Vingt ans que François Mitterrand est mort

Il y a vingt ans s'éteignait le dernier dirigeant français ayant été acteur de la Deuxième guerre mondiale. Grandi à droite, il a assumé la répression en Algérie avant de symboliser la critique la plus radicale contre la Cinquième république puis de la prendre par la gauche et de s'en servir.

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Nous sommes un an après les attentats de Charlie, de l'Hyper Cacher et du meurtre de Clarisse Jean-Philippe... Mais aussi vingt ans après la mort de François Mitterrand... J'ai appris sa disparition dans le bureau du directeur de l'office HLM de Besançon. Un coup de fil avait interrompu l'interview. Un appel sur son téléphone à fil. C'était avant le téléphone portable, avant l'internet de masse... Quand il avait raccroché, un silence s'était installé. L'émotion l'empêchait de parler. Puis il a lâché : « Tonton est mort ».

François Mitterrand en meeting à Besançon quelques jours avant son élection en 1981.

 Vingt ans, presqu'une génération. Il y a vingt ans, s'éteignait le dernier dirigeant du pays ayant été acteur de la Deuxième guerre mondiale, passant de Vichy à la Résistance. L'homme avait grandi à droite et débuté sa carrière ministérielle au centre. Ministre de l'Intérieur, il avait assumé la terrible répression du soulèvement algérien : « L'Algérie, c'est la France », dira-il le 12 novembre 1954 devant les députés... Ministre de la Justice peu après, il assuma de nombreuses condamnations à mort. Il a traversé le désert en personnifiant l'opposition à De Gaulle et à la Cinquième république présentée comme un régime de « coup d'Etat permanent ». La critique est plus que jamais d'actualité. Il s'était coulé dans l'air libertaire des années 60 et 70 qui emporta les représentations fossilisées et les rigidités morales du patriarcat politique, mais il rata son rendez-vous avec mai 1968. C'était l'époque où les inventeurs de Charlie osaient tout, se moquaient de l'église et du parti communiste, de la police et de l'armée. Se faisaient interdire, défendaient l'énergie solaire avant l'heure.

Mitterrand surfa sur l'enthousiasme qui accompagnait des débats politiques pas encore verrouillés par l'audimat. Il fut l'avocat de pionniers des radios libres que le pouvoir poursuivait. Des foules en liesse accompagnèrent son élection le 10 mai 1981. A Besançon, le maire Robert Schwint tentait de s'adresser à la marée humaine de la place du 8 Septembre perché sur le camion du CCPPO, mais personne ne l'entendait. On dansait dans un bal improvisé animé par la fanfare Léa Traction dont sont issus les fondateurs du Cirque Plume. Une étudiante frappait à la vitre d'un automobiliste coincé dans cohue et faisant la gueule : elle lui tendit une pièce en lâchant, moqueuse : « Tenez, vous n'avez pas tout perdu... » Il avait souri.

Peu auparavant, le président élu avait tenu l'un de ses derniers meetings de campagne au Palais des sports de Besançon. Au premier rang, Jean Minjoz, son successeur Robert Schwint, et un jeune homme qui montait dans le PS, Jean-Pierre Chevènement. La proximité des sympathisants, assis par terre à quelques pas, parait incroyable aujourd'hui. C'est peut-être ça, le désenchantement politique, du moins une de ses images.

Ma génération a eu vingt ans à une période où le progrès social, humain, se poursuivait. Il ne fut pas que l'apanage de la gauche, loin s'en faut. C'est sous De Gaulle que les femmes epurent ouvrir un compte en banque sans autorisation de leur mari, que la pilule fut légalisée. C'est sous Giscard que Simone Veil et Jacques Chirac firent voter le droit à l'avortement. Ces avancées venaient vingt ans après qu'un obstétricien communiste eut introduit à Suresnes la méthode de l'accouchement dit sans douleur, née en URSS. Sous Mitterrand, on libéra les ondes, pas toujours pour le meilleur. On stoppa le projet d'extension du camp militaire du Larzac. Les lois Auroux introduisirent un peu plus de démocratie sociale dans les grandes entreprises. L'abolition de la peine de mort mit fin à une honte nationale.

Et puis plus grand chose. Les institutions honnies récupérées. L'inutile coup tordu du Rainbow Warrior. La poursuite de la Françafrique. La courte échelle à Bernard Tapie et Sylvio Berlusconi. Un éclair d'humanité à Sarajevo assiégée. La participation à la Première guerre du Golfe. Une victoire à la Pyrrhus sur le traité de Masstricht. Un compromis avec l'Allemagne s'avérant désastreux pour l'Europe en la mettant sur les rails de l'ultralibéralisme, annonçant la résistible montée de l'extrême droite et la lente agonie du socialisme à la française.

François Hollande a fait ses armes à ses côtés. François Mitterrand aura toujours tenté, même dans les pires moments de défiance, de s'adresser aux électeurs de gauche. C'est peut-être ce que son fantôme a suggéré à l'actuel président venu se recueillir sur sa tombe.

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