Varoufakis compare le « printemps d’Athènes » au Printemps de Prague…

Le 21 août 1968, les chars soviétiques mettaient fin à l'expérience tchécoslovaque de communisme à visage humain. Pour l'ancien ministre grec de finances, invité d'Arnaud Montebourg à Frangy-en-Bresse, la seule différence, c'est que Syriza a été écrasée par des banques...

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« Le spectre de la démocratie hante l'Europe. » Yanis Varoufakis à Frangy-en-Bresse paraphrase d'emblée la première phrase du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels de 1848 : « Un spectre hante l'Europe, le spectre du communisme... » L'ancien ministre des finances grec ajoute, pour bien se faire comprendre : « Je suis ici parce que notre printemps d'Athènes a été écrasé comme le Printemps de Prague, pas par des chars mais par des banques... »

Ainsi, il établit le parallèle entre le totalitarisme stalinien et ce qu'il estime être le totalitarisme de la concurrence libre et non faussée qui sert de « mantra » aux ultra-libéraux. Professeur d'économie ayant enseigné en Australie, en Écosse et au Texas avant d'être le député le mieux élu de Syriza, il cite aussi le dramaturge allemand Bertold Brecht : « Pourquoi envoyer des assassins quand vous pouvez envoyer des greffiers ? Pourquoi envoyer les chars quand vous pouvez envoyer la troïka ? »

Mille deux cents repas ont été annoncés par les organisateurs de la Fête de la Rose. Parmi les participants, de nombreux Franc-comtois, le Jura étant à quelques kilomètres de Frangy qu'arrose la Seille, rivière prenant sa source dans les reculées de Baume-les-Messieurs et Ladoye... Sans être exhaustif, il y avait le premier secrétaire fédéral du Jura, Marc-Henri Duvernet, la conseillère départementale de Bletterans Danièle Brûlebois, le leader de la motion B Jean-Marc Gardère, des socialistes du Haut-Doubs comme Gérard Guinot ou l'ancien conseiller général Christian Bouday, l'élu municipal bisontin Emmanuel Dumont... 

Le ton est donné. C'est celui qui aura irrité au plus haut point les ministres des finances de l'euro-groupe qui l'ont accusé d'arrogance. Devant le millier de participants de la 43e fête de la rose de Frangy qui ont bravé la pluie, il résume les cinq mois d'une impossible négociation avec ceux qu'il pensait être ses partenaires et se sont révélés à ses yeux comme les fossoyeurs d'une espérance (les grandes lignes sont dans Le Monde diplomatique d'août, ici).

« Le plus beau cadeau à faire au parti communiste chinois »

« Quand le ministre allemand a dit que les élections ne peuvent rien changer, j'ai dit : si c'est vrai, il faut le mettre dans les traités européens avec une clause disant que la démocratie est suspendue. Si ça ne change rien, pourquoi faire des élections ? Et dans les yeux, je lui ai dit : est-ce ce que veulent nos peuples ? Ce serait le plus beau cadeau à faire au parti communiste chinois... Imaginez le silence qui a suivi mes paroles ».

Régulièrement applaudi, Yanis Varoufakis prévient : « la Grèce est un laboratoire de la puissance destructrice de l'austérité. C'est vous, la France, la question de base pour la troïka. Les créanciers ne veulent pas leur argent, mais des réformes! S'ils voulaient leur argent, ils auraient accepté de discuter notre programme. Ils voulaient notre capitulation... L'Europe dont j'avais rêvée devient une cage de fer partagée... Dans l'Eurogroupe, quand le médicament tue le patient, on augmente le dose... 91% des fonds reçus par la Grèce depuis 2010 sont allés aux banques ! Savez-vous combien des 80 milliards du dernier plan vont aux hôpitaux, à la santé ou à l'éducation ? Zéro ! »

Il multiplie les anecdotes et les exemples. Explique ne jamais avoir pu débattre du programme de Syriza. Conclut : « ce qui nous est arrivé commence à vous arriver, à vous... »

Plan B

Varoufakis est aussi là pour tenter de construire une alternative. Il était avec Jean-Luc Mélenchon à la gare de Lyon avant de venir à Frangy. Il a été question d'une rencontre européenne des tenants d'un « plan B » pour l'Europe. Il est sur l'estrade aux côtés d'Arnaud Montebourg et d'Aurélie Filipetti. Il lance : « l'élite française est autant à blâmer que l'élite allemande... » Il reproche à Mitterrand et Delors d'avoir « trahi la gauche » en 1983 en « sacrifiant le niveau de vie d'une ou deux générations de la classe ouvrière ».

Il défend une « nouvelle coalition paneuropéenne : nous les démocrates d'Europe devons former un réseau, un programme commun autour de quatre grands enjeux : la dette, les banques, l'investissement, la pauvreté. Les Européens doivent gérer ensemble leurs dettes, les banques doivent être sous juridiction européennes, il faut un plan de reprise économique car nous avons besoin d'investissements productifs et non spéculatifs, il faut utiliser les bénéfices comptables pour lutter contre la pauvreté des Européens... ». Il revendique le soutien de Michel Rocard pour « limiter l'impuissance des parlements nationaux ».

Le scepticisme des militants vis à vis du gouvernement

Auparavant, Arnaud Montebourg avait planté un décor local d'union de la gauche, loué la « fidélité de Frangy à une terre et une histoire où les ouvriers et les petits paysans savent ce qu'est travailler dur... » Il cite Waldeck Rochet et Pierre Joxe. Le petit fils du premier est sur la fête. Le second l'a lancée en 1972...

L'union n'est pas l'unité. Si Marie-Guite Dufay, la présidente de la région Franche-Comté, tête de liste socialiste de la future grande région est là, à partager le déjeuner, elle n'est pas sur l'estrade. Dans les travées de la fête, quand on demande aux militants et sympathisants s'ils considèrent que le gouvernement mène une politique de gauche, pas un ne répond oui. Beaucoup grimacent, font des mimiques dubitatives, ou disent carrément non.

Comme Emmanuel Dumont, conseiller municipal à Besançon. Comme Magali, Jurassienne installée en Picardie venue spécialement pour Varoufakis : « c'est le seul mec qui l'a ouvert et résisté, le seul espoir en Europe ». Comme cette fidèle bénévole bressane qui participe à la confection des assiettes de salade. Guy, qui les emmène sur des plateaux là où elles seront mangées, est-il au PS ? « Oui, peut-être... Je n'ai pas voté au congrès ! Par mécontentement ». A la préparation des entrées, une jeune retraitée constate : « comptez les actifs ! Y'a davantage de retraités ». Qu'est-ce qui motive les militants ? « Il faut toujours croire en quelque chose... Frangy, c'est une grande famille, l'amitié... »

« On s'adapte, en tout cas, je garde mes convictions »

Corentin, 22 ans, est un jeune actif, conducteur d'engin dans les travaux publics : « je suis bénévole pour l'ambiance, je ne m'intéresse pas à la politique... » Vote-il ? « Oui ». A gauche ? « Je vote... » Il connaît Montebourg, mais pas Varoufakis... Sa voisine revendique « des convictions bien ancrées à gauche ». Se retrouve-t-elle dans l'action du gouvernement ? « On s'adapte, en tout cas, je garde mes convictions ».

André Boudier, artisan en retraite depuis vingt ans, est « mitigé » : « j'ai toujours voté socialiste, je n'ai jamais été déçu par Mitterrand. Je fais confiance à François Hollande : comme un bon pêcheur, il est patient et ferre quand la touche est là... Mais Valls et Macron, je ne suis pas d'accord... » Roland Gillet « socialiste de toujours » ne « sait plus » si le gouvernement est toujours à gauche, mais il en est certain : « Arnaud, c'est un pote ! L'an dernier, il en a trop dit, il y a eu un trafalgar avec Valls... Je ne sais pas si je vais voter Hollande s'il se représente... »

A la tribune, Arnaud Montebourg n'aura pas ces précautions. « On vote à gauche et on se retrouve avec le programme politique de la droite allemande ! » Il a deux propositions. La première est de forme : « ce n'est pas être anti-européen de dire que quelque chose ne fonctionne pas dans l'Union européenne : il faut abandonner ou refonder ce qui ne marche pas comme l'union monétaire ou le traité de Maastricht... » La seconde touche au fond : « on ne sauvera pas l'union sans impliquer les peuples sinon ils n'en voudront plus : il faut donc un contrôle démocratique sur l'oligarchie. La zone euro doit pouvoir nommer l'exécutif et contrôler la banque centrale qui doit faire évoluer son mandat ».

Des travaux d'Hercule, précise-t-il en riant avant de passer le micro à Varoufakis : « nettoyer les écuries d'Augias, étouffer le lion de Némée, tuer l'hydre de Lerne à neuf têtes... »

L'un de ces douze travaux consistera-t-il à réussir à ce que le PS organise une primaine à laquelle l'ancien ministre du redressement productif se présenterait face à François Hollande. Il n'en dit rien, mais ses amis des Nouveaux Partisans s'activent pour populariser cette perspective. L'occasion leur est donnée lors d'un débat sur la boussole politique nécessaire aux jeunes européens. Son président d'honneur et fondateur, Baptiste Heintz-Macias, alsacien-catalan, conseiller municipal à Ilkirsch-Grafenstaden, l'enrobe dans un projet contenant la 6e république, l'« unité continentale », la sauvegarde des « libertés civiles et numériques ».

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