Abstention, RN et LFI seraient en tête des choix électoraux « gilets jaunes » à Besançon

Cent personnes sur les 400 à 500 participants à l'acte 29 des Gilets jaunes à Besançon, ont répondu à un questionnaire sur leur choix électoral du 26 mai. Un tiers se sont abstenus, RN et LFI survolent devant UPR, EELV et PCF… LREM obtient un zéro pointé… 

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Dans le sillage des élections européennes donnant le Rassemblement National premier dans le pays et en Franche-Comté, plusieurs médias se sont attachés à pousser l’analyse au sein des « gilets jaunes. » La confirmation affichée d’un large plébiscite du vainqueur a suscité la controverse y compris au sein du mouvement, l’extension du sondage aux « sympathisants », la particularité des enjeux du scrutin, et les contrastes régionaux, pouvant en effet fortement varier les réalités et interprétations. Que livrent les manifestants présents chaque samedi à Besançon ? À l’image de la ville, un trio de tête taillé sur-mesure et beaucoup de débats...

Un sondage national, réalisé par l’I.F.O.P. la veille du scrutin, estimait que 44 % des personnes se disant proches des gilets jaunes comptaient voter pour la principale force d’extrême-droite. Largement relayé dans la presse et commenté après l’annonce des résultats, ce chiffre a provoqué la polémique. Pour les uns, ce fut la confirmation d’une tendance populiste et rétrograde du mouvement ; d’autres opposent une conclusion qui ne reflète en rien les réalités du terrain ; les derniers, enfin, résument une authenticité probable mais nuancée à l’image du reste des français.

Moins d'abstentions parmi notre échantillon

Qu’en est-il sur place et parmi les plus engagés ? D’après les manifestants interrogés à Besançon le 1er juin, c’est d’abord l’abstention qui dominerait les choix électoraux avec un peu moins de 30 %. Avec les bulletins blancs ou nuls, ce taux correspond à près du tiers de notre échantillon. Une catégorie sensiblement en tête,  exceptionnellement faible comparée aux moyennes nationales ou locales quant à elles situées autour de 50 %. Faut-il en conclure que les participants aux cortèges se seraient majoritairement mobilisés le 26 mai ? C'est ce que suggère notre enquête.

L’autre surprise c’est le tandem de tête, RN et France Insoumise au coude à coude, à une seule voix de différence, à relativiser compte-tenu de la marge d'erreur. Le parti de Marine Le Pen conforterait ici son avance, quand celui de Jean-Luc Mélenchon gagnerait près de vingt points. Sur le podium, à revers des autres échelles, l’UPR  de François Asselineau qui, si l'échantillon était représentatif du corps électoral français, aurait eu des députés européens…

Juste derrière EELV serait quatrième avec 8,45 %, une place insoupçonnée malgré une percée générale. Le PCF désormais écarté du Parlement, aurait pour sa part franchi seul la barre nécessaire à son maintien, mais ça aurait été insuffisant pour DLR (4,23 %), qui devancerait cependant une liste Les Républicains (L.R.) écrasée à moins de 3 %. Les autres concurrents n’auraient pas obtenu plus d’une approbation, y compris LREM sur laquelle aucun gilet jaune ne se serait porté…

Certains s’abstiennent et d’autres votent, mais tous luttent

Les motivations qui expliquent ces résultats sont souvent communes, la méfiance et le rejet des institutions « classiques » étant largement cités ou esquissée. Ainsi, une grande partie des abstentionnistes assume cette résolution, en plaçant sa foi dans « le concret » alors que le vote serait « au mieux inutile, au pire malsain. » On retrouve dans cette catégorie autant de jeunes « ultras » que toute une frange hétéroclite d’anciens inscrits qui se sentent « dégoûtés et trahis ». D’autres, sur la même ligne, sont moins catégoriques, arguant quant à eux de la spécificité du scrutin.

« Le vrai pouvoir est confié à une Commission qui n’est pas élue, alors pourquoi composer une assemblée grassement payée pour faire semblant », développe un interlocuteur. Certains, tout aussi peu assidus, au contraire, souhaitent « saisir l’occasion pour mettre un coup de poing sur la table », espérant renverser « démocratiquement » les fondements de « cette Union. » Convertis à l’isoloir, plusieurs encore saluent « la proportionnelle » qui « permet à chaque courant d’être représenté » ; même s'il y a quasi unanimité pour décrier un trop-plein de listes… Trente-quatre au total.

Le profil des manifestants n’est d’ailleurs pas anodin pour appréhender cette configuration, où un même front désormais commun laisse apparaître ces divergences de forme. Un participant sur deux vivrait en-dehors de l’Agglomération, en particulier dans le Jura, la Haute-Saône ou le secteur de Baumes-les Dames, des ruraux, dont le sentiment « d’abandon » rejoint souvent celui de « précarité » des plus citadins. Plus de la moitié de l’ensemble est salariée, tous dénonçant l’impossibilité de vivre décemment de son travail et de ne plus pouvoir influer sur son destin.

Ouvriers, minimas sociaux, demandeurs d’emplois, retraités, étudiants, cas de handicap reconnus et autres situations jusqu’aux sans domicile fixe, représentent un tiers supplémentaire. Une « France des petites gens » ou comment la définition du prolétariat fulmine dans toute sa splendeur. Ville marquée « à gauche » et davantage par les combats comme la Rhodia en 1967-68 et Lip en 1973 ou certaines figures vivaces dans l’imaginaire collectif à l’instar de Victor Hugo et Proudhon, Besançon ne pouvait pas mieux s’accorder en filigrane avec cet esprit rebelle et ambigu.

« Fâché mais pas facho »

Côté suffrages, le thème de l’administration et des orientations de l’Europe est capital. Les électeurs confrontent leurs revendications de justice sociale et de pouvoir d’achat à un système « de profit » dont cette « entité » serait devenu le pilier. Ainsi malgré la domination des souverainistes, les sujets liés à l’immigration ou à l’islam sont peu évoqués. La plupart des enquêtés choisissant RN insiste d’ailleurs pour rappeler un état d’esprit ouvert, dans la composition « cosmopolite » des manifs, le ralliement de la diaspora algérienne, ou encore le passage « en grande pompe » à Planoise le 9 février.

« Fâché pas facho », reprend un gilet jaune qui souhaite « le renversement d’une mondialisation réduisant le citoyen en une matière productive et interchangeable ». Les causes fiscales, environnementales et de défense du service public sont aussi abordées, mais de manière secondaire ou complémentaire. Des positions émergentes, tel le Référendum d’Initiative Citoyenne, sont citées par l’ensemble des soutiens d’Asselineau. Pour ce qui est des Républicains, sinistrés, ils semblent avoir été « dévorés » par le candidat Bardella ici préféré à son rival Bellamy.

D’autres conceptions très abordées durant la campagne se sont éclipsées des rues. Le patriotisme semble ainsi cantonné à des symboliques Marseillaises teintées d’une poignée de drapeaux tricolores, folklore sincère mais écorné persistant… Avec, entre autres, la répression policière et judiciaire, l’image de l’État-providence est supplanté par celui d’un retour à une « République de la Nation et du Peuple » loin de tout tapage. Dernier point, les listes « jaunes » ont fait un flop magistral, boudées dans leurs propres rangs « ce label ne devant servir que pour les mobilisations. »

Les interrogés apparaissent ainsi réfléchis et posés, étant 57% à exprimer une décision de conviction alors qu’un quart a émis une forme de sanction. L’opposition au président Macron, moteur du mouvement, apparaît plus que jamais l’incarnation d’une colère plus large et plus profonde. Beaucoup précisent aussi un verdict « contextuel », la perspective des municipales et présidentielles pouvant faire évoluer les choses : par exemple, certains RNistes ont concédé une sensibilité « écolo » ou d' « extrême-gauche » dans d’autres circonstances passées… et potentiellement futures.

Les urnes de la division

Les semaines précédant le dimanche 26 mai, les groupes dédiés sur les réseaux sociaux fourmillaient déjà de publications et d’échanges rudes. Certains, insistant sur un candidat ou même la nécessité de se rendre aux urnes, se faisaient ainsi vertement rappeler à l’ordre, un consensus précaire des « anciens » étant appliqué afin « d’éviter les querelles et divisions électorales en laissant le choix à chacun de faire comme bon lui semble sans pression ou injonction. » Un vœu difficilement tenable, les oppositions ne pouvant que se révéler avec le temps.

Le jeudi 25 avril par exemple, une marche nocturne était organisée dans les rues du centre-ville à la suite des annonces présidentielles du Grand débat… Pendant ce temps-là, un meeting du Rassemblement national, certes presque confidentiel, se tenait à quelques encablures. Un « clash » à éclaté lorsque des participants ont exhorté à une action spontanée, en exhumant le passif de ce parti lorsqu’il est aux affaires et son programme jugé antisocial. Ce à quoi, d’autres, hostiles à une « orientation partisane », ou encore sympathisants de Marine le Pen, ont signifié leur désapprobation.

La proclamation des résultats n’a fait que raviver les plaies tenaces. Au Kursaal où ils sont centralisés, une bonne dizaine de Gilets jaunes engagés chaque samedi s’étaient retrouvés. Si certains apprécient « une claque donnée à Macron malgré encore plus de 20 % des bulletins », d’autres affirment leur dégoût de voir côte-à-côte « la peste et le choléra. » Plusieurs voix se sont rapidement élevées en ce sens, des historiques annonçant un « break » et même « leur retrait du mouvement » considérant l’adhésion portée comme « incompatible avec les revendications scandées depuis le 17 novembre. »

Meneurs et petites mains, bien qu’eux-mêmes personnellement pris dans cet engrenage, ont conscience du risque d’explosion dans une période déjà touchée par la baisse de fréquentation. Après quelques rappels généraux sur la nécessité de ne pas se désunir « tant que [le] combat d’actualité n’est pas terminé », la poursuite est âprement discutée certains étant partisans « d’un retour aux sources », « lassés des errements hebdomadaires et des causes multiples. » Seul l’avenir tranchera des traces et suites électorales finalement laissées par et sur ce mouvement…

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