La Conférence régionale de la santé et de l'autonomie, considérée comme le parlement régional de santé et composée de 91 membres représentant 8 collèges, a rendu un « avis définitif favorable » sur le Projet régional de santé lors de sa séance du 26 avril. C'est ce qu'on peut lire sur le site de l'Agence régionale de santé depuis vendredi 11 mai.
Il faut rentrer dans le texte pour réaliser que cet avis est assorti de réserves. Si la CRSA « approuve les orientations et objectifs » du PRS, elle le trouve « peu lisible » et « regrette que l’absence de chiffrage financier ne permette pas de dégager les priorités ». Surtout, elle ne cache pas son inquiétude quant à l'offre de soins : « Les services de santé participant à l’aménagement du territoire, la CRSA sera vigilante à ce que certaines actions de transformation ou d’évolution de ces services prévues dans le PRS n’aient pas de conséquences sur les autres services ou activités offerts à la population. » Elle relève aussi les limites des « technologies innovantes » et assure qu'elle sera « attentive à ce que [leur] déploiement n’aggrave pas la problématique de la raréfaction de l’offre ».
Ce que le site de l'ARS ne précise pas non plus, c'est que cet avis n'a obtenu qu'une très relative majorité : 27 voix pour, 25 voix contre, 16 abstentions et une non participation au vote... Soit un total de 69 votants potentiels pour une assemblée de 91 membres, réunie publiquement mais sans tambour ni trompette. Et encore a-t-il fallu deux votes pour parvenir à ce résultat, un premier scrutin ayant débouché sur une égalité parfaite de 25 pour et 25 contre.
« C'était bizarre, il y a eu plus d'électeurs la seconde fois alors que des gens étaient partis entre les deux votes. C'est du grand n'importe quoi », estime Pascale Letombe qui siège pour la CGT à la CRSA. « On n'a pas été nickel sur la démarche. On a eu 69 voix alors qu'on pensait en avoir 67 », admet Claude Michaud, responsable du département PRS, parcours et démocratie en santé à l'ARS, en expliquant que tous les pouvoirs n'avaient pas été enregistrés...De quoi former un recours ? « Ça ne servirait à rien sur un avis consultatif, si ce n'est à alimenter une polémique », tranche Pascale Letombe.
Rafale d'avis défavorables
Quoi qu'il en soit, 27 voix pour, c'est moins de 30% des « parlementaires de santé » qui ont approuvé le PRS alors que 51 d'entre eux sur 91 sont désignés par le directeur général de l'ARS, certains directement, d'autres après appel à candidature ou sur proposition d'une instance professionnelle. Le quorum était cependant atteint avec 47 ou 48 présents dont une vingtaine avec un pouvoir, souligne Claude Michaud en précisant : « c'est comme ça dans toutes les ARS... »
Ce glorieux résultat fait suite aux avis défavorables adoptés par plusieurs collectivités dont le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, six départements (Jura, Haute-Saône, Côte d'Or, Nièvre, Saône-et-Loire, Yonne), la majorité d'une vingtaine (pour l'instant) de communautés d'agglos ou de communes... Des avis défavorables et/ou des réserves émanent aussi des CDCA
Quoi qu'il en soit, ces avis consultatifs n'ont aucun caractère coercitif. Le Projet régional de santé devrait donc être arrêté en juin par le directeur général de l'ARS, Pierre Pribile, officiellement « après examen de ces différents avis ». Il doit recevoir, vendredi 18 mai, une délégation des comités de défense de services hospitaliers de proximité qui ont prévu de se rassembler sous ses fenêtres. Tiendra-t-il compte de la mobilisation qui vient après des dizaines de manifestations ? On verra...
Une quatrième version du PRS attendue à l'automne...
La veille, ce jeudi 17 mai, le Luron Michel Antony, aura répété ses arguments lors d'une audition à l'Assemblée nationale devant la commission d'enquête sur « l'égal accès aux soins des Français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain ». Et dans trois semaines sa ville accueille la 29e rencontre de la Coordination nationale qui réunit les comités locaux de défenses des services hospitaliers de proximité : urgences, maternité, petite chirurgie, etc.
On n'en aura cependant pas encore fini avec le Projet régional de santé. Après la première version, présentée le 5 juillet 2017 et qui n'avait rencontré que deux oppositions à la CRSA (CGT et FO), puis les versions 2 et 3 (l'actuelle), une quatrième version est annoncée pour l'automne, tenant compte de la « stratégie de transformation du système de santé » lancée en février par le gouvernement. Comme le budget de la Sécurité Sociale est, in fine, du ressort du Parlement qui doit en débattre à la fin de l'année, on ne s'étonne pas que rendez-vous soit donné pour la rentrée afin d'encore peser sur les décisions.
« On sent une prise de conscience plus politique depuis quelques mois », souligne Pascale Letombe (CGT) en rapportant que plusieurs membres de la CRSA ont « demandé au directeur général de l'ARS d'interpeller le ministre ». Vendredi 18 mai, elle sera à Dijon tout en regrettant d'avance l'absence de militants CGT... Ce qui renvoie à l'analyse de Michel Antony (encadré plus bas) sur la difficulté de la convergence des luttes...
Michel Antony : « faire sauter le verrou de la liberté d'installation des médecins »
Représentant de la coordination nationale des comités de vigilance pour le maintien des services publics de proximité, l'historien luron est auditionné le 17 mai sur les déserts médicaux par une commission parlementaire.

Comment s'annonce le rassemblement de vendredi 18 mai devant l'ARS ?
Onze ou douze localités seront représentées, mais certains comités font l'apprentissage de l'autonomie, me demandent de louer des cars pour eux ! Il devrait y en avoir deux de Saint-Claude, trois de Montceaux-les-Mines, deux de Clamecy, du covoiturage d'ailleurs... Il y aura au moins 300 personnes, l'appui de la CGT, du PCF, du PS, de la France insoumise qui ont diffusé l'information dans leurs réseaux...
Vous avez une audience avec le directeur général de l'ARS, ce n'était pas prévu...
On l' a eu à la dernière minute. Ils ne peuvent pas refuser. Ça prend de l'ampleur, des collectifs n'ont jamais eu de réponse après leur demande d'entrevue. J'espère que le mouvement de Bourgogne-Franche-Comté fera des émules ailleurs. Il y a malheureusement des gens dans les mouvements associatifs qui ne savent pas analyser les rapports de force...
Comment la voyez-vous ?
Il y a une pression de l'ensemble des élus, la montée de référendums d'initiative populaire, comme dans la région de Clamecy où une cinquantaine de communes sont parties prenantes. Ils auront du mal à imposer leurs choix. Ils ont d'ailleurs commencé à aménager le schéma...
Avec tous les mouvements qui traversent le pays, la santé est-elle une priorité, notamment des médias ?
Elle s'instaure comme priorité, même à Strasbourg, les gens n'attaquent pas les urgences à la différence des politiques qui sautent là-dessus pour fermer. L'association des maires ruraux nous soutient...
Marie-Guite Dufay paraît aussi convaincue...

Depuis peu. Cela fait dix ans qu'on la travaille. Elle était hostile aux centres de santé, elle les défend aujourd'hui. Son évolution est fantastique sur la liberté d'installation. Quand les élus ne sont pas dérangés par des mouvements base, ils n'avancent pas. Eric Houlley à Lure, Claudy Clauvelot-Duban à Gray, ont fait un bien fou...
Ça a paru difficile de faire converger les comités locaux ?
Oui, mais on a amené des gens à se rencontrer, se mettre ensemble...
N'y a-t-il pas une difficulté à relier local et global ?
Je ne suis pas très optimiste. Aujourd'hui, on est plutôt dispersé, les vieilles maisons sont dans leur aspect boutiquier : si elles ne sont pas à l'origine d'un mouvement, elles n'y vont pas... Dans tous les mouvements, l'unité et la convergence sont peu dans les têtes. L'emprise des milieux dirigeants fait plus de dégât que de bien, apparaît récupérateur. Pour notre grand mouvement du 23 juin, le soutien est du bout des lèvres, ou n'existe pas. C'est épuisant. Heureusement, à la base, ça se passe mieux. Le train, la santé, les services publics permettraient de renforcer tout ce qu'on a en commun. Mais ça bouge : FO finances m'a demandé de travailler sur la question, la CFDT de Gray est pleine de vigueur sur l'hôpital, les SUD sont les plus ouverts, mais trop minoritaires pour faire contrepoids, la CGT nous appelle quand elle a besoin de nous...
Vous êtes reçu ce jeudi à l'Assemblée nationale pour parler déserts médicaux. Vous avez un espoir ?
Non. Ils sont tous culotte baissée devant le lobby des médecins. Ils sont tous conscients qu'il faut prendre des décisions, mais ils ne remettent pas en cause la liberté d'installation. Tant qu'on ne fera pas sauter ce verrou, on n'arrivera à rien. Je suis content que le docteur Laine, un médecin libéral qui a mis son cabinet en vente sur leboncoin, soit à nos côtés...
Aurez vous le temps de vous exprimer à l'Assemblée nationale ?
On a cinq minutes de présentation par association, puis un débat de trois heures. Il y a des élus qui pensent comme nous. Un rapport du Sénat dit qu'il faut nommer les spécialistes comme des fonctionnaires...
Vous espérez des avancées budgétaires ?
On voudrait les amener à prendre en compte les deux points qu'on ne peut pas dissocier : le budget et la proximité. Quand on ferme ici, c'est le centre qui souffre. Mais ils n'osent pas attaquer les lobbies et les corporations...