier tour de la présidentielle comme en 2002, elle ne devra pas improviser sa débandade sur les plateaux de télévision. Autant dire que la préparation d'une stratégie pour les législatives ne doit pas attendre.

La gauche et la droite devraient penser un peu plus fort aux élections législatives des 11 et 18 juin. En parler, les préparer au grand jour. Et pas seulement dire quels sont les candidats investis. D'abord parce que l'hypothèse que l'une ou l'autre soit éliminée du second tour de la présidentielle est à prendre en compte autrement que sur le registre moral, voire moralisateur. Ensuite parce que rien, hormis une formule répétitive, ne justifie que cette élection soit pour toujours le « pivot de la vie politique ». Enfin, parce qu'il est nécessaire de prendre au sérieux un scrutin législatif que la plupart des démocraties européennes et quelques autres considèrent comme l'élection clé.

Certaines, comme l'Autriche ou le Portugal, ont bien une élection présidentielle au suffrage universel, mais l'élu n'a pas autant de pouvoir(s) que l'hôte de l'Élysée. Et ceux qui poussent à davantage de présidentialisme ne sont pas les plus grands démocrates, qu'on songe à Erdogan en Turquie.

Avec quatre candidats issus de la gauche dite de gouvernement (Jadot, Mélenchon, Macron et le vainqueur de la primaire socialiste), sans oublier ceux d'extrême-gauche (Arthaud et Poutou), la gauche – au sens large – pourrait même faire relativement bonne figure collective dans les urnes, mais se retrouverait une nouvelle fois prise au piège de la Cinquième république si elle sacrifiait les législatives.

Avec un candidat désigné haut la main par sa primaire, la droite paraît à l'abri d'une telle déconvenue qui constituerait une première si elle advenait. Mais avec Dupont-Aignan et un possible candidat centriste, Fillon aurait tort de considérer l'affaire pliée.

La gauche et la droite devraient donc se doter d'une stratégie pour le cas, envisageable donc à envisager, où elles seraient absentes du second tour de la présidentielle et tenter de gagner les législatives. En 2002, faute d'avoir anticipé, et même imaginé possible, l'élimination de Jospin, la gauche s'est retrouvée désorientée, anéantie. Et c'est sans aucune délibération, sous le coup de vives émotions, que la plupart de ses leaders ont déclaré qu'il « fallait » voter Chirac.

Parce que la règle tacite du second tour c'est d'« éliminer le pire ».

Mais qui serait « le pire » pour les électeurs de droite : Le Pen ou un socialiste ? Le Pen ou Macron ? Le Pen ou Mélenchon ? A cette question que nous posons régulièrement depuis des mois à des militants et des élus locaux, des centristes et des démocrates-chrétiens grimacent mais répondent souvent qu'ils choisiraient un socialiste ou Mélenchon. Mais ils savent qu'une part de leur électorat serait moins regardante.

A trois mois et demi de l'échéance, la droite ne paraît pas préparée à une éventuelle élimination. Elle a pour viatique cette formule de Fillon qui s'était prononcé, en cas de duel PS-FN aux municipales de 2014, pour « le moins sectaire ». Il ne peut aujourd'hui sortir de cette ambiguïté qu'à ses dépens...

La gauche a expérimenté cette situation à la présidentielle de 2002, mais ses leaders ne paraissent pas disposés à s'étendre sur le sujet, illustrant l'adage selon lequel on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu...

Pourtant, il y a davantage que quelques jours pour préparer l'éventualité et en débattre. Ce faisant, il faut accepter qu'on récuse l'idée selon laquelle les législatives ne seraient qu'une formalité de ratification de la présidentielle. Car si c'est le cas, pourquoi ne pas les supprimer ? Formuler la question montre l'absurdité de l'hypothèse, ainsi que l'indigence d'une pensée qui s'interdirait de réfléchir à l'articulation présidentielle-législatives au prétexte que la cohabitation ne serait pas souhaitable. Or, le pays en a vécu trois sans s'effondrer.

La question ne se pose pas de la même façon pour la droite et la gauche. Davantage portée par la culture du chef et le principe hiérarchique, la droite peut exploser dans la défaite et être remplacée par le FN. De son côté, la gauche peut être marginalisée si elle rallie Fillon au second tour, mais elle peut aussi se refonder grâce aux législatives.

Elle doit donc anticiper les conséquences d'une éventuelle élimination au premier tour de la présidentielle. Elle devra arbitrer entre le bulletin Fillon pour éviter Le Pen et le vote blanc massif au second tour. Elle devra simultanément, voire préalablement, se lancer aussitôt dans la campagne des législatives.

Bien sûr, une telle position ne peut pas être improvisée en direct sur les plateaux de télévision comme en 2002. Elle se prépare, se discute, se débat. Cela suppose aussi d'accepter de rompre avec le présidentialisme, ce lourd héritage du bonapartisme, qui a tant de mal avec le principe de délibération, dont un symbole est ce 49-3 qui rend schizophrène Manuel Valls. C'est évidemment difficile au vu des divergences et des rivalités d'égos qui structurent aujourd'hui la gauche, justement pour préparer, comme la droite, l'élection présidentielle « pivot de la vie politique ».

En outre, le temps ne joue pas pour elle et le communautarisme tous azimuts des réseaux sociaux accentue le cloisonnement social. Les médias de masse produisent jour après jour des représentations désespérantes de conformisme consumériste, mettent à mal une culture où l'air du temps a remplacé le réel vécu et analysé par les militants associatifs et syndicaux, les chercheurs et les créateurs, les porteurs d'initiatives collectives...

Mais bon, la difficulté n'empêche pas d'agir, n'est-ce pas ?

 

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