Un millier de personnes au meeting bisontin de la France insoumise

Après qu'Anne-Sophie Pelletier a parlé de « dignité », la tête de liste Manon Aubry a ravi l'auditoire par sa fraicheur, sa défense des fromages AOP et sa critique des paradis fiscaux. Alexis Corbière a dénoncé « l'hypocrisie » macronienne sur les ventes d'armes à l'Arabie Saoudite. Jean-Luc Mélenchon a philosophé, préférant Les Lumières aux racines chrétiennes, proposant une Europe du Club Med' et assurant : « le moment viendra, nous gouvernerons le pays… »

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Pendant que le Grand Kursaal de Besançon se remplit jusqu'au second balcon, des militants et candidats régionaux prennent peu à peu place sur sur des hauts tabourets de bar soigneusement disposés en second plan de la scène. Dans le public, on voit quelques gilets jaunes, des syndicalistes, des auditeurs de toutes les générations, des écolos. On croise des socialistes ayant quitté le PS avec Emmanuel Maurel, dont les deux conseillers régionaux François Cottet (90) et Denis Lamard (71), accompagnés de Bastien Faudot (Gauche républicaine et socialiste, ex MRC). Des gens sont venus de toute la Franche-Comté, quelques uns de Bourgogne et d'Alsace, en ce mardi 14 mai, à douze jours du scrutin européen.

Au changement d'ambiance lumineuse, le clip de campagne apparaît à l'écran : la voix off de Jean-Luc Mélenchon posée sur les explorations sociales d'une jeune femme, ponctuée d'images d'un meeting de Manon Aubry. A peine la vidéo s'arrête-t-elle, Laurence Lyonnais surgit au devant de la scène : « On va l'avoir notre soleil ! Bravo les gilets jaunes ! » Elle parle des « victoires » juridiques contre center-parc à Poligny et le projet des Vaîtes à Besançon, de la « résistance » aux fermetures de services dans les hôpitaux de Saint-Claude, Lons, Pontarlier, évoque la grève des urgences du CHU…

Lui succède au micro la Doloise Anne-Sophie Pelletier, numéro 5 sur la liste et donc très probable future députée européenne. « J'ai envie de vous parler de la dignité », dit-elle en citant Victor-Hugo : « le plus beau symbole du peuple, c'est le pavé : il le foule et le reçoit à la tête… Le 26 mai, envoyez les pavés dans les urnes ! » Elle dit son soutien aux gilets jaunes « qui ne veulent plus porter la honte » et aux futures gilets roses, les assistantes maternelles qui les rejoignent. 

« La longue chaîne de l'émancipation »

Voilà Alexis Corbière, député au parlement français, qui présente la France insoumise comme « un maillon d'une longue chaîne de l'émancipation » qui ne se fait jamais toute seule a toujours été constituée « des hommes et des femmes qui se lèvent contre l'ordre établi quand il est injuste ». Parmi eux le Bisontin Antoine-François Momoro à qui l'on attribue la devise liberté-égalité-fraternité mais qui avait initialement proposé comme troisième terme « indivisibilité de la nation ».

Corbière s'en prend surtout à la liste Renaissance dont il suggère le bellicisme : « son programme dit que les dépenses militaires ont augmenté de 4,9% dans le monde sans préciser que l'OTAN est à + 5,8% et les USA + 7% ». Des USA qui représentent « 40% des dépenses totales, 80% avec leurs alliés » tandis que « la Russie est à 3,4% et la France à 3,5%… Et Renaissance propose d'augmenter encore les dépenses militaires… »

Sous les applaudissements, il fustige « l'hypocrisie d'Emmanuel Macron » à propos de la guerre faite au Yémen par l'Arabie Saoudite avec des armes françaises en vertu d'un contrat de 5 milliards : « il est établi par les services français qu'elles sont utilisées contre des civils, il faut donc mettre en oeuvre la clause du traité qui l'interdit explicitement… Les dockers du Havre ont refusé de charger le cargo ! Pas de contrats avec les tyrans ! », conclut-il, vivement applaudi, avant de laisser sa place à Manon Aubry à l'instant où Jean-Luc Mélenchon arrive et s'assied au premier rang.

« L'UE du libre échange s'attaque à nos assiettes et nos fromages ! »

La tête de liste, jeune femme de 29 ans qui fut porte-parole d'Oxfam-France, rappelle d'emblée le rôle d'Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Elysée, dans la vente d'Alstom à General Electric contre l'avis du ministre Arnaud Montebourg… Et de défendre, a revers de celui qui est devenu président, les aides publiques à l'économie que l'Union européenne interdit, ce qui entrave selon elle la politique industrielle et lui fait reprendre les propos d'un syndicaliste de General Electric rencontré l'après-midi même à Belfort peu avant le meeting : « On est un géant économique, mais un nain politique… »

Elle se rit de cette Union européenne qui « vient de retirer les Bermudes de la liste des paradis fiscaux » et déclare « prioritaire d'y inscrire les Pays-Bas, l'Irlande, la Suisse, le Luxembourg… » Elle dénonce le fait que le comté, le reblochon et quelques fromages corses - sa région - « ne soient pas dans la liste des AOP protégées par l'accord de libre échange avec le Canada ». Elle en conclut que « l'UE du libre échange s'attaque à nos assiettes, et nos fromages : j'en fais tout un fromage ! »

Manon Aubry parle aussi social, du minimum social garanti bisontin, ce fameux ancêtre du RMI, qu'elle oppose à la « start-up UE qui applique l'ubérisation partout en Europe ». Elle en veut pour preuve la fameuse directive sur le travail détaché qui « permet à une entreprise française de payer ses cotisations sociales ailleurs… En Hongrie, il n'y a par exemple quasiment plus de cotisations sociales payées… »

La question sociale lui permet de viser une « convergence RN-LREM sur le travail détaché », mais pas seulement : « qui est contre l'augmentation du smic ? Le Pen et Macron ! Ils nous volent cette élection, LREM est le marche-pied du RN… » D'ailleurs, elle annonce un référé en Conseil d'Etat pour contrer une répartition qu'elle juge inique du temps de campagne officielle entre RN et LFI : « il y a 42 minutes pour le RN, 12 minutes pour nous… Le CSA dit prendre en compte la dynamique de campagne et les sondages, mais RN ou LREM peuvent-ils réunir 1000 personnes dans un meeting comme aujourd'hui ? » Et de moquer « Bardella et Loiseau qui ne veulent pas débattre avec [elle] »… 

« Le plus dur ne vient pas de l'adversité mais de la félonie… »

Jean-Luc Mélenchon conclut par un long discours le meeting qui se terminera au-delà de 22 heures. Souvent lyrique, parfois gaullien, on sait qu'il est un orateur hors pair qui emmène son auditoire sur les chemins de l'histoire et de la philosophie afin d'éclairer son projet politique. « Vous nous avez donné envie de gagner », assure-t-il d'emblée, « pas un instant nous n'avons renoncé à une ambition majoritaire. Le moment viendra, nous gouvernerons ce pays… »

Voilà pour ceux qui lui reprochent d'avoir isolé la France insoumise, gâché les 7 millions de voix du premier tour de la présidentielle de 2017. Il leur répond : « Notre tâche est de faire passer le message. J'ai fait, nous avons fait le travail… Le plus dur ne vient pas de l'adversité mais de la félonie, de l'orgueil démesuré… » Ce sera la seule allusion à la défection d'Andréa Kotarac, l'élu régional rhonalpin LFI qui a annoncé voter RN… Son « gloire aux gilets jaunes malgré leurs défauts » est l'occasion d'une auto-critique : « ils n'ont pas tout bien fait, moi non plus, vous non plus… » Est-ce aussi le début de l'amorce d'une transition, d'un passage de témoin annoncé ?

Cela reste broutille, comparé aux dangers à affronter : « il faut s'engager en politique car nous sommes confrontés à un défi jamais rencontré par la civilisation humaine. Nous avons douze ans pour rectifier le cours de la conduite des économies… » Et de citer les rapports du GIEC, l'effondrement de la biodiversité, qui ne rencontrent pas de réponse officielle à la hauteur : « il y a parmi les élites un renoncement… En Europe, trois pays tiennent leurs engagements de l'Accord de Paris, la Norvège, le Montenegro et la Macédoine… » En Europe, mais pas dans l'Union européenne…

« Sortir des traités [qui] nous empêchent de construire l'Europe de nos rêves…»

Mélenchon pense que l'Union et ses règles ne sont pas une solution mais un problème : « nous croyons que le marché est incapable de faire face à la bifurcation de la société… Nous sommes en dette écologique depuis le 10 mai, et elle est plus grave que la dette financière. Il n'existe pas de capitalisme vert. Il faut cesser d'accumuler parce que c'est gâcher… » Et de proposer un « nouvel humanisme », non à partir de « solutions techniques », mais d'une « vision du monde ». Car « le capitalisme a décidé de changer jusqu'à vos papilles… »

Le leader de la gauche radicale défend l'Etat comme « l'outil de l'intérêt général », donc « avec des fonctionnaires avec des statuts, des concours pour recruter les meilleurs et non les meilleurs amis… » Il fait le lien avec la réforme en cours de la fonction publique : « des contractuels comme directeurs d'administration, ce sont des lobbyistes qui vont arriver ! » Plus tard, il traduira lobbyistes : « ça s'appelle corrupteur en bon français ». Il rappelle, sans les citer, le vote des députés européens socialistes pour le paquet ferroviaire. Il critique les privatisations et leurs conséquences : « tout coûte plus cher et marche moins bien… Les capitalistes n'achètent pas les barrages pour faire de l'électricité, mais pour faire du fric ! »

Il n'envisage plus de sortir de l'Union, à tout le moins comme plan B, mais seulement de « sortir des traités » qui « nous empêchent de construire l'Europe de nos rêves… Les libéraux ont une vision du monde : la concurrence libre et non faussée au sommet de la hiérarchie des normes, nous, c'est la coopération… » Une sacré différence à l'entendre : « en 1986 [donc avant Maastricht], les salariés travaillaient douze jours par an pour payer les dividendes des actionnaires, aujourd'hui, c'est 45 jours… »

Les Lumières plutôt que les racines chrétiennes

Il s'en prend à la politique de la grande coalition PPE-PSE qui gouverne l'Union depuis 20 ans, à l'image de l'Allemagne. Comme cette alliance « ne suffira peut-être pas », il critique d'avance le ralliement des libéraux où s'inscriront les élus LREM. Il met en garde contre ce qu'il considère comme une tentation des écolos de faire l'appoint, Yannick Jadot en tête… A l'Europe dirigée par l'Allemagne dont les excédents vont s'investir sur les marchés financiers planétaires, il préfère organiser le « Club Med' de la France, de l'Italie, de l'Espagne ou du Portugal… qui demande des investissements : il faut arrêter de mettre 60.000 tonnes de déchets par an dans la Méditerranée, sinon en 2050 il y aura davantage de plastique que de poissons… »

Il sait la bataille « difficile », mais martèle une idée à rebours d'affirmations présentées par d'autres comme des évidences : « Ce qui est commun à l'Europe, ce ne sont pas les racines religieuses, mais la philosophie des Lumières qui a dénoncé les féodaux et les puissants… » Et plus près de nous, « c'est la résistance acharnée au nazisme… » 

La réunion se termine par une Marseillaise et une Internationale de toute la salle debout. Les orateurs font quelques photos avec des sympathisants, Mélenchon, assailli, s'y prêtant de bonne grâce. Puis les militants et organisateurs du meeting se retrouvent pour souffler et partager un moment dans la salle voisine. Là, l'ambiance est inédite. On partage les plats apportés façon auberge espagnole, ce qui rompt avec les plateaux commandés aux traiteurs par les partis institutionnels, comme le PS, où certains ont adhéré un temps. Un ancien de la LCR constate l'organisation au cordeau qui lui paraît venir de l'école lambertiste, autre branche du trotskysme…

La recomposition-reconstruction de la gauche repasse aussi par là… 

 

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