Anne Perrin : « travailler un projet commun en lâchant nos étiquettes »

Conseillère municipale d'opposition à Lons-le-Saunier et co-secrétaire d'EELV Jura-Sud, elle explique pourquoi et comment son parti s'est engagé dans le processus « Majorité citoyenne » pour les élections départementales des 22 et 29 mars. Une exception jurassienne en Franche-Comté.

Anne Perrin

Conseillère municipale d'opposition à Lons-le-Saunier, Anne Perrin est issue d'une famille où l'on s'est beaucoup engagé : une grand-mère conseillère municipale MRP à Mâcon après guerre, une tante maire de son village, des parents « cathos de gauche » et militants socialistes... Elle figurait en mars 2014 sur la liste conduite par Marc-Henri Duvernet (PS). Co-secrétaire de la section Jura-Sud d'Europe Écologie les Verts, elle est candidate en binôme avec Claude Buchot aux élections départementales sous le label Majorité citoyenne, initié nationalement au sein du Parti de gauche, avec un succès inégal. En Franche-Comté, avec des candidats dans une dizaine des dix-sept cantons, seul le Jura est dans un porcessus qui inclut quasiment toutes les composantes politiques à gauche du PS.

Qu'est-ce qui fait que ça marche ?

Ça a été compliqué. On a avancé, reculé, débattu au sein de notre groupe qui a une histoire plutôt avec le PS. Avec les socialistes, il y a des moments où on a travaillé ensemble, et d'autres non car le contrat n'était pas tenu au niveau national.

Et localement ?

Le plus compliqué avec le PS, ça a été les sénatoriales. L'accord national incluait le Jura, mais le PS jurassien a fait comme s'il n'existait pas, les militants n'étaient pas au courant... [NDLR : Les écologistes ne sont maintenus au second tour et l'UMP qui n'en espérait pas tant a eu les deux sièges.]
A Lons, je peux travailler avec Marc-Henri Duvernet. On n'est pas d'accord sur tout, on n'a pas toujours les mêmes points de vue, mais il a le souci d'être à l'écoute de ce qu'il entend. Ça oriente ses actions. Moi, je suis à l'écoute des citoyens, mais je pense que les politiques ont à penser l'avenir, être en avance sur le temps, les enjeux écologiques et sociaux.

Comment ça se passe avec Christophe Perny, le président du Conseil général ?

On se dit bonjour. On se respecte. Il m'exaspère car il est fixé sur son aéroport. Il n'accepte pas de s'arrêter, d'écouter les experts comme Pascal Blain. Je me dit qu'il est coincé par des enjeux qui lui appartiennent : comment ça marche pour lui, dans sa tête, alors qu'il aurait tout intérêt à lâcher. Mais Perny n'est pas tout le PS... Marc-Henri [Duvernet] est un ami, je sais qu'on peut construire avec lui. On a un modus vivendi : on fait ensemble avec ce qu'on est chacun. Aux municipales, on a eu un résultat honorable...

Là, dans le processus Majorité citoyenne, vous êtes aussi avec les communistes...

Je ne les connaissais pas. Quand on se croisait, on n'était jamais d'accord. Les mots employés par les uns faisaient hérisser le poil des autres. C'était pareil avec le NPA...

Par exemple ?

Tout à l'heure, un militant communiste plantait un clou pour faire tenir l'abri [servant à une opération de soutien à la Grèce], et en rigolant il disait "je tape sur le patronat" ! Je ne suis pas d'accord ! Le truc central, c'est la croissance. Sur ce point, on est très proche du Parti de gauche, de Larrouturou (Nouvelle Donne), mais pas d'accord avec le PCF. Les communistes ont l'impression qu'on va fermer les usines alors que ce n'est pas ce qu'on dit. L'aventure que nous avons, c'est d'avoir débattu sur les mots.

Lesquels ?

Ralentissement. Pour le PC, c'était ralentir la production, donc du chômage, et ils ont raison dans leur champ de pensée. Pour nous, c'est considérer dans la croissance tous les enjeux : humains, sociaux, environnementaux...

Et la lutte des classes ?

Ça appartient au PC ou au NPA. On ne va pas les chercher là-dessus, mais on ne met pas ça sur nos documents communs.

Il existe quand même des conflits sociaux ?

Oui, mais je ne parlerais pas de lutte des classes. Le problème, c'est comment on distribue la richesse. Avec le fric qui existe, il y a de quoi faire vivre tout le monde pour qu'on accepte de partager...

N'y a-t-il pas de la prédation ?

Oui, d'où le champ politique...

Les prédateurs ne semblent pas se laisser faire...

Alors soit on prend les armes, soit on fait de la politique ! J'ai choisi de faire de la politique.

Et si ça ne réussit pas ?

Ça peut réussir, regardez la Grèce. Un peuple a dit stop à l'illusion...

Pour l'instant, ils n'infléchissent pas les autres dirigeants européens...

Il faut être là pour les soutenir ! Que ça gueule partout ! On ne peut pas continuer à voir l'Union européenne et les pouvoirs financiers mondiaux prendre les gens en otage. Ce qui est nouveau, c'est que la Grèce parvient à montrer la réalité de vie des gens. Ceux qui y sont au pouvoir ne mettent pas sous cloche la réalité des habitants. Hormis le FN, je ne doute pas que qui que ce soit faisant de la politique pense que ce qu'il porte est juste.

Que pensez-vous des 11 milliards supprimés par le gouvernement aux collectivités, vous qui êtes conseillère municipale ?

Il y a des choix qui ne coûteraient rien et qu'on ne fait pas. Par exemple à Lons qui a un patrimoine arboricole exceptionnel, une charte de l'arbre. Comment le gérer alors qu'il y a des citoyens experts qui pourraient discuter avec les gens des services municipaux. Ils faut ouvrir les portes ! Nous avons aussi proposé une tarification sociale pour l'eau potable, que les premiers mètres cubes vitaux soient gratuits.

Que vous a-t-on répondu ?

Au conseil municipal, on m'a dit que ce n'était pas possible. Mais j'en ai parlé avec Jacques Pélissard dans un couloir, il m'a dit que ça coûterait trop cher à mettre en place...

Il vous a entendu...

Il n'est pas sourd. Je m'étais un jour fâchée au conseil municipal en disant : "arrêtez de penser qu'on est là pour faire ch..."

Comment le processus Majorité citoyenne arrive à EELV ?

Le Parti de gauche nous a contactés, a ouvert la porte pour qu'on travaille ensemble. C'était novembre et comme on était bien avancé dans la préparation des élections départementales, on a répondu que c'était un peu juste... En même temps, Gabriel Amard a contacté Claude Buchot. Ils ont fait équipe assez vite, Gabriel Amard nous a recontactés et on a commencé à travailler ensemble. Le PCF est arrivé ensuite, puis Nouvelle Donne. Le tout dans un mouchoir de poche d'environ trois semaines.
Quitter notre étiquette, ce n'est pas rien. C'est aussi abandonner des stratégies de comptage de chaque parti aux élections. Pour un militant politique, ce n'est pas une mince affaire. Mais il s'agissait d'enjeux pour lesquels j'étais déjà engagée. Au sein d'Europe Écologie les Verts, il y avait différentes positions. Sur Lons, on a dit : on y va parce que c'est l'avenir...

Pourquoi ?

Ce n'est pas en faisant 3 ou 5%, voire 16% aux européennes, qu'on peut orienter la politique nationale. L'enjeu, c'est notre socle commun pour vivre ensemble !

Que disent les socialistes dont vous êtes partenaires ?

Ils nous disent "mais que faites-vous avec l'extrême gauche ?" Ce à quoi je réponds que je ne suis pas d'extrême gauche ! Qu'on peut travailler ensemble localement sur des projets communs. C'est la même chose que ce qu'on a fait aux municipales avec Marc-Henri Duvernet... J'ouvrirais d'ailleurs les portes bien plus large ! Au PS par exemple ! Travailler ensemble sur un projet commun en lâchant nos étiquettes...

La Majorité citoyenne a été théorisée par Jean-Luc Mélenchon...

On est proche de lui. Il y a plein de fois où il m'énerve, par exemple son discours sur le peuple. Je préfère qu'on parle des citoyens. Dans le mot peuple, je n'entends pas la parole de chacun...

Pensez-vous que des socialistes vous rejoindraient après avoir perdu en 2017 ?

Tous ne nous rejoindront pas ! Je ne sais pas quel bilan on tirera de la Majorité citoyenne...

A quel niveau électoral situez-vous sa réussite ?

Si le projet est entendu ! Je ne peux pas mettre en chiffres...

Une présence lors du second tour ?

Pas forcément. Si je voulais à tout prix être élue, je ne serais pas chez les Verts, surtout quand je vois que les idées vertes pénètrent toutes les idées politiques : personne ne met plus en cause l'effet de serre...

Si vous êtes à moins de 10%, on risque de vite vous oublier...

Non ! On sera là. L'important, c'est la manière dont les idées sont défendues. Je serais heureuse qu'on soit présents au Conseil départemental. Marie-Olide Mainguet y est seule aujourd'hui et c'est dur. Heureusement qu'elle est ce qu'elle est, qu'elle tienne sa parole sans jamais s'énerver. J'espère qu'elle sera réélue...

Le canton d'Authumes n'est pas dans la Majorité citoyenne, mais ça y ressemble sacrément !

L'important, c'est qu'on se retrouve sur le projet.

Comment va se passer votre campagne électorale ?

On est toujours en campagne ! Pour l'instant, on travaille sur des dates et des points forts, des rencontres citoyennes, la construction des professions de foi.

Et sur le terrain ?

Il y a un temps d'organisation préalable tant qu'on n'a pas les documents. Après, on fera les cages d'escaliers, du porte à porte, des réunions publiques... Vous savez, c'est très riche toutes ces rencontres de militants de partis qui ne se connaissaient pas, avec ces citoyens qui découvrent la politique. Ce sont de sacrées rencontres culturelles, une belle aventure humaine.

Comment évaluez-vous la dynamique ?

Quand le PS nous dit que certains confondent Majorité citoyenne et Majorité départementale, cela signifie qu'on existe ! On ne rêve pas dans un truc comme ça. La preuve, c'est la Grèce...

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