Traité transatlantique : un débat utile mais brouillon à Besançon

Le collectif anti TAFTA a organisé une confrontation entre sept candidats au scrutin européen de dimanche 25 mai. Sans l'UMP (qui n'a pas répondu), le PS (qui n'est finalement pas venu) et le FN (pas invité), la soirée a manqué un peu de sel et le traité de ses principaux soutiens (UMP et majorité du PS). Le tribunal arbitral et le risque de dilution des normes sociales et environnementales ne passent pas.

debattafta

Utile, sinon nécessaire à quelques jours de l'élection des députés européens, le débat contradictoire organisé par le collectif local stop-TAFTA vendredi 16 mai à Besançon sur les traités de libre échange actuellement négociés entre la Commission européenne d'une part, et le Canada puis les USA d'autres parts, aura été décevant. D'abord parce que l'UMP n'a pas répondu à l'invitation : c'est dommage s'agissant du représentant français du PPE, formation majoritaire du parlement sortant. Ensuite parce que le PS, deuxième force du parlement, qui devait participer, a décliné quelques heures avant. Ces deux premières raisons en constituent une troisième : ces deux formations autour desquelles se sont constituées des majorités de compromis - avec souvent les écologistes et les libéraux - depuis des décennies, soutiennent le projet, du moins en large partie pour le PS qui apparaît divisé sur ce point.

Conséquence : on n'aura pas entendu défendre le texte, ce qui est très dommage. Il est vrai que c'est assez difficile car ils ne sont pas nombreux ceux qui savent exactement où en est la négociation. On connaît le mandat de négociation - grâce à des fuites -, des analyses, des prises de position, mais pas le point où en sont les négociateurs, ni ce sur quoi ils s'entendent ou achoppent. Il aurait cependant été sain que puissent s'exprimer des partisans du projet. Parmi les présents, les représentants de l'UDI alliée au Modem, et Europe citoyenne [les amis de Corinne Lepage] ont défendu le principe d'un accord, mais sévèrement critiqué ses socles importants que sont le tribunal arbitral et le risque d'effacement des normes européennes environnementales, sanitaires et sociales.

Des monologues, rarement un débat

Il aurait également été intéressant d'avoir une réelle animation pour ce débat qui n'en a que rarement été un. Au lieu de quoi, les quelque 200 personnes qui y ont assisté ont surtout entendu des monologues juxtaposés après que Claire Arnoux, militante du collectif et membre de la Gauche anticapitaliste (scission du NPA ayant rejoint le Front de gauche) ait posé quatre questions écrites, sans jamais relancer qui que ce soit, ni signaler que tel ou telle lisait ses intervenions ! La raison de ce choix réside dans le refus dudit collectif de recourir à un animateur extérieur - un professionnel rémunéré - qui aurait, par exemple, pu camper le décor en le mettant en perspectives, celles-ci étant forcément plurielles, en expliquant ses buts, fussent-ils contradictoires, ou ses enjeux, notamment pour la région.

La première question visait à connaître la position des invités sur le « secret » entourant la négociation. Les sept invités l'ont déploré, plus ou moins vivement. Le Bisontin Emmanuel Girod (Front de gauche) dénonce une « opacité stratégique » au service des « multinationales qui ne veulent pas que les peuples s'emparent » du projet. Pour le Pontissalien Olivier Lesueur (Modem-UDI), « le manque de transparence peut être reproché à la Commission, mais il n'est pas nécessaire de faire appel à l'opinion publique pendant la négociation ». La Lorraine Sandrine Bélier (EELV) n'a pas oublié d'indiquer que c'est grâce à « Wikileaks et aux eurodéputés verts allemands » que la première version du texte a été rendue publique. Le secret est « antidémocratique », dit Karine Comas (UPR). « Ce coup en douce est choquant », estime Clément Jeudy (LO) en lisant sa déclaration, comme Rachel Choix (NPA). Isabelle Vérin (Europe citoyenne) n'est « pas d'accord » avec la méthode mais n'est pas contre « aller vers un accord de libre échange s'il est équitable ».

Le tribunal arbitral refusé par les sept invités

La seconde question portait sur la remise en cause des normes sociales et environnementales européennes : « survivraient-elles à l'intégration à un grand marché ? », a demandé Claire Arnoux qui, en ouvrant la réunion, avait annoncé une troisième question sur le tribunal arbitral et une quatrième sur l'agro-alimentaire qui ne sera qu'effleurée. Olivier Lesueur a donc préféré « répondre à la troisième question avant la seconde : le problème, c'est la judiciarisation en cas de conflit. Le tribunal arbitral privé n'est pas admissible... Dans le cadre de l'ALENA (accord de libre échange nord-américain), le Canada a été poursuivi trente fois pour ses décisions environnementales et a perdu trente fois... ». Sandrine Bélier complète : « ce sont des tribunaux arbitraux qui ont permis à Philipp Morris de poursuivre l'Uruguay pour sa politique sanitaire anti-tabac, ou à un groupe énergétique suédois de poursuivre l'Allemagne après sa loi de sortie du nucléaire... »

Autrement dit, c'est la fin de la souveraineté des peuples, de leur liberté d'interdire l'extraction des gaz de schiste ou le veau aux hormones... « L'intérêt de l'Etat n'est pas défendu devant un tel tribunal. Il faut d'abord faire valoir notre haut niveau de normes sociales et environnementales », a ajouté le centriste Olivier Lesueur. Le militant de LO, Clément Jeudy, rigole : « l'idée que les USA seraient une jungle et l'Union européenne un havre pour les travailleurs est une bêtise... C'est choquant qu'une entreprise mette un pays au tribunal, mais ça existe, et les multinationales n'ont pas besoin d'un traité pour piller les caisses d'un état ».

Les normes environnementales et sociales : analyses multiples

Emmanuel Girod est perplexe quant à la capacité d' « exiger quelque chose des mollasons de la Commission qui n'a fait que libéraliser ! » Il ne veut pas laisser en route la question sur les normes sociales et redoute l'imposition d'un « nouvel ordre juridique impactant la vie des citoyens » et dit sa certitude que « les USA ne ratifieront aucune convention contraignante ». Ils n'ont ainsi pas ratifié celle instituant l'OIT, l'organisation internationale du travail. Il indique au passage que les nouvelles normes juridiques n'ont pas attendu le projet d'accord de libre échange, et s'insurge quant au fait que la Cour de justice européenne se soit « attribuée la compétence sociale en disant que le droit commercial est supérieur au droit du travail alors que le droit du travail est de la compétence des états ».

La question agro-alimentaire a été l'occasion d'un témoignage de Clément Jeudy : « j'ai porté des carcasses allemandes dans des entreprises françaises de viande. Quand le gars de l'hygiène venait, on planquait les carcasses et il repartait avec un carton de viande... » Ce à quoi Sandrine Bélier réagit : « il faut renforcer le statut de lanceur d'alerte ». Rachel Choix et Emmanuel Girod défendent l'agriculture paysanne. Olivier Lesueur dit sa crainte pour « les IGP qui protègent les agriculteurs » et auxquelles il est impensable de renoncer : « si accord il y a, il doit se faire sur la base la plus haute, et sans contrepartie sur le règlement des conflits ». Il entend aussi « faire cesser le caractère facultatif du registre des lobbies ». Pour Karine Comas, « il est absurde de mettre l'alimentation dans un traité car les USA et l'UE sont autosuffisants et les consommateurs préfèrent les circuits courts ».

La charrue avant les boeufs : le contexte effleuré pour conclure

Les questions de la salle ont permis de recadrer, mais un peu tard, le débat. « Qui est à l'initiative du traité ? La montée en puissance de la Chine y est-elle pour quelque chose ? », a lancé une femme. Banco ! C'est un des points par lesquels il aurait fallu commencer. « L'initiative revient aux USA dans un monde où les données géostratégiques changent », a répondu Olivier Lesueur. Emmanuel Girod a ajouté la Chine parmi les initiateurs qui entendent « intégrer l'Union européenne dans le cadre d'une vision du monde du "choc des civilisations", tout en contournant les règles de l'OMC où ils rencontrent l'opposition des pays pauvres. Il ne faut pas s'y précipiter comme le fait François Hollande ! »

Une question sur les services publics a permis aux débatteurs de tenter de montrer la contradiction chez les autres tout en affichant, enfin, leur philosophie politique. Olivier Lesueur refuse de « sacrifier notre niveau de vie », veut « sortir du seul indicateur PIB et prendre en compte l'IDH et d'autres normes ». Il note que « Florian Filippot (FN) se réjouit que le Front de gauche demande la suspension des négociations, alors que c'est dans l'engagement de chacun qu'on progressera ». Emmanuel Girod a répondu que « les Le Pen ont voté pour le GMT ! le bilan de l'UE, c'est 27 millions de chômeurs... ». Il veut en changer l'orientation tandis que Karine Comas veut en sortir, d'ailleurs, dit-elle, « Monnet et Schumman étaient des agents de la CIA, Marie-France Garaud l'a dit sur France 2... ». Girod ayant rappelé que les écologistes avaient voté en 2002, avec le PS, « le renfort de la relation transatlantique » avant de s'allier en 2006 avec la GUE pour dire le contraire, Sandrine Bélier a indiqué avoir « voté contre le mandat de négociation [donné à la Commission] quand on a eu la première version du texte ». Elle a surtout montré beaucoup de force de conviction et de confiance dans la mobilisation de la société civile : « on a gagné contre l'ACTA alors qu'on disait que c'était impossible. On va gagner ! »

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