Vesoul se débarrasse de ses emprunts toxiques au prix fort

Contractés par Alain Joyandet en 2007 auprès de Dexia, indexé pour l'un au franc suisse, ces deux emprunts ont été renégociés par Alain Chrétien avec l'aide du Fonds de soutien de l'Etat. Le communiste Frédéric Bernabé se scandalise qu'après huit ans de remboursement, la ville emprunte aujourd'hui près de 13 millions pour avoir emprunté 11 millions en 2007...

Alain Chrétien : « « nous débarrasser des emprunts Dexia sans augmenter les impôts ni baisser l'investissement ». Ph DB

Le 20 juin 2007, la ville de Vesoul contracte deux emprunts structurés auprès de Dexia. L'un de 5 millions d'euros, l'autre de 6 millions. Le premier est « hors charte », c'est à dire qu'il figure dans la classification Gissler parmi les emprunts les plus risqués parce que basé sur une matière première, comportant un multiplicateur supérieur à cinq ou encore libellé en devise, en l'occurrence le franc suisse. Sa « structuration » n'entrait en vigueur qu'après six années de taux fixe à 4,11%. Le second est classé 3E, c'est à dire que la formule de calcul du taux, à partir de la deuxième année, comprend un multiplicateur allant jusqu'à cinq.

Voir ici une note du CAC, le collectif pour un audit citoyen de la dette, expliquant ce qu'est la classification Gissler.
On pourra aussi lire le rapport d'enquête parlementaire sur les « produits financiers à risques souscrits par les acteurs publics locaux » de 2011.

A l'époque, le maire s'appelle Alain Joyandet et son successeur Alain Chrétien est adjoint à l'urbanisme et au logement. C'est lui qui a reçu mercredi 28 mai du conseil municipal, réuni en séance extraordinaire, l'autorisation de signer un protocole transactionnel avec les trois banques ayant repris les actifs de Dexia après sa chute. Cela signifie que les deux emprunts ont été renégociés et seront remplacés par deux emprunts classiques et une participation du Fonds de soutien de l'Etat.

Un emprunt « litigieux », un autre « sensible »...

Entre temps, les deux emprunts structurés ont été partiellement transférés à la communauté d'agglomération. Peu après, ils se sont révélés toxiques, quand le franc suisse s'est envolé. Et les remboursements ont bondi en 2013 et 2014. Comme ils représentaient 40% du stock d'emprunts de la ville, les finances communales l'ont senti passer : 1,2 M€ d'intérêts d'emprunts en 2013 au lieu de 0,9 M€ les trois années précédentes, 1,4 M€ cette année. Comme de nombreuses collectivités, la ville a saisi la justice, il y a deux ans, pour faire annuler le premier emprunt « litigieux », et considère que le second est « sensible » car « entaché de certaines irrégularités susceptibles d'en affecter la validité ».

Le protocole transactionnel, qui précise que les parties restent sur leurs analyses respectives, prévoit un règlement amiable du différend, l'abandon des procédures judiciaires par la ville, et donc la contractualisation de deux nouveaux prêts, de 11 et 4 M€ à un taux fixe maximal de 3,60% : le taux précis sera celui de l'instant de la signature du contrat, le 5 juin à 11 heures 02... La ville en profite pour emprunter 2 millions de plus. Elle devra cependant payer une indemnité compensatoire, au titre du remboursement anticipé, de 5,8 millions ! Alain Chrétien enlève les 2 millions d'emprunt en plus pour arriver à 3,8 millions...

Ce faisant, renonçant aux procédures judiciaires afin de percevoir l'aide de l'Etat, la ville renonce à une éventuelle condamnation de la banque pour défaut de conseil.

Alain Chrétien : « Grâce au gouvernement, nous voilà débarrassés de Dexia »

L'adjoint aux finances Jean-Jacques Legay a présenté le réaménagement de la dette sous son meilleur jour. Il fait passer le niveau des intérêts de 82 € par habitant cette année à 58 € l'an prochain. Mais rien sur les années d'avant la hausse vertigineuse.

Alain Chrétien voit surtout dans la décision du conseil municipal le moyen de « nous débarrasser des emprunts Dexia sans augmenter les impôts ni baisser l'investissement, en diminuant l'annuité de la dette et en assainissant durablement notre collectivité ». Il conviendra un instant plus tard que la diminution de l'annuité de la dette est en fait « un retour au taux d'avant crise de 2008-2009 ». Il assure aussi avoir « comme député obtenu que l'Etat agisse fortement sur le sujet des emprunts structurés qui touchent 3000 collectivités... Je l'admets, grâce au gouvernement et à Christian Eckert, nous voilà débarrassé de Dexia par un projet transpartisan ». Un argument qu'il invoque pour réclamer l'unanimité de l'assemblée qu'il verrait comme « un signal fort » mais qu'il n'obtiendra pas.

Porte parole du groupe socialiste, Odile Collinet ironise : « en découvrant l'ordre du jour, ma première réaction a été de penser : enfin ! » Elle fait un peu d'histoire immédiate : « lors de la précédente mandature, lorsqu'on alertait sur les emprunts, au mieux on nous répondait qu'ils étaient bons pour la ville, au pire, on avait un sourire accablé nous renvoyant à notre incompétence ». Quant à la renégociation, elle trouve « énorme » le nouveau taux de 3,60% : « on peut réemprunter à bien moins. « Énormes » sont aussi à ses yeux les pénalités.

Frédéric Bernabé : « Vous donniez l'impression d'être des prix Nobel d'économie ! »

Le communiste Frédéric Bernabé est du même avis mais va au fond de l'affaire, ces « taux variables spéculatifs indexés sur le franc suisse, comme une action qu'on joue en bourse. Il refuse « ce conte de fée » selon lequel « il y avait une dette qui disparaît » et met en exergue les chiffres qu'il estime significatifs : « on a emprunté 11 millions en 2007, huit ans plus tard, le capital restant dû est de 7 millions et vous nous proposez d'emprunter 14,9 millions, dont 2 pour investir qu'on peut déduire, pour rembourser 7 millions ! La différence correspond à l'indemnité compensatrice de remboursement et est prise en charge par le fonds de compensation de l'Etat qui nous donne 4,2 millions : les banques ont la belle vie ! A part ça, personne ne paie ! C'est incroyable, la dette est diminuée parce que l'Etat se substitue. Il y a un problème moral : ce n'est pas normal que les collectivités soient pénalisées, même s'il était aventuriste d'aller dans cette voie alors que vous donniez l'impression d'être des prix Nobel d'économie ! Après huit ans de remboursement, la ville doit aujourd'hui 12,9 millions pour avoir emprunté 11 millions en 2007 ! C'est scandaleux que les banques ne mettent pas la main à la poche. Les responsables sont les banques. Ceux qui ont amené à cette situation devraient payer ».

Alain Balandier (colistier d'Odile Collinet) pointe le « manque de cohérence » consistant à transiger après avoir entamé une procédure judiciaire. Et critique sévèrement : « de quelque façon que vous l'habilliez, vous ne pouvez masquer le risque pris, une erreur de gestion grave et lourde. Qu'elle ait été partagée par d'autres collectivités ne vous exonère en rien... Ces inconséquences vont coûter à la ville et au fonds de soutien ! Quand des collectivités obtiennent des taux de 1,6%, c'est qu'on n'accorde peu de crédit à Vesoul ».

A ces critiques, Alain Chrétien ne répond pas. Seulement qu'il ne fallait pas renégocier trop tôt pour bénéficier du fonds de soutien. Il répète que le programme d'investissement se poursuivra au même rythme de 2,2 à 2,5 millions par an.

Résultat du vote : 27 pour (la droite), 4 abstentions (Vesoul avec vous (PS) et Vesoul Autrement), 2 contre (PCF).

 

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