Trois départements au lendemain des régionales

Alors que de nombreux changements législatifs interviennent en 2016 pour les conseils départementaux, celui du Doubs diffère à mars l'examen de son budget tandis que le Jura et la Haute-Saône ont voté les leurs. Les débats ont aussi porté sur la façon de faire de la politique...

Yves Krattinger : « après 8 ans de souffrance, ceux qui souffrent le plus ne savent plus à qui confier leur destin, particulièrement dans ce département ».

Les élections régionales ont incontestablement eu un impact sur les débats des assemblées locales qui se sont tenues dans la semaine suivant le second tour. Dès lundi 14 décembre, le conseil municipal de Besançon se tenait dans une ambiance inhabituellement studieuse excluant, à un détail près, la vaine polémique, mais pas forcément l'expression des divergences. On s'est un peu pincé en constatant que FN et droite, tout en se détestant cordialement, défendaient la même chose - l'armement de la police municipale - en des termes différents et des votes irréconciliables. On a même assisté, incrédule, à un début de négociation entre Ville et Département quand Philippe Gonon (UDI), vice-président du Doubs et conseiller municipal d'opposition, fit une proposition de travail en commun sur la fibre optique. L'ambiance était un peu différente à la même heure, à Pontarlier, où le maire Patrick Genre (DVD), réélu conseiller régional d'opposition, n'eut pas un mot pour son opposante Liliane Lucchesi (PS), pour une fois victorieuse, élue sur la liste de Marie-Guite Dufay...

Également lundi 14, le conseil départemental du Doubs démarrait sous des auspices républicains. Dans un propos introductif grave et d'une hauteur de vue certaine, la présidente Christine Bouquin (DVD) dit sa « déception », la droite ayant perdu, mais aussi son « soulagement » de voir l'extrême droite défaite. Elle parle de « recomposition du champ politique » intégrant « désormais une formation différente, une machine électorale mue par le mécontentement, sans équipage ni cap, que la mobilisation et le bon sens des Français a permis d'enrayer ».

Christine Bouquin : « Aucun camp ne réussira ne réussira seul »

Christine Bouquin

 

Elle ajoute que « gauche et droite, ce n'est pas la même chose, mais cela n'interdit pas de travailler ensemble, comme en commission où le souci d'arriver à des rapports de qualité l'emporte sur l'opposition systématique... Mettons nos divergences au service d'une action pragmatique, réservons notre énergie aux sujets qui nous préoccupent : l'action départementale ». Un instant avant, elle considérait cette méthode comme un exemple que pourrait suivre la région car « aucun camp ne réussira ne réussira seul ce défi des grandes régions. Il faut s'appuyer sur les collectivités de proximité, les territoires, l'expertise des départements, des intercommunalités, des communes. Il faut donc discuter entre sensibilités différentes ».

La présidente du groupe PS, Martine Voidey, dit partager l'analyse de Christine Bouquin et son appel à la « dignité du débat ». Cela ne l'empêche pas de répéter ce que l'opposition dit depuis l'automne en s'appuyant sur un vote du budget différé : « Il n'y a rien de lisible, nous attendons votre projet, votre audit financier, passez des discours aux actes. Cela donne un sentiment d'immobilisme... » Elle pointe des décisions curieuses : « pourquoi avoir retiré votre plainte pour pollution contre un agriculteur de Vaufrey ? Pourquoi pas de rendez-vous pour la conférence sur la Loue ? »

Françoise Branget : « Assez des leçons de morale ! »

Le vice-président aux finances Philippe Gonon réplique : « Nous avons trois bonnes raisons de déplacer le débat budgétaire : nous attendons la loi de finance et voulons éviter plus de deux DMdécisions modificatrices, autrement dit budgets supplémentaires, deux pages de décrets d'application de la loi NOTRe, l''inquiétude sur le financement des politiques sociales : on annonce +9% sur le RSA en 2016 et +6% en 2017... Et quand vous nous accusez d'immobilisme, vous auriez pu renégocier les emprunts à 4,15%, réaménagement que nous avons entamé ». La leçon déplait au député Frédéric Barbier (PS) : « J'adhère au discours de la présidente. Les Français aspirent à autre chose qu'une classe politique se rendant coup pour coup. Quand on est arrivé aux affaires en 2004, on s'est mis au travail... Réveillez-vous ».

Ludovic Fagaut (LR) réplique : « Appliquez-vous cela à vous-même ? Vous n'avez pas compris le message des 6 et 13 décembre. Nous sommes satisfait qu'aucune région ne soit allée au FN ». L'ancienne députée Françoise Branget (LR) s'adresse à Frédéric Barbier : « Il y en a assez des leçons de morale, stop ! Vous avez instrumentalisé ces régionales ». Pierre Simon (UDI), le plus jeune conseiller départemental intervient : « On n'est pas dans le bon état d'esprit. Il faut entendre vraiment le message des régionales sinon demain sera terrible. Il ne faut pas avoir un discours et faire le contraire... Il faut du temps pour construire le budget, donnons plutôt une image de travail... »

L'ancien président PS Claude Jeannerot tempère : « tant que votre projet ne sera pas au rendez-vous, nous exposerons nos inquiétudes, sans que ce soit un drame... » Martine Voidey dédramatise : « On n'est pas là pour une opposition stérile et partisane ». Christine Bouquin synthétise : « On peut se retrouver sur des projets. Nous ne sommes pas immobile, mais dans une situation inédite avec les nouveaux cantons, des nouvelles intercommunalités en mars 2016, une nouvelle région en état de marche mais avec des apprentissages qui prendront du temps ».

Clément Pernot « en souci » pour les grands projets

Clément Pernot

 

Mercredi 16, en ouvrant la séance budgétaire du conseil départemental du Jura, Clément Pernot (LR) a la mine sombre. Il s'est beaucoup engagé dans la campagne de François Sauvadet, notamment dans l'ébauche d'une conférence des départements qui était l'un des socles du projet présenté comme une fédération de départements. Il n'a pas envie d'un débat sur cette élection remportée par le PS, même si c'est de justesse. Il demande aux élus jurassiens de « participer avec le plus d'à propos possible » au débat budgétaire car « la méfiance de nos concitoyens est immense ». Il fait le minimum sur le second tour en « félicitant » Madame Dufay qu'il a éreintée pendant la campagne, un peu à la manière de Christophe Perny se plaignant du Jura délaissé.

Clément Pernot se demande si les grands projets pour lesquels il se fait « du souci » sont « en péril ou en attente » : l'aéroport de Tavaux que « le département ne peut porter seul » ; le center parcs qui pourrait faire les frais de l'accord d'entre deux tours entre EELV et la présidente de région, le village de Vacances de Lamoura.  

Danièle Brûlebois : « le rabot n'a jamais fait une politique »

Lui répondant, Danièle Brûlebois (PS), présidente du maigre groupe d'opposition, veut au contraire revenir sur les élections régionales, ne serait-ce parce que « la gauche est en tête dans dix cantons, le FN dans quatre et votre majorité seulement dans trois... Cela nous redonne du courage ». Elle assure qu'avec une « majorité écrasante, toujours d'accord avec vous sur tout », le président Pernot « pourrait avoir la tentation de devenir le roi Soleil », d'autant qu'il préside également le groupe majoritaire. Elle lui demande donc d'initier un « élan d'ouverture » qui serait selon elle bienvenu dans le contexte d'un FN fort, symptôme d'un « dégoût d'une majorité de citoyens à l'égard du système politique, de rejet des partis dominants, de la professionnalisation politique, du cumul des mandats... Le département peut contribuer à contenir la vague ultraréactionnaire qui avance. Or, votre budget n'est porteur ni d'espoir ni de confiance en l'avenir : le rabot n'a jamais fait une politique ».

Clément Pernot apprécie modérément la charge : « votre procès me navre quand on a connu, par le passé, l'image détestable du département, votre silence passé complice... » Il fait référence au fait que Danièle Brûlebois fut la première vice-présidente de Christophe Perny dont la brutalité a sans doute accentué la chute électorale en mars dernier. Il se place aussi dans l'argumentation basique : « ne vous gargarisez pas sur le fait majoritaire, Madame Dufay est passée de 48% en 2010 à 36% aujourd'hui... » Puis il ferme la porte, à peine moins cassant que son prédécesseur : « je refuserai tout débat qui n'a pas lieu d'être : c'est stupide de comparer les budgets prévisionnels quand on voit les oublis sur la politique sociale ou l'aéroport. Les services n'ont cessé de produire des notes sur l'insuffisance des crédits accordés... »

Yves Krattinger : « la question n'est pas où va s'arrêter le FN, mais comment l'arrêter ? »

En Haute-Saône jeudi 17, Yves Krattinger revient plus longuement sur le résultat des régionales lorsqu'il ouvre le débat budgétaire : « la tension sociétale est très forte depuis les assassinats du 13 novembre, la France est traumatisée, les Français blessés et inquiets. La crise date de 2007 et après 8 ans de souffrance, ceux qui souffrent le plus ne savent plus à qui confier leur destin, particulièrement dans ce département » où le FN est en tête aux deux tours, frôlant ou passant la majorité absolue dans le nord-est, mais aussi à Marnay (48%) la « capitale des pauvres avec piscine ». L'ancien sénateur s'interroge : « la question n'est pas où ça va s'arrêter, mais comment l'arrêter ? » 

Les élus de droite n'ont pas un mot pour les régionales. Ils ne répondent rien quand leur est reproché leur silence de l'entre deux tours des départementales dans les cantons où le PS restait seul à affronter le FN, alors que le PS et Krattinger avaient appelé à voter à droite quand le parti LR était en duel avec l'extrême droite. Comme pour dimanche dernier en PACA, Nord-Picardie et Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes...

Tout ce qui n'est pas prévu par les textes est interdit...

Les trois présidents de départements, comme tous leurs collègues de France, abordent aussi la loi NOTRe et les incertitudes qui demeurent quant à ses applications précises qui n'ont pas toutes encore fait l'objet de décret d'application. Christine Bouquin en a tiré la conclusion qu'il était urgent d'attendre. Elle a donc repoussé le vote du budget 2016 au 21 mars... Ses collègues de Haute-Saône et du Jura n'en ont pas tiré argument et ont présenté des budgets qui vont forcément être modifiés au printemps. Mais ces modifications sont le lot de toutes les collectivités... 

Dans tous les cas, comme le dit Clément Pernot, il s'agit de « budgets de transition » car l'importante ressource de la CVAEcotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, mise en place après la suppression de la taxe professionnelle sera divisée par deux en 2017. Une autre grande nouveauté de ces constructions financières, qu'elles soient votées ou en construction, c'est la fin de la compétence générale des départements : tout ce qui n'est pas prévu par les textes est interdit. Pour éviter des mesures trop brutales, par exemple la fin d'une aide aux familles pour les enfants mangeant à la cantines scolaires, Yves Krattinger a proposé une dégressivité de l'aide sur trois ans. Ce faisant, il prend le risque d'une disposition retoquée à l'occasion du contrôle de légalité exercé par la préfecture... et dit l'assumer.

La suppressions des aides directes aux entreprises.

Un autre changement reste en travers de la gorge de tous les élus départementaux : la suppressions des aides directes aux entreprises. Ou plutôt, leur transfert à la région. En Haute-Saône, la conséquence est particulièrement bien expliquée dans les documents budgétaires, ainsi que dans le guide des aides. La droite haut-saônoise tente d'échapper à la fin d'une subvention de 14.000 euros au service de remplacement en agriculture. « Ne peut-on pas financer une autre action ? », demande Frédéric Burghard. « La région va devoir le prendre », répond Yves Krattinger pas si sûr de lui : « j'espère que ça va passer pour les maisons familiales, c'est de la compétence régionale, mais c'est aussi du territorial... Quant aux subventions aux agriculteurs en difficulté, on les garde au titre du social, comme l'agriculture paysanne... »

La droite est venue avec quelques suggestions. L'une d'elle est en partie adoptée : l'arrêt au 1er janvier de la participation à la surveillance des cars scolaires est transformé en participation à 50% jusqu'à la fin de l'année scolaire. Du coup, la droite vote ce chapitre budgétaire, illustration d'une nouvelle forme de construction de compromis. Mais pourquoi au fait arrêter ce soutien ? En raison de la fin de la compétence générale prévue par la loi. Il en va ainsi pour grand nombre d'interventions des départements. L'ADF, l'assemblée des départements de France analysera ce que les conseils départementaux auront décidé et les réactions des préfets. Puis les conclusions redescendront, histoire de voir ce qui passe et ne passe pas...

Quoi qu'il en soit, on est bel est bien dans un retrait de leur rôle politique. Et aussi économique : tous poursuivent la diminution des investissements.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !