Une université d’été « contre le libre-échange et pour l’utopie »

La conférence d'ouverture de l'université d'été des mouvements sociaux et de la solidarité internationale a donné le ton mercredi à Besançon avec une histoire de l'utopie, ses enjeux actuels et des témoignages : Lip, la souveraineté alimentaire au Togo, le mouvement des sans terre au Brésil...

attac

C'est un événement politique et social national qui se tient quatre jours à Besançon, mais ça n'a pas l'air d'émouvoir plus que ça la ville dont le maire marche avec Emmanuel Macron. C'est l'adjoint au commerce et au tourisme, Thierry Morton, qui vient dire un gentil mot d'accueil. Il fait le job en présentant une cité toujours « entre passage, coopération et autonomie » qui inventa une sorte de RMI municipal bien avant qu'un Premier ministre nommé Michel Rocard s'en inspire pour l'étendre au pays...

L'élu évoque Lip, la « tradition d'un socialisme particulier » qui fait que « l'eau est toujours en régie ». Le parterre de militants altermondialistes venus de partout apprécie. Il les invite à visiter le « deuxième secteur sauvegardé de France ». Ils seront sans doute un peu moins convaincus par l'urbanisme local en rejoignant à partir de jeudi le campus de la Bouloie, d'autant que M Morton dit que Besançon n'est « pas une ville béton » - ce qui n'est pas tout à fait vrai - et qu'elle a « toujours réfléchi sur son mode de développement », ce qui est vrai, même si elle doit aujourd'hui davantage faire face aux forces du marché en matière d'aménagement...

 « Agir c'est combattre »

En fait, la ville alloue généreusement 2000 euros à l'université d'été des mouvements sociaux et de la solidarité internationale quand la région soutient à hauteur de 40.000 euros. La dernière université dété d'Attac s'était tenue à Rennes qui avait assumé son statut de capitale régionale... C'est d'ailleurs un Nivernais, Hicham Boujlilat, bien dans son rôle de conseiller régional délégué à la coopération et aux solidarités internationales, qui est venu dire un mot au nom de la nouvelle collectivité. Signataire de la motion B - celles des frondeurs - lors du dernier congrès du PS, il n'est pas gêné pour critiquer « la volonté de domination qui a pris le dessus sur le vivre ensemble » et citer Proudhon : « agir c'est combattre ». Cela réjouit le président du CRID, Vincent Brossel : « ce n'est pas tous les jours qu'un conseiller régional cite Proudhon... »

Le budget resserré a conduit à supprimer les animations, notamment musicales, explique Patrice Bernard, le président de Recidev, le réseau bisontin de solidarité internationale créé il y a une vingtaine d'années. Il rappelle d'ailleurs une entrevue avec le maire d'alors, feu Robert Schwint : « On lui avait parlé de développement durable, il nous avait répondu "ça ne marchera jamais" ».

Une « période difficile »

Un instant auparavant, Dominique Pillhon, porte-parole national d'Attac, parle d'emblée de « période difficile » qui doit inciter à « mettre nos valeurs en avant ». Car face à la « crise globale qui frappe les plus faibles, heureusement que les mouvements sociaux se développent, porteurs d'espoirs et de changements, contre le libre-échange et pour l'utopie ».

La première conférence est donc consacré à l'utopie, mais aussi aux utopistes comtois dont l'historien Michel Antony s'est fait une spécialité. Qu'il s'agisse de personnalités, connues comme Fourier et Proudhon, ou moins comme la sculpteure Marie-Louise Gagneur ou Jenny d'Héricourt qui « tailla des croupières » au machisme du théoricien de l'anarchisme. Antony évoque aussi les traditions populaires utopistes, des fruitières aux fraternelles, du syndicalisme révolutionnaire aux expériences autogestionnaires de la communauté de travail du Bélier à Lip et l'Epée à Sainte-Suzanne... Il n'oublie pas les rôles culturels du CCPPO et des groupes Medvedkine.

« Il y a l'utopie sympa et l'utopie crasse... »

Il célèbre aussi les 500 ans du mot utopie inventé en 1516 par Thomas More, mais assure que « l'histoire de l'utopie est de toutes les époques », de Platon et plusieurs courants de l'Islam à Krotopkine au XIXe ou David Graeber aujourd'hui. Michel Antony sait bien que l'utopie change de sens selon l'époque, de l'illusion à la déconsidération, de la transcendance au totalitarisme... Aujourd'hui, elle est « positive : nous avons besoin de rêver pour avancer », mais il rester vigilant : « il y a l'utopie sympa et l'utopie crasse comme les utopies sectaires, élitistes, ploutocrates ou nationalistes... »

A Besançon, c'est l'utopie qui mobilisa les salariés de Lip. Charles Piaget vient raconter l'histoire, expliquer qu'elle vient de loin, d'un travail syndical militant consistant à passer 90% du temps à « construire des forces ensemble, sans hiérarchie ». Plus de quarante ans après, il est dans la même optique : « il ne s'agit plus de rassurer les marchés, mais d'en prendre le contrôle ». Il voit plus loin encore : « il faudra abolir le contrat de subordination qu'est le salariat, le salariat n'est pas la fin de l'histoire ».

« Tout n'est pas possible »

Enseignante d'économie à Toulouse, ancienne porte-parole d'Attac, Geneviève Azan dit son émotion de parler après lui : « Lip et le Larzac ont été formateurs pour notre génération... La résistance, la désobéissance et la dissidence sont les trois piliers des alternatives ». Ces alternatives qui viennent donc après les utopies qu'on a pensées, qu'il faut « penser à partir de l'irréversibilité ». Il y a donc des utopies à « déconstruire », celles de la technologie, de la « refondation du monde » parce que « tout n'est pas possible ».

Elle propose de « reprendre en main tout ce qui est à notre portée » et de bien considérer que « ce qui s'effondre, c'est le monde de la finance, pas nos utopies concrètes ». Elle dénonce « l'économie verte » qui est une manière pour le capitalisme « d'intégrer la contestation et de la vider de tout sens politique ». Elle en conclut à la nécessité de « construire des alternatives systémiques » car « on ne peut pas partager un gâteau empoisonné  ». Elle voit dans le slogan issu de Nuit debout « nous n'avons rien à revendiquer », une formule « profondément subversive ». Tata Yawo Ametoenyenou

« Concrétiser la souveraineté alimentaire pour les citoyens »

Tata Yawo Ametoenyenou

Tata Yawo Ametoenyenou, président de l’organisation d’appui à la démocratie et au développement local au Togo, explique la très concrète éducation des consommateurs urbains à « préférer des produits locaux aux produits importés. Mon utopie, c'est concrétiser la souveraineté alimentaire pour les citoyens ». Le cheminement comporte de nombreuses étapes, passe par un travail sur les mentalités, la création d'une boutique-bar-restaurant, un travail sur les étiquettes, la lutte contre une « séquelle de la colonisation qui fait qu'on est persuadé qu'on ne peut rien faire de bon »...

Jade Percassi

Jade Percassi, du Mouvement brésilien des paysans sans terre, décrit une situation dont la grande presse parle peu depuis que le vice-président assure l'intérim de Dilma Roussef : « en un mois, trente décrets ont détruit le résultat de 30 ans de lutte pour l'éducation, la santé, le droit du travail... Des politiques publiques ont été suspendues dans les campagnes, comme les subventions à la production alimentaire ou l'alimentation... Des terres occupées par des paysans ont été réintégrées par la force. Il y a déjà deux morts et des dizaines de prisonniers politiques ». Là, l'utopie est défensive : « Nous combattons pour la justice sociale, la fraternité, l'égalité ».

« La convergence des mouvements sociaux et
des solidarités internationales est une évidence »

Dans la salle du Grand Kursaal, on parle de 1789 et de 1968, de la lutte contre le projet d'aéroport de Notre Dame des Landes ou le barrage de Sivens et « le monde qu'ils représentent ». On parle relocalisation, communautés agraires (référence à la Guerre civile espagnole)... Alain et Géraldine sont venus du Toulouse pour « se ressourcer, se sentir moins seuls ». Pour eux, l'université d'été est « un lieu de rencontres, d'échanges de savoir ». Jean-Yves Chiara, président de Multicolor, un réseau lorrain multi-acteur pour la solidarité internationale, est venu avec quatre camarade pour s'informer. Adhérent d'Attac, il estime que « la convergence des mouvements sociaux et des solidarités internationales est une évidence ». 

Après la conférence d'ouverture, le pot promis par la ville qui y a renoncé, est assuré quasiment au pied levé par le magasin Biocoop... Tout un symbole.

 

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